Les PME en région ont besoin d’aide pour intégrer les immigrants
François Normand|Publié le 04 Décembre 2019Les entreprises manufacturières font face à une dizaine de «transitions», dont trois sont cruciales, affirme Deloitte.
Les entreprises manufacturières en région ont besoin d’aide pour intégrer les travailleurs immigrants dans leur communauté, car elles risquent de les perdre au profit d’employeurs situés dans les grandes villes. C’est pourquoi les gouvernements municipaux doivent prendre le leadership pour qu’ils se sentent bien dans leur nouveau milieu de vie.
Voilà l’un des constats qui se dégagent de la table éditoriale de Les Affaires pour faire le point sur la 6e édition du Point sur le Québec manufacturier, une analyse annuelle produite par la firme Deloitte. Cette année, le thème est «L’ère des transitions», une dizaine pour être plus précis, dont la «transition inclusive», un enjeu primordial qui touche à l’intégration des immigrants en région.
«L’entreprise ne peut pas être uniquement responsable de l’intégration. Elle a besoin de la communauté autour d’elle, la ville, la MRC. Si on ne fait pas ça, les immigrants risquent de s’en aller à Montréal, voire Québec, où leur communauté est déjà présente», souligne Louis J. Duhamel, conseiller stratégique chez Deloitte et président de LJD Conseils, qui parcours le Québec pour expliquer la dizaine de transitions.
Dans un contexte de pénurie de la main-d’œuvre, l’embauche d’immigrants (qui sont souvent accompagnés de leur famille) est l’une des solutions privilégiées par de plus en plus d’entreprises manufacturières aux quatre coins du Québec.
Si le recrutement d’un travailleur spécialisé à l’étranger représente un défi, c’est loin d’être la fin d’un processus qui peut encore réserver bien des surprises. «Recruter quelqu’un, ce n’est pas la fin du processus, c’est là que ça commence, car il faut bien l’intégrer», laisse tomber Dany Pelletier, vice-président aux investissements au Fonds de solidarité FTQ.
Il n’y a pas de panacée pour intégrer un immigrant à sa nouvelle communauté.
Cela passe notamment par les réseaux de collègues, d’amis et d’entraide, sans parler d’activités socioculturelles et parascolaires, dans le cas des enfants d’immigrants.
Bref, il faut que la communauté et l’entreprise qui accueillent un immigrant lui fassent sentir qu’il est le bienvenu afin qu’il ait envie de faire sa vie dans cette municipalité.
Bien entendu, des entreprises font déjà leur part pour faciliter l’intégration des immigrants, souligne Gérald St-Aubin, vice-président Investissements stratégiques chez Desjardins.
«Par exemple, dans une entreprise agroalimentaire, il y a un programme cet hiver pour les employés qui viennent de l’étranger : on va les chercher à la maison afin qu’ils ne conduisent pas dans la neige», dit-il.
Le tiers des entreprises n’ont pas entendu parler du 4.0
D’autres transitions sont cruciales pour les entreprises manufacturières, à commencer par la «transition technologique».
Et à ce chapitre, une statistique devrait interpeller au plus haut point les décideurs économiques et politiques : une entreprise manufacturière sur trois (32%) n’a jamais entendu parler du manufacturier 4.0.
Une sur trois.
Or, ce virage technologique est essentiel pour les entreprises manufacturières, alors que leurs concurrents allemands, américains et chinois ont pris une avance importante dans cette quatrième révolution industrielle.
Tout est interconnecté dans une usine entièrement 4.0.
Les machines communiquent entre elles et s’ajustent en temps réel à l’offre et à la demande. Une telle transformation implique des investissements importants pour acquérir de nouvelles technologies. Mais à terme, l’entreprise devient plus productive et plus compétitive, car elle peut réduire ses prix sur le marché.
