Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires

Le manque de concurrence au Canada étouffe notre productivité

François Normand|Publié le 16 novembre 2022

Le manque de concurrence au Canada étouffe notre productivité

Parce qu’elles n’ont pas été suffisamment exposées à des forces concurrentielles, les entreprises canadiennes «n’ont pas acquis les bons réflexes en matière d’investissement et d’innovation pour accroître leur productivité», souligne l'étude (Photo: 123RF)

Ne cherchons plus midi à quatorze heures la raison pour expliquer la faiblesse de la productivité au Canada par rapport aux autres pays industrialisés. Les entreprises canadiennes figurent parmi les derniers de classe dans le monde parce qu’il manque de concurrence locale.

C’est du moins la conclusion à laquelle arrive une étude que publie ce mercredi le Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter-J.-Somers (CPP) à HEC Montréal, et qui s’intitule Retard de productivité du Canada : Et si la réponse se trouvait du côté de la concurrence?

Dans cette étude de 70 pages, les auteurs soulignent que le Canada a été «incapable de se défaire de son passé protectionniste».

Ce protectionnisme se manifeste notamment par la présence d’entraves à la libre circulation de certains biens (par exemple, la bière) et de la main-d’œuvre (par exemple, les travailleurs de la construction) entre les provinces.

Malgré la présence de l’Accord de libre-échange canadien, entrée en vigueur en juillet 2017, qui devait justement libéraliser le commerce interprovincial.

Par conséquent, le Canada n’a pas été en mesure «de préparer ses entreprises» en prévision de l’intégration des marchés mondiaux, déplorent les auteurs.

 

Un pays «enlisé» dans une logique protectionniste

«Enlisées dans une logique interventionniste qui s’est traduite en une pléthore de programmes politiques et de mesures dédiées à la protection des intérêts des entreprises canadiennes, les administrations qui se sont succédé à la tête du pays n’ont pas cru bon d’ajuster le cadre réglementaire de manière à stimuler la compétitivité des entreprises canadiennes», peut-on lire noir sur blanc dans le rapport.

Selon les auteurs, les conséquences se sont avérées «particulièrement importantes pour l’économie canadienne».

Ainsi, parce qu’elles n’ont pas été suffisamment exposées à des forces concurrentielles, les entreprises «n’ont pas acquis les bons réflexes en matière d’investissement et d’innovation pour accroître leur productivité».

Une des façons de mesurer la faible productivité canadienne est de considérer la progression du niveau de vie au pays.

Rappelons que les trois composantes du niveau de vie sont la productivité du travail (le PIB sur les heures travaillées), l’intensité du travail (les heures travaillées sur le nombre d’emplois) et taux global d’emploi (le nombre d’emplois sur la population).

En 1981, le Canada était un leader dans le monde, avec une avance de près de 2 000 $ par habitant sur le niveau de vie moyen au sein des principales économies occidentales. Or, en 2021, le pays affichait un retard d’environ 7 000 $ par rapport à cette même moyenne, selon l’étude du CPP.

 

Deux causes au manque de concurrence

En entrevue à Les Affaires, Robert Gagné, professeur d’économie et directeur du CPP, souligne que le manque de concurrence au Canada tient à deux grands facteurs.

D’une part, le Canada est un pays immense – pratiquement de la taille de l’Europe – qui ne compte que 38 millions d’habitants. Cette géographie fait en sorte que les marchés ont eu tendance à se régionaliser, tout en ne s’intégrant pas suffisamment à l’ensemble de l’économie canadienne.

 

Les entreprises canadiennes en télécommunications investissent relativement peu en capital comparativement à leurs pairs internationaux, mais elles réalisent les plus fortes marges de BAIIA dans les principaux pays industrialisés. (Graphiques: CPP)

Dans les années 1980, la commission Macdonald avait d’ailleurs identifié cette problématique.

À l’époque, elle avait proposé «de minimiser les barrières à l’encontre de la libre circulation du travail, des moyens de production et des services», en plus d’harmoniser l’intégration des politiques publiques afin de créer une véritable union économique canadienne.

D’autre part, la gestion de la concurrence au Canada a toujours eu tendance à favoriser davantage les intérêts des entreprises (pour aider à la création de grands joueurs mondiaux ou préserver des sièges sociaux) que ceux des consommateurs, déplore Robert Gagné.

«On n’a pas cette culture et cette obsession de la concurrence. On surprotège les entreprises canadiennes, on les appuie financièrement et on limite la concurrence», dit l’économiste.

L’étude du CPP donne entre autres l’exemple de l’industrie des télécommunications au Canada, au sein de laquelle la concurrence est faible et les prix des services sont élevés.

Pis encore, selon les auteurs de l’étude : les entreprises canadiennes en télécommunications investissent relativement peu en capital comparativement à leurs pairs internationaux, mais elles réalisent en revanche les plus fortes marges de BAIIA (bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements).

Au détriment des consommateurs.

 

Comment favoriser la concurrence

Pour favoriser la concurrence au Canada, Robert Gagné estime que les gouvernements devraient s’inspirer des politiques publiques de l’Union européenne. Il souligne que la libre circulation du travail, des moyens de production et des services y est plus élevée (entre des pays souverains) qu’au Canada (entre des provinces fédérées).

Il y note aussi la présence d’une forte culture de protection des intérêts supérieurs des consommateurs.

Il rappelle qu’en 2021, la Commission européenne s’était par exemple opposée à l’achat du transporteur Air Transat par Air Canada, car cette transaction n’était pas dans l’intérêt des consommateurs européens. Au Canada, Ottawa était en revanche favorable à ce rachat.

Le refus de Bruxelles avait finalement fait avorter la transaction au Canada.

Aux yeux de Robert Gagné, il faudrait aussi s’inspirer de l’exemple d’Alimentation Couche-Tard.

Le succès de cette multinationale québécoise démontre les vertus d’un environnement concurrentiel, qui stimule la compétitivité des entreprises et favorise leur croissance à l’étranger.

Contrairement à d’autres industries au Canada, le secteur des dépanneurs-essenceries évolue dans un environnement très concurrentiel, explique Robert Gagné.

Cela a donc favorisé la compétitivité et l’innovation chez Couche-Tard, lui permettant du coup de prendre de l’expansion à l’étranger à l’aide d’acquisitions, notamment en Norvège.

«Ce n’est donc pas en protégeant les entreprises canadiennes qu’on va les aider; Couche-Tard en est un bon exemple», insiste Robert Gagné.