Imaginons un «Buy North American» réunissant le Canada, les États-Unis et le Mexique
François Normand|Publié à 17h07 | Mis à jour il y a 53 secondesTrois avenues sont envisageables pour établir une meilleure harmonie politique et économique à l’échelle de l’Amérique du Nord. (Photo: 123RF)
ANALYSE ÉCONOMIQUE. L’élection de Donald Trump et sa menace d’imposer des tarifs douaniers de 25% sur toutes les importations canadiennes aux États-Unis ont créé une onde de choc. Trouver des solutions à court terme à cette crise est impératif. En revanche, il faut profiter de cette occasion pour réfléchir à l’intégration des économies canadienne, américaine et mexicaine, en imaginant par exemple des tarifs nord-américains ou un «Buy North American».
Pour reprendre un vieux dicton anglophone, il ne faut jamais gaspiller une bonne crise. Et nous avons toute une crise structurelle sur les bras actuellement. Une crise qui va durer au moins quatre ans, voire plus étant donné que le protectionnisme est devenu une politique bipartisane aux États-Unis.
Guide pratique pour survivre aux tarifs douaniers de Donald Trump
Certes, il est possible qu’Ottawa fasse suffisamment de concessions à la future administration Trump, par exemple en renforçant la sécurité à la frontière, afin qu’elle abolisse ou réduise ces tarifs – ou que Washington ne les circonscrive à certains secteurs.
L’industrie canadienne du bois d’œuvre est un cas d’école.
Depuis le début des années 1980, les États-Unis imposent périodiquement des droits de douane (compensateur et antidumping) aux importations de bois d’œuvre en provenance du Canada – ces droits s’élèvent actuellement à 14,5%.
Les Américains prétendent à tort que le Canada subventionne son industrie forestière, une accusation que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a toujours rejetée.
Par ailleurs, certains secteurs au Canada pourraient profiter des politiques de Trump, comme les baisses d’impôt aux entreprises et la déréglementation de l’économie, expliquaient ce jeudi des économistes devant le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM).
Quand les entreprises paient moins d’impôts, elles ont notamment plus d’argent dans leurs poches pour verser des dividendes à leurs actionnaires. Il y a donc de belles occasions d’affaires pour les investisseurs institutionnels canadiens actifs sur le marché américain.
En revanche, les entreprises canadiennes qui exportent des marchandises aux États-Unis, elles, pâtiront de possibles tarifs douaniers.
Rappelons que ce sont les importateurs américains qui vont payer ces tarifs, pas nos entreprises exportatrices.
Les importateurs au sud de la frontière ont sensiblement deux options:
- Cesser d’acheter certains produits au Canada qui seront devenus trop dispendieux pour se rabattre sur des biens similaires fabriqués aux États-Unis ;
- Continuer d’acheter des produits canadiens nichés et assez uniques, et ce, pour soit refiler la taxe aux consommateurs américains (des particuliers et/ou des entreprises) ou accepter de réduire leur marge bénéficiaire afin de ne pas trop faire augmenter les prix.
C’est donc dans ce contexte qu’il faut prendre de la hauteur afin de réfléchir à l’avenir de l’Amérique du Nord et à l’intégration économique des trois amigos.
Face à cette crise géopolitique structurelle avec les États-Unis, essayons d’être stratégiques et d’anticiper les coups à l’avance, comme aux échecs.
Trois avenues d’intégration
Aussi, trois avenues sont envisageables pour établir une meilleure harmonie politique et économique à l’échelle de l’Amérique du Nord afin de limiter de futures crises, et ce, peu importe qui sera au pouvoir à la Maison-Blanche.
1. Imaginons des tarifs nord-américains
Cessons de voir l’économie de l’Amérique du Nord comme trois blocs.
Les chaînes de valeurs du Canada, des États-Unis et du Mexique sont de plus en plus intégrées. Cette tendance s’accentuera dans les prochaines années et décennies en raison de la continentalisation de l’économie mondiale et de la concurrence asiatique.
