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Analyse de la rédaction

Le Québec pâtira-t-il de la guerre commerciale avec la Chine?

François Normand|Mis à jour le 18 juin 2024

Le Québec pâtira-t-il de la guerre commerciale avec la Chine?

Depuis 2021, l’administration de Joe Biden affirme qu’elle a investi 860 milliards de dollars américains (1 170G$CA) pour développer les industries d’avenir comme les voitures électriques, l’énergie verte et les semi-conducteurs. (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. La guerre commerciale contre la Chine lancée par Donald Trump en 2018 s’accentue: mardi, l’administration Biden a lancé une nouvelle salve de tarifs qui s’attaquent cette fois aux importations liées à l’économie verte. L’industrie canadienne de l’acier s’inquiète déjà de potentiels dommages collatéraux. Y a-t-il un risque pour d’autres secteurs au Québec?

Dans son communiqué publié le 14 mai, la Maison-Blanche justifie ces tarifs en soulignant que le plan économique du président Joe Biden — depuis son élection — s’appuie sur des investissements qui créent «de bons emplois dans des secteurs clés qui sont vitaux pour l’avenir économique et la sécurité nationale» des États-Unis.

«Les pratiques commerciales déloyales de la Chine en matière de transfert de technologie, de propriété intellectuelle et d’innovation menacent les entreprises et les travailleurs américains. La Chine inonde également les marchés mondiaux de ses exportations artificiellement à bas prix», dénonce-t-elle.

Depuis 2021, l’administration Biden affirme qu’elle a investi 860 milliards de dollars américains (1 170 G$CA) pour développer les industries d’avenir comme les voitures électriques, l’énergie verte et les semi-conducteurs.

Les nouveaux tarifs entreront en vigueur de 2024 à 2026.

Commençons par le contexte de cette annonce: elle survient moins de cinq mois avant l’élection présidentielle, le mardi 5 novembre.

 

Le timing de l’annonce est important

Or, le président Biden traîne la patte dans les sondages au niveau national, mais aussi dans les États pivots — les swing states, comme on dit aux États-Unis — que sont le Nevada, l’Arizona, la Géorgie, la Pennsylvanie, le Michigan et le Wisconsin.

Trump est en avance dans les quatre premiers, alors que la lutte est serrée dans les deux derniers, selon le site d’agrégation de sondages FiveThirthyEight.

Pour espérer gagner l’élection du 5 novembre, Biden doit notamment aller chercher des voix auprès des travailleurs américains œuvrant dans le secteur manufacturier.

Ce n’est donc pas un hasard si cette nouvelle salve de tarifs touche principalement le secteur manufacturier aux États-Unis et, qui plus est, des industries d’avenir.

En termes de tarifs, Biden va beaucoup plus loin que Trump, même si les tarifs du président démocrate couvrent seulement 18 milliards de dollars américains (24,5 G$CA) de valeur de produits comparativement à plus de 350 G$US pour l’ex-locataire de la Maison-Blanche.

Par exemple, les tarifs sur les cellules solaires et les importations de semi-conducteurs passent de 25% à 50%, tandis que ceux sur les batteries lithium-ion bondissent de 7,5% à 25%.

Dans le cas des voitures électriques, Washington a même quadruplé les tarifs! Ils passent de 25% à 100%, soit les tarifs les plus élevés annoncés par Biden le 14 mai.

En 2018, la plupart des tarifs imposés par l’administration Trump s’élevaient à 25%, rappelle le magazine britannique The Economist.

Cette nouvelle salve de tarifs aux États-Unis soulève bien entendu des questions et une part d’inquiétude de ce côté-ci de la frontière.

Notre économie peut-elle pâtir?

Jointe par Les Affaires, l’Association de l’aluminium du Canada (AAC) s’est faite rassurante, précisant que les nouveaux tarifs de 25% sur les produits de l’aluminium ne s’appliquent pas aux importations en provenance du Canada.

En 2018, l’administration Trump avait imposé des tarifs de 10% sur les importations d’aluminium en provenance de la Chine, mais aussi d’autres pays comme le Canada. Toutefois, les producteurs canadiens avaient été exemptés en 2019.

 

En 2018, quand l’ex-président Donald Trump a lancé la première salve de tarifs contre la Chine, d’autres pays étaient aussi visés, dont le Canada. (Photo: Getty Images)

La perception est tout autre du côté de l’Association canadienne des producteurs d’acier (ACPA), où l’on sent une certaine inquiétude.

