Ghislain Picard (Photo: Martin Flamand)
FILIÈRE BATTERIE. Chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) depuis 1992, Ghislain Picard a été au fil des ans de tous les combats pour faire reconnaître les droits des Autochtones auprès des gouvernements. Cette quête est loin d’être terminée. Hydro-Québec investira quelque 155 milliards de dollars pour ajouter près de 9000 mégawatts (MW) de nouvelles capacités électriques d’ici 2035. C’est sans parler du développement de la filière batterie, qui contribue à multiplier les projets de minéraux critiques et stratégiques sur le territoire. Face à ces nouveaux défis, Ghislain Picard analyse les risques et les occasions pour les 11 nations autochtones du Québec.
Quelles sont les attentes de l’APNQL en matière de consultation du gouvernement et d’Hydro-Québec pour les projets électriques, alors que les Premières Nations n’avaient pas été consultées pour la phase 1 de la baie James, dans les années 1970 ?
À l’époque, les tribunaux ont rappelé le gouvernement à l’ordre, sans parler des questions que soulevaient les Autochtones, à commencer par les Cris. Je dirais que dès ce moment-là, le contexte a complètement changé. Par exemple, en 2021, l’ex-PDG d’Hydro-Québec, Sophie Brochu, a fait une grande déclaration selon laquelle le futur d’Hydro-Québec est maintenant aussi fondé sur la base de partenariats avec les communautés. Il y a donc une référence particulière au présent, au futur, mais aussi au passé. Ça met la table pour ce que nous souhaitons, c’est-à-dire un engagement réel entre la société d’État et les communautés. Là, on sort un peu des sentiers battus.
Quelles nations seront les plus concernées par ces projets énergétiques (hydroélectricité, éolien, solaire, etc.) qui seront avant tout concentrés dans les Laurentides, en Mauricie et sur la Côte-Nord, selon Hydro-Québec ?
Pour moi, il aura un effet partout où il y a des ouvrages d’Hydro-Québec. On peut donner l’exemple de réservoirs, où on y fera la mise à jour de certaines installations. Il n’y aura donc pas seulement des projets de construction. Dans ce contexte, c’est la grande majorité des nations qui seront sans doute impliquées et consultées, plutôt que moins.
Quelles sont les retombées négatives anticipées à ce jour pour les Premières Nations ?
On a toujours milité en faveur d’un développement soucieux de l’impact social, par exemple, sur les activités traditionnelles des communautés qui sont surtout situées sur des territoires plus isolés, plus en région. C’est un aspect important. Il y a aussi, évidemment, l’inondation de territoire. Ç’a fait couler beaucoup d’encre à l’époque des projets de la baie James, dans les années 1970. Aujourd’hui, je pense qu’il y a encore des préoccupations énormes par rapport à des rivières qui pourraient être détournées. Donc, pour tous les effets négatifs, c’est principalement lié au territoire.
Quelles retombées positives anticipez-vous ?
Peu de temps après son arrivée en poste à la tête d’Hydro-Québec, Michael Sabia a fait état de plusieurs priorités, dont l’intention d’aller de l’avant avec une réconciliation économique avec les peuples autochtones. C’est comme ça que ça a été présenté. Reste à savoir ce que ça veut dire concrètement pour la société d’État. Je pense qu’on est rendu peut-être à un stade encore plus loin que les principes de consultation et du partage des redevances ou des revenus. Je pense que les communautés, ce qu’elles recherchent, c’est de créer leur propre richesse au lieu de dépendre de la richesse des autres. Par exemple, je me souviens d’une collègue en Ontario qui discutait de projets miniers dans le nord de la province. Elle disait : « C’est bien beau d’avoir des emplois et des revenus, mais pourquoi les Premières Nations ne pourraient-elles pas être propriétaires d’une mine ? » Ça fait toute la différence. Créer nous-mêmes notre richesse, ça passe aussi par ça.
