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La guerre accentue la recomposition des approvisionnements

François Normand|Publié le 17 mars 2022

La guerre accentue la recomposition des approvisionnements

«Il faudra à certains pays occidentaux de nombreuses années pour trouver ou mettre au point des solutions de rechange pour bon nombre d’exportations de matières premières russes», selon Angelo Katsoras, analyste à la Banque Nationale. (Photo: 123RF)

La guerre en Ukraine accentue la recomposition des chaînes d’approvisionnement mondiales qui avait débuté avec les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis, affirme la Banque Nationale dans une note géopolitique.

L’analyste géopolitique Angelo Katsoras souligne que plusieurs entreprises avaient déjà diversifié leurs chaînes d’approvisionnement et rapatrié la production de secteurs clés afin de ne plus dépendre de rivaux géopolitiques pour des biens critiques en raison des tensions sino-américaines, amorcées sous l’administration Trump.

«L’invasion de l’Ukraine par la Russie accélérera ces tendances», écrit l’analyste.

Pour illustrer la reconfiguration des chaînes d’approvisionnement qu’entraîneront les récentes sanctions contre la Russie, Angelo Katsoras donne l’exemple des restrictions imposées par les États-Unis à la capacité des entreprises russes d’acheter des puces informatiques (ou semi-conducteurs), des machines de technologie avancée et des composants aéronautiques.

Or, ces mesures ne s’appliquent pas seulement aux biens produits aux États-Unis, mais aussi à tous ceux fabriqués dans d’autres pays à l’aide d’une technologie américaine, souligne l’analyste, citant une analyse du magazine britannique The Economist.

Par conséquent, des entreprises manufacturières canadiennes pourraient être touchées par ces sanctions.

«La Chine s’empressera sans doute de remplacer les États-Unis dans certains de ces secteurs, mais elle ne sait pas encore produire les semi-conducteurs de la dernière génération ou ne peut pas fournir des pièces de rechange pour des avions de fabrication occidentale», fait remarquer Angelo Katsoras.

 

La Chine ne sait pas encore produire les semi-conducteurs de la dernière génération. (Photo: 123RF)

Par ailleurs, il souligne que le retour à des chaînes d’approvisionnements mondiales plus stables pourrait prendre un certain temps, et que les entreprises qui s’approvisionnaient en Russie devront faire preuve de patience, surtout pour les achats de matières premières.

«Il faudra à certains pays occidentaux de nombreuses années pour trouver ou mettre au point des solutions de rechange pour bon nombre d’exportations de matières premières russes, en particulier dans le secteur des minéraux», affirme-t-il.

Or, il faut compter plus de 16 ans en moyenne pour faire passer des projets miniers de la découverte à la phase de production, selon une analyse publiée en mai 2021 par l’Agence internationale de l’énergie (AIÉ).

En fait, c’est tout l’ordre économique mondial des dernières décennies qui se transforme sous nos yeux, si l’on prend un peu de recul pour analyser les forces économiques en présence et en mouvement.

«La guerre en Ukraine accélère la création de deux grands blocs économiques destinés à devenir moins dépendants l’un de l’autre. L’un sous la houlette des États-Unis, l’autre dirigé par la Chine», explique l’analyste de la Banque Nationale.

 

La Russie rejoindra le bloc associé à la Chine

Pour sa part, la Russie n’aura d’autre choix que de rejoindre le bloc économique de la Chine, «comme un partenaire de deuxième classe et d’adopter ses règles et ses normes», selon l’analyste géopolitique.

Il va sans dire que cela aura un impact sur les coûts d’approvisionnements d’entreprises canadiennes, car certaines d’entre elles devront sans doute évoluer dans ces deux blocs économiques afin de pouvoir y vendre leurs produits.

«Le rapatriement de certaines chaînes d’approvisionnement finira par être utile à cet égard, mais la production de composants en des lieux multiples pour des marchés régionaux réduira les économies d’échelle et augmentera les coûts», affirme Angelo Katsoras.

La mise en place de ces deux blocs économiques concurrents risque aussi de pénaliser particulièrement les entreprises qui ont développé des innovations technologiques stratégiques et très demandées.

«Dans ce nouveau contexte, les sociétés appartenant à des secteurs réputés stratégiques risqueront de plus en plus de perdre l’accès à des marchés situés dans des blocs économiques concurrents, à mesure que chaque zone développera ses propres capacités», prévient l’analyste.