Dans un courriel, François Desmarais, directeur des affaires commerciales et industrielles, affirme qu’il est encore tôt pour parler d’incidence négative sur les producteurs canadiens d’acier puisque les mesures américaines annoncées seront en vigueur dans les prochaines semaines.

Cela dit, les producteurs d’acier au pays craignent que la Chine en profite pour inonder le marché canadien, alors que le marché américain se referme pour ses produits.

«Nous pouvons déjà craindre que le Canada devienne un marché potentiel pour les exportateurs chinois qui devront écouler leur producteur ailleurs qu’aux États-Unis. Il y a présentement une capacité excédentaire de production d’acier, en particulier en Chine (la moitié de la capacité mondiale réside dans ce pays) et nous remarquons une hausse significative de diversion des stocks d’acier lorsque certains marchés resserrent leurs mesures de contrôle.»

De plus, François Desmarais souligne que la consommation d’acier en Chine fléchit, ce qui exacerbe «le fléau des capacités excédentaires mondiales».

 

Filière batterie et minéraux critiques

Il y a aussi une certaine dose d’inconnu du côté de la filière batterie et celle des minéraux critiques et stratégiques, en Ontario et au Québec, alors que les deux provinces veulent exporter ces produits aux États-Unis.

Mardi, l’administration Biden a annoncé des tarifs sur les batteries, les composants et les pièces de batteries ainsi que sur les MCS, qui atteindront 25% entre 2024 et 2026.

Par exemple, le taux de droit sur le graphite naturel et les aimants permanents passera de zéro à 25% en 2026, tout comme le taux sur certains autres minéraux critiques et stratégiques.

«La concentration des capacités d’extraction et de raffinage de minéraux essentiels en Chine rend nos chaînes d’approvisionnement vulnérables et met en péril nos objectifs en matière de sécurité nationale et d’énergie propre», écrit la Maison-Blanche dans son communiqué.

Le Québec abrite la seule mine active de graphite naturel en Amérique du Nord (si on exclut le Mexique), exploitée par la minière ontarienne Northern Graphite, près de Mont-Laurier.

Cinq projets de mines de graphite sont dans les cartons au Québec, dont la mine de Nouveau Monde Graphite, à Saint-Michel-des-Saints, au nord-ouest de Montréal. Elle sera mise en service à la fin 2025, voire au début 2026.

Cela dit, il serait pour le moins surprenant que les États-Unis veuillent entraver les importations de batteries, de composants et pièces de batteries ainsi que des MCS en provenance du Canada.

Après tout, nous aidons les États-Unis à réduire leur dépendance à l’égard de la Chine pour ces approvisionnements.

D’ailleurs, ce jeudi, Ottawa et Washington ont annoncé des investissements dans les MCS au Canada, et ce, dans les Territoires-du-Nord-Ouest (pour du bismuth et du cobalt) et au Québec (pour du graphite), avec la minière Lomiko Metals.

 

Le MEIE se veut rassurant

À Québec, où l’on fait une lecture similaire de la situation, le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie (MEIE) se veut rassurant, même si on indique qu’on suivra de près ce dossier dans les prochains mois.

«Nous n’appréhendons pas d’effet négatif direct sur les secteurs québécois concernés. Toutefois, nous continuerons de surveiller la situation de près, en collaboration avec le gouvernement fédéral, et d’être vigilants afin de repérer rapidement des changements dans les flux de commerce de certains produits, notamment les MCS et les composants de voitures électriques, dont les éléments utilisés dans la production de batteries», écrit le MEIE dans un courriel à Les Affaires.

Le ministère rappelle que le Québec dispose d’importants gisements de lithium, de graphite et d’autres MCS importants dans la production de batteries et de leurs composantes. Le gouvernent est donc disposé «à travailler en collaboration avec les États-Unis pour assurer la croissance de ces secteurs importants pour atteindre nos objectifs communs de transition énergétique».

Pour l’heure, en effet, le Québec ne semble pas vraiment à risque de pâtir des nouveaux tarifs aux États-Unis visant la Chine, à l’exception peut-être de l’industrie de l’acier, mais de manière indirecte.

Cela dit, pour reprendre une expression bien connue, le diable est dans les détails.

Aussi, en cette année électorale aux États-Unis et dans un contexte où le protectionnisme et le nationalisme économique sont devenus des politiques bipartisanes chez nos voisins américains, il serait avisé de demeurer vigilant pour être prêt à défendre au besoin nos intérêts économiques.

Comme en 2018-2019, quand Trump a lancé la première salve de tarifs contre la Chine, mais qui a aussi visé… le Canada.