Nos économies ne sont pas une menace les unes pour les autres.
Bien au contraire, nous sommes des partenaires économiques, sans parler du fait nous partageons une culture d’affaires nord-américaine et pragmatique assez similaire malgré nos différences.
Imposer des tarifs entre nous est contre-productif.
C’est comme si on imposait en quelque sorte des tarifs sur des échanges entre le Québec et l’Ontario…
Si on estime que la concurrence chinoise est déloyale, et bien, concertons-nous afin de fixer un tarif extérieur pour l’ensemble des trois économies de l’Amérique du Nord sur certains produits.
L’Union européenne a par exemple des tarifs extérieurs communs.
2. Adoptons des politiques Buy North American
L’idée est déjà dans l’air depuis quelques années: et si nous nous dotions d’une politique d’achat locale nord-américaine?
Fini dans ce contexte le Buy American comme aux États-Unis ; place au Buy North American.
Encore une fois, nous ne sommes pas des adversaires économiques. Nous sommes des partenaires, même si nous sommes aussi bien entendu des concurrents dans la plupart des industries.
Mais c’est une saine concurrence.
Le Canada, les États-Unis et le Mexique sont des économies capitalistes. Il y a généralement une concurrence loyale, sans distorsion étatique, sauf dans de rares exceptions.
Ce sont aussi trois démocraties dotées d’un État de droit.
Une entreprise a donc une assurance raisonnable de pouvoir être traitée équitablement par les tribunaux locaux, et ce, peu importe sa nationalité.
Nous voulons tous maximiser les retombées économiques en Amérique du Nord. Pourquoi alors vouloir tirer la couverture chacun de notre côté?
Mais demeurons pragmatiques, comme les Nord-Américains savent si bien le faire.
Imaginons des pourcentages de contenu local nord-américain par industrie, et laissons la saine concurrence jouer entre les entreprises canadiennes, mexicaines et américaines.
3. Gérons la frontière avec une approche continentale
Le contrôle des frontières sera un défi de plus en plus important à l’avenir.
Les changements climatiques et les conflits incitent de plus en plus de personnes à migrer vers l’Amérique du Nord, un continent prospère et en paix.
Bien entendu, il ne s’agit pas de se fermer à l’immigration, mais plutôt de mieux l’encadrer en fonction des capacités d’accueil et d’intégration au Canada, aux États-Unis et au Mexique.
Ottawa, Washington et Mexico auraient donc tout intérêt à mieux collaborer entre eux à ce sujet, sans abolir leur frontière commune, comme l’ont fait de leur côté les 27 pays de l’Union européenne.
Une gestion continentale des frontières – tout en respectant la souveraineté nationale – pourrait réduire le risque en amont que des questions de sécurité à la frontière entre deux pays se traduisent par des mesures de représailles économiques.
Comme la menace d’imposer des tarifs douaniers de 25%…
L’Amérique du Nord à la croisée des chemins
Au début des années 1990, la création de l’espace de libre-échange nord-américain a marqué un point tournant dans l’histoire économique du continent.
Nos chaînes de valeur se sont davantage intégrées dans plusieurs secteurs stratégiques, et ce, de l’aérospatiale à l’industrie automobile en passant par la production d’aluminium et la foresterie.
Aujourd’hui, force est de constater qu’il faut passer à une autre étape dans cette intégration.
Cela dit, une intégration à l’européenne avec un marché commun et une monnaie commune n’est pas souhaitable étant donné le poids disproportionné des États-Unis dans le club des trois amigos.
Et adopter le dollar américain serait une bien mauvaise idée.
Les entreprises canadiennes qui sont moins productives que les entreprises américaines perdraient du jour au lendemain le mécanisme d’ajustement du taux de change et leur compétitivité au sud de la frontière.
En revanche, on peut imaginer une Amérique du Nord 2.0.
Une Amérique du Nord plus intégrée et plus collaborative, sans trop affaiblir la souveraineté des trois pays.
L’élection de Donald Trump est l’occasion rêvée pour y réfléchir sérieusement.