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Le Québec peut difficilement accroître son influence dans les MCS

François Normand|Mis à jour le 13 juin 2024

Le Québec peut difficilement accroître son influence dans les MCS

«Dans une économie, l’épargne égale à l’investissement, Mario Fortin, professeur titulaire d’économie à l’Université de Sherbrooke. Comme notre épargne collective est relativement petite par rapport aux besoins pour développer les minéraux critiques et stratégiques, nous avons donc besoin de l’épargne internationale pour le faire.» (Photo: courtoisie)

FILIÈRE BATTERIE. Le Québec peut-il faire quelque chose pour tenter d’accroître son influence sur le secteur des minéraux critiques et stratégiques (MCS)? La marge de manœuvre serait plutôt mince, estiment des spécialistes en développement économique.

Mario Fortin, professeur titulaire d’économie à l’Université de Sherbrooke, fait remarquer que le Québec ne peut pas échapper à sa réalité démographique, soit un vaste territoire riche en ressources minières avec une petite population de neuf millions d’habitants.

« Dans une économie, l’épargne égale à l’investissement, dit-il. Comme notre épargne collective est relativement petite par rapport aux besoins pour développer les minéraux critiques et stratégiques, nous avons donc besoin de l’épargne internationale pour le faire. »

Certes, Investissement Québec et la Caisse de dépôt et placement du Québec pourraient investir davantage dans ce secteur, alors qu’ils ont déjà des participations dans des mines et des projets, comme Minerai de fer Québec, Nemaska Lithium ou Tata Steel Minerals Canada.

Cela dit, les deux institutions ont aussi des capitaux limités, car elles investissent dans d’autres secteurs au Québec — et à l’étranger, dans le cas de la CDPQ.

De leur côté, les principaux capitaux-risqueurs privés du Québec investissent relativement peu dans les minéraux critiques et stratégiques. Les Affaires a pu le constater en questionnant entre autres le Mouvement Desjardins, la Banque Nationale, le Fonds de solidarité FTQ et Fondaction CSN à ce sujet.

Par nature, ces institutions privées sont plus sensibles aux risques que le secteur public. Or, le secteur minier est très risqué en raison des fluctuations des prix des minéraux, qui peuvent parfois compromettre la rentabilité d’une mine ou d’un projet.

Faut-il conclure pour autant que le Québec ne peut pas accroître son influence dans les MCS ?

 

Influencer l’industrie en amont ?

Pas nécessairement, estime Yan Cimon, professeur titulaire de stratégie à l’Université Laval. Selon lui, le Québec pourrait peut-être accroître un peu son influence sur le secteur des MCS avec une approche macro-économique.

Il pourrait s’assurer que le cadre réglementaire est plus attractif pour les investisseurs étrangers et canadiens, en plus d’être établi davantage en fonction des intérêts supérieurs de l’économie québécoise.

« On exercerait alors de l’influence en amont de l’industrie », dit-il, en favorisant par exemple davantage systématiquement la deuxième transformation de minéraux au Québec au lieu que cette dernière se fasse à l’étranger ou dans d’autres provinces.

Selon des analystes du secteur minier, il est somme toute logique que le développement des MCS dans de petits territoires comme le Québec soit avant tout sous l’influence de minières étrangères internationales.

« Si on faisait le même genre d’analyse en Colombie-Britannique, je suis convaincu qu’on aurait un portait de la situation pas très différent qu’au Québec », dit Maxime Guilbault, associé partenaire chez PwC à Montréal et spécialiste du secteur minier.

Comme le Québec, cette province a un vaste territoire riche en ressources minérales avec une petite population, en l’occurrence de 5,5 millions d’habitants.

« En fait, on ne peut pas parler de surprise » à la lumière des résultats de l’enquête de Les Affaires, dit Josée Méthot, PDG de l’Association minière du Québec (AMQ).

Au fil des ans, elle dit avoir vu évoluer la filière des minéraux critiques et stratégiques au Québec. Elle confirme qu’il y a beaucoup de minières de l’extérieur de la province impliquées sur le terrain, et ce, aussi bien pour l’exploitation de mines que les projets d’exploration.

Josée Méthot fait d’ailleurs remarquer qu’il faut avoir des poches très profondes dans le secteur minier.

« Pour lancer une mine, il faut investir de 500 millions à 1 milliard de dollars », souligne-t-elle, en précisant que les grandes minières internationales bénéficient aussi d’économie d’échelle quand elles ont plusieurs mines.

Cette facture peut grimper rapidement si on ajoute la deuxième transformation de minerai dans des usines, pour fabriquer par exemple du matériel d’anode actif pour des batteries de lithium-ion.

 

Les marchés extérieurs

Pierre Lortie, conseiller principal aux affaires à Dentons Canada, qui a déjà siégé au conseil d’administration de minières, fait remarquer que même le Canada ne peut pas valoriser à lui seul ses MCS, malgré ses 40 millions d’habitants.

« Les marchés pour les produits finis et les minéraux critiques qui les composent se trouvent à l’extérieur du Canada. Par conséquent, les quelques entreprises dotées de technologies de traitement de pointe qui dominent ces marchés investissent ici pour s’assurer une source d’approvisionnement fiable », dit celui qui a aussi dirigé la Bourse de Montréal, de 1980 à 1985.

Pierre Lortie donne l’exemple du minerai de fer au Québec.

Les producteurs doivent avant tout l’exporter pour qu’il soit transformé par des aciéristes, par exemple en Europe. Le fer est d’ailleurs notre deuxième poste d’exportation dans l’Union européenne, selon Statistique Canada.

Aussi, il est logique par exemple que la multinationale luxembourgeoise ArcelorMittal, qui exploite deux des quatre mines de fer dans la province, et qui possède plusieurs aciéries en Europe, notamment en France, en Belgique et en Allemagne, soit un acteur clé dans ce secteur au Québec.