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Les manufacturières dépendent trop de la main-d’œuvre

François Normand|Publié le 16 août 2024

Les manufacturières dépendent trop de la main-d’œuvre

Si les entreprises manufacturières du Québec étaient plus productives, elles auraient moins besoin de recourir aux travailleurs temporaires étrangers. (Photo: 123RF)

Les entreprises manufacturières du Québec recourent de plus en plus aux travailleurs temporaires étrangers pour pourvoir des postes. Si cette pratique les aide à continuer de croître, elle est aussi le symptôme de deux problématiques : le vieillissement de la population québécoise, mais surtout la faible productivité de notre industrie.

Au 1er octobre 2023, le Québec comptait 528 000 travailleurs temporaires issus de l’immigration, selon une analyse de Statistique Canada, publiée en décembre. C’est six fois plus qu’en 2016, alors qu’il y en avait 88 000.

Malgré tout, les postes à pourvoir demeurent nombreux. Uniquement dans le secteur manufacturier, on parle de plus de 21 000 emplois disponibles, selon la plus récente estimation publiée en fin d’année par Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ).

Cet accroissement du nombre de travailleurs temporaires étrangers tient au vieillissement de la population, car il réduit graduellement le bassin de main-d’œuvre locale en âge de travailler dans les entreprises. D’où la nécessité pour celles-ci de recruter de plus en plus à l’étranger. On observe du reste le même phénomène dans les autres provinces canadiennes.

Or, si les entreprises manufacturières du Québec étaient plus productives, elles auraient moins besoin de recourir aux travailleurs temporaires étrangers. C’est une stricte question mathématique : plus une entreprise affiche un niveau élevé de productivité (principalement grâce à l’automatisation et à la robotisation), moins elle a besoin de main-d’œuvre pour croître, selon la littérature économique.

Concrètement, la productivité est la quantité/valeur que produit une personne dans une heure travaillée. Une entreprise peut l’accroître plusieurs manières. Elle peut investir dans les nouvelles technologies, former son personnel plus adéquatement, maximiser l’ordonnancement de sa production pour éviter les temps morts, en plus de faire une meilleure maintenance prédictive afin de réduire les arrêts de production non planifiés.

Productivité: le Québec parmi les cancres de l’OCDE

Or, en matière de productivité, le Québec se classe parmi les derniers au sein des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), selon le bilan « Productivité et prospérité au Québec », publié chaque année par le Centre sur la productivité et la prospérité — Fondation Walter-J. Somers à HEC Montréal.

Ainsi, en 2018 (l’année de comparaison internationale la plus récente), la productivité par heure travaillée dans le secteur privé au Québec à parité des pouvoirs d’achat s’élevait à 58,17 $ CA.

C’est un niveau supérieur à la Corée du Sud (46,39 $), mais largement inférieur à celui des États-Unis (94,53 $), de l’Allemagne (86,06 $), de la France (82,67 $) ou du Royaume-Uni (66,67 $).

Quant à la moyenne canadienne, elle se situait à 66,31 $, le pays figurant donc comme le Québec en queue de peloton de l’OCDE.

Toutefois, le Canada est curieusement loin derrière un pays comme l’Australie, qui a pourtant une structure économique — la présence d’une industrie minière et d’un secteur manufacturier — similaire à la nôtre.

Ainsi, dans une heure de travail, l’employé d’une entreprise privée en Australie produit en moyenne pour une quantité/valeur de 75,35 $, soit presque 10 $ de plus qu’au pays.

Les raisons de notre retard

Comment expliquer la faible productivité du Québec (et du Canada) ? Plusieurs facteurs sont en cause, mais le principal est la faiblesse de l’investissement non résidentiel par emploi, selon un large consensus auprès des économistes.

Bref, les entreprises québécoises consacrent moins d’argent pour améliorer leurs équipements de production et leur bâtiment, en plus d’avoir généré moins d’innovations pour améliorer leurs procédés de production.

Là encore, les statistiques parlent d’elles-mêmes. En 2019 (l’année de comparaison internationale la plus récente), les entreprises privées au Québec investissaient 7 490 $ par employé à parité des pouvoirs d’achat, ce qui comprend l’achat de machines, de matériel et les innovations internes.

Or, c’est seulement la moitié de la moyenne des 19 pays de l’OCDE analysés par HEC Montréal qui s’élève à 16 145 $. L’Ontario et le Canada ne font guère mieux que le Québec, étant respectivement à 8 810 $ et 8 947 $. Les pays champions de l’investissement en capital de production sont la Belgique (26 337 $), la Suède (25 428 $) et les États-Unis (21 905 $).

La situation se détériore

Si le faible niveau de productivité est préoccupant, il y a une autre source d’inquiétude, peut-être pis encore : au lieu de s’améliorer, la productivité de nos entreprises est en déclin, révèle une étude publiée en décembre par BMO Economics (Canada’s Perennial Productivity Puzzle).

Ainsi, au cours des cinq dernières années, la productivité du secteur des entreprises au Canada a connu une baisse annuelle moyenne de 0,3 % — il n’y a pas de ventilation pour le Québec dans cette étude. Or, sur la même période, la productivité des entreprises aux États-Unis a augmenté en moyenne de 1,7 % par année.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer les problèmes de productivité des entreprises canadiennes, selon l’étude de BMO Economics. Sans surprise, elle mentionne la faiblesse des investissements dans les nouvelles technologies. Le manque de concurrence étrangère au Canada dans plusieurs industries est aussi pointé du doigt, tout comme la faiblesse de la R&D dans le secteur privé.

Un constat s’impose à la lumière des statistiques sur le niveau et l’évolution de la productivité au Québec et au Canada. À moins de pouvoir augmenter de manière substantielle leur productivité dans les prochaines années, les entreprises manufacturières du Québec et du Canada demeureront dépendantes des travailleurs temporaires étrangers dans un avenir prévisible.