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La productivité défaillante du Canada alimente l’inflation

Morningstar|Publié le 24 août 2022

La productivité défaillante du Canada alimente l’inflation

Depuis le sommet atteint en 2014, lorsque les investissements lourds dans le secteur pétrolier ont grandement contribué à des gains de productivité, la productivité du Canada n'a cessé de diminuer, en raison surtout de la baisse des investissements en capital. (Photo: 123RF)

La productivité du Canada est à la traîne de celle de presque tous les pays de l’OCDE, selon les chiffres rassemblés par l’Institut C.D. Howe dans un récent rapport. 

Au Canada, le PIB par membre de la population active s’élève à 104 875 $, contre 148 746 $ aux États-Unis (41,8% de moins), 142 749 $ en France (36,1% de moins) et 140 690 $ au Royaume-Uni (34,1% de moins). Seuls le Japon et la Nouvelle-Zélande font moins bien que le Canada avec respectivement 97 224 $ et 72 015 $.

Depuis le sommet atteint en 2014, lorsque les investissements lourds dans le secteur pétrolier ont grandement contribué à des gains de productivité, la productivité du Canada n’a cessé de diminuer, en raison surtout de la baisse des investissements en capital.

Dans le secteur des machines et des équipements, les investissements ont chuté de 7%, dans celui de l’ingénierie de 2%, et dans le domaine crucial de la propriété intellectuelle de 5%. On s’attendait à ce que la productivité dans cette dernière catégorie soit stimulée par la COVID et le travail à domicile, rappelle Bill Robson, PDG de l’Institut C.D. Howe. On s’attendait même à ce qu’elle «déclenche une nouvelle période de prospérité, notamment aux États-Unis où les investissements ont progressé de 8%», dit-il. Mais le Canada n’a pas suivi.

 

Salaires en hausse et faible productivité

Pendant ce temps, les salaires augmentent, souligne Derek Holt, vice-président et chef de l’économie des marchés financiers à la Banque Scotia. «De février à avril, la croissance des salaires était négative, puis il y a eu un rebond, rappelle-t-il. Maintenant, elle s’accélère fortement. D’un mois sur l’autre, la croissance annualisée est de 10,6%.»

Combiner baisse de la productivité et hausse des salaires n’est pas génial. «Des gains salariaux dans une productivité en hausse, ce serait formidable», affirme Anil Passi, directeur des entreprises mondiales chez DBRS Morningstar, «mais des gains salariaux avec une productivité en baisse, ce n’est pas bon, c’est certain.»

«Les gains salariaux alors que la productivité est en baisse ne sont pas nécessairement revigorants et peuvent refléter un environnement stagflationniste, affirme M. Passi. Les gains salariaux qui résultent d’une hausse de la productivité sont plus réels et constituent la voie suprême vers une plus grande prospérité.»

 

Plus avec moins

La productivité n’est pas la production. C’est une mesure de l’efficacité de la production. Si vous produisez plus avec moins d’intrants ou avec un niveau d’intrants stable, votre productivité augmente. Les prix peuvent baisser, ou du moins rester stables, ou vous pouvez produire davantage, ce qui augmente la prospérité de tous.

Le Canada se dirige dans l’autre sens, et de façon alarmante. «Plus tôt cette année, l’OCDE a publié des projections à long terme montrant que le niveau de vie [du Canada] augmenterait au rythme le plus lent des pays de l’OCDE, explique M. Robson. Le budget fédéral de 2022 a même souligné ces projections, en observant que le Canada se classerait à l’avant-dernier rang des pays de l’OCDE au cours des 40 prochaines années.»

La faible productivité n’est pas un moteur direct de l’inflation, explique Robson, mais elle érode la capacité de l’économie à se défendre. «Supposons que la capacité de l’économie à fournir des biens et des services augmente de 4% par an, explique-t-il. Ramener la demande au niveau de l’offre pourrait signifier réduire sa croissance de 5% à 3%. C’est peut-être décevant, mais ce n’est pas une catastrophe. En revanche, si l’offre ne croît que de 1% par an, aligner la demande pourrait signifier réduire sa croissance annuelle de 2% à 0%.»

En d’autres termes, une faible productivité signifie que le resserrement de la politique monétaire de la banque centrale amène l’économie à flirter plus dangereusement avec une récession, ou à s’y vautrer plus longtemps. «Une croissance plus rapide de la capacité de production du Canada permettrait de ramener plus facilement la demande au niveau de l’offre, poursuit M. Robson. Nous pourrions contenir la demande en attendant que l’offre se rattrape, plutôt que de la faire baisser. Nous pourrions faire baisser l’inflation avec moins de risque de récession.»

M. Passi déplore la préoccupation soudaine, et très probablement transitoire, que suscite la productivité. «Je comprends qu’en raison des pressions inflationnistes, on se concentre plus que jamais sur la productivité, mais les sociétés et les entreprises devraient s’y consacrer en tout temps, 365 jours par an. Comme le disent de nombreuses entreprises: “Les temps sont durs, alors nous allons améliorer certaines choses et tailler dans le gras ici et là”. Mais même lors des périodes fastes, il faut tailler dans le gras.»

 

Prendre du poids

Le Canada prend définitivement du poids. L’économie devient de plus en plus intensive en main-d’œuvre et pauvre en capital alors que le contraire se produit ailleurs, notamment aux États-Unis. «La seule période historique où des données cohérentes (s’il en existe) pourraient montrer quelque chose de similaire est la dépression des années 1930, affirme M. Robson. Du point de vue des travailleurs canadiens, notre économie se décapitalise.»

Bill Robson n’attend pas grand-chose du gouvernement sur le front de la productivité. Il en veut pour preuve le budget de 2022.

«Les orientations actuelles du gouvernement fédéral ne promettent aucune aide à la capacité de production. Le gouvernement continue à augmenter les dépenses. Il freine l’investissement par des hausses d’impôts discriminatoires — en ciblant des secteurs spécifiques, comme les banques et les assureurs, et des produits spécifiques, comme les voitures, les avions et les bateaux — et il propose maintenant des limites plus strictes sur la déductibilité des intérêts lorsque les entreprises empruntent pour investir. Il sape la confiance avec des modifications du droit de la concurrence et des politiques en matière de gaz à effet de serre qui semblent relever davantage de slogans que d’esprit pratique.»

Dans son dernier rapport sur la politique monétaire, la Banque du Canada s’attend à ce que la productivité s’améliore à l’avenir. M. Holt est «un peu sceptique», dit-il. Il reconnaît que la performance du secteur pétrolier, grâce à une forte production et à des prix élevés, pourrait contribuer à améliorer les chiffres de la productivité, mais ce ne serait que temporaire. «Je ne pense pas que nous ayons atteint le niveau structurel et que nous puissions faire mieux que les États-Unis de sitôt», dit-il.

Pour ce qui est de l’avenir, si les économies s’enfoncent dans une récession, M. Holt appréhende la politique fédérale canadienne. «Le gouvernement laissera-t-il les emplois disparaître? Ou bien va-t-il envelopper le marché du travail avec de fortes mesures de soutien aux travailleurs, au détriment de la productivité? Je crois qu’il choisira de soutenir les emplois.»