Le Québec compte déjà plusieurs entreprises autochtones bien établies dans l’aviation, le secteur manufacturier ou la construction. Quels secteurs des économies des Premières Nations pourraient le plus profiter des projets énergétiques ?
Il y a des occasions pour créer des emplois dans plusieurs secteurs. Mais il y en a aussi pour créer une nouvelle expertise qui n’existe pas, par exemple dans le domaine de l’ingénierie, en fondant des firmes autochtones. J’étais récemment à une expo-sciences autochtone à Gatineau. Ça bouge beaucoup dans l’esprit des jeunes de 12 à 15 ans, ils sont très curieux. Cela dit, il faut aussi les encourager en leur disant : vous êtes capables d’être aussi bons que le voisin et peut-être même d’en faire plus que le voisin.
Dans un monde idéal, comment le plan d’action 2035 d’Hydro-Québec devrait-il se déployer pour être en parfaite harmonie avec les intérêts et les besoins des Premières Nations ?
La première étape est de définir ce qu’on entend par réconciliation économique, tant du côté d’Hydro-Québec et du gouvernement que des Premières Nations. À ce moment-là, on pourra nous-mêmes exprimer quel rôle on souhaite jouer. Il faut aussi parler de transition énergétique. Nous sommes évidemment autant préoccupés par la situation du climat que n’importe quel autre humain sur la planète. On veut avoir notre mot à dire et un rôle à jouer pour relever ce défi. Enfin, nous souhaitons que notre expertise et que nos savoirs traditionnels à ce sujet soient reconnus et mis en valeur. En résumé, un rapport de force réel est nécessaire pour l’ensemble de nos communautés dans le déploiement du plan d’action d’Hydro-Québec.
Le développement de la filière batterie représente-t-il aussi des défis particuliers pour les Premières Nations, à commencer par la multiplication des projets miniers ?
C’est un secteur incontournable, de toute évidence. En même temps, c’est à géométrie variable selon les communautés et les nations. Aussi, je ne peux pas m’exprimer avec une seule opinion, parce qu’il y en a plusieurs. Cela dit, dans ce domaine, le rapport de force est également important. Par exemple, la nation crie dispose d’un processus d’évaluation environnementale qui est propre au territoire de la baie James, similaire à celui du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement. Or, ce processus d’évaluation n’existe pas pour les autres nations, où les projets sont évalués à la pièce. Il faudrait donc trouver une façon d’aller chercher une certaine équivalence en ce qui a trait au rapport de force pour l’ensemble des nations autochtones.
Comment concilier la préservation de l’environnement et le développement minier qui crée aussi des emplois intéressants pour les citoyens des Premières Nations ?
Dans certaines communautés, les jeunes, soit les moins de 25 ans, constituent la moitié, sinon la majorité de la population. Ça implique plus d’emplois et de perspectives sur le plan économique. Les leaders autochtones sont obligés d’en tenir compte. Ce n’est pas nécessairement opposé à la préservation de l’environnement, mais il y a un arbitrage subtil à faire. C’est sûr que l’industrie minière peut être très loin de ce que nous faisons valoir comme valeur autochtone. Au départ, on s’embarque dans un processus avec un déficit de confiance. Cette confiance-là, il faut la créer si elle n’existe pas. Et si elle a déjà existé, il faut la rebâtir. Pour moi, ça passe beaucoup par l’éducation. Le développement sera toujours le développement, mais en même temps, le développement peut se faire autrement. Ça dépendra toujours de la place accordée aux valeurs portées par les Premières Nations, mais aussi à toute la question du savoir traditionnel. Si on fait un trou là, quelle est l’incidence sur le territoire ? Ça implique beaucoup de choses. Ce n’est pas un PDG à Toronto qui est capable d’expliquer ça, ce sont les gens qui occupent le territoire. Je pense que c’est extrêmement important pour l’industrie minière d’en tenir compte et d’être sensible à cette réalité.
Cet article a initialement été publié dans l’édiditon papier du journal Les Affaires du 8 mai 2024.