Lyne Dubois, la PDG du Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ), estime que le 4.0 peut être intimidant pour certaines entreprises manufacturières, d’autant plus qu’elles ont souvent l’impression qu’il faut transformer les usines de fond de comble du jour au lendemain.
«Il faut y aller un pas à la fois. Il faut se donner une première expérience positive, tout en étant conscient qu’un projet ne va pas tout régler», dit la patronne du CRIQ, dont l’un des mandats est d’aider l’industrie québécoise à faire la transition numérique vers le manufacturier 4.0.
Une autre statistique met aussi en perspective le retard pris par l’industrie manufacturière québécoise, soit la densité de robots par 10 000 employés.
Ainsi, en 2015, on comptait 531 robots par 10 000 employés en Corée du Sud (le niveau le plus élevé au monde), suivi par des pays comme le Japon (305), l’Allemagne (301), les États-Unis (176) et le Canada (136), selon l’étude Le secteur manufacturier avancé : enquête sur l’automatisation du secteur manufacturier au Québec, publiée en 2017 par l’Alliance canadienne pour les technologies avancées.
Parmi les trois pays les moins automatisés, on retrouve l’Autriche (128), la France (127) et la Finlande (126).
L’automatisation des procédés (la troisième révolution industrielle) est une étape importante pour devenir 4.0, mais ce n’est pas suffisant, disent les spécialistes. Par contre, le niveau d’automatisation indique la prédisposition d’une usine à devenir intelligente.
Louis Duhamel estime que la faiblesse du dollar canadien (il a été la plupart du temps sous la barre des 0,80$US depuis 5 ans) permet aux entreprises manufacturières de demeurer compétitives actuellement, et de reporter le besoin d’investir dans les technologies 4.0.
Tout comme la conjoncture économique au Québec, ajoute-t-il. «Il n’y a pas d’incitatif à investir, car l’économie va bien.»
Toutefois, ces deux facteurs peuvent changer rapidement.
Pas de diversification des marchés malgré un libre-échange accru
Des changements rapides peuvent aussi survenir sur les plans du commerce international et de l’ouverture des marchés étrangers, ce que Deloitte a nommé la «transition autarcique».
Le manque de diversification des marchés d’exportation des exportateurs québécois est une source d’inquiétude chez les participants à notre table éditoriale.
D’une part, parce que le Canada a réussi à diversifier ses marchés potentiels d’exportation ces dernières années. Il a conclu l’Accord économique et commercial global (AECG) avec l’Union européenne et le Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) avec plusieurs pays asiatiques comme le Japon et le Vietnam.
D’autre part, parce que l’on assiste à une montée du protectionnisme dans le monde depuis la récession mondiale de 2008-2009, une tendance qui s’est accélérée depuis que l’administration Trump a pris le pouvoir aux États-Unis, en 2017.
Or, malgré ces deux éléments, les exportations québécoises demeurent concentrées sur le marché américain.
En 2018, les entreprises du Québec y ont expédié 69,6% de leurs marchandises à l’étranger, soit la même proportion qu’en 2014 (69,9%), selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ).
«On a une police d’assurance pour diversifier nos marchés, mais on la laisse sur la table, on ne s’en sert pas», déplore Louis Duhamel.
Desjardins et le Fonds de solidarité FTQ sont bien conscients de cet enjeu de diversification des exportations, et ils essaient de sensibiliser davantage les entreprises québécoises.
Desjardins a un bureau à Paris. Ces dernières années, ce bureau a aidé bon nombre d’entreprises françaises à brasser des affaires au Québec. Il a désormais le mandat de stimuler davantage les échanges dans l’autre sens.
«Les nouveaux objectifs sont d’intéresser les entreprises du Québec à développer un appétit pour le marché européen», souligne Gérald St-Aubin.
Pour sa part, le Fonds de solidarité FTQ essaie de sensibiliser davantage les exportateurs à s’intéresser à l’Europe et à l’Asie par le biais de sa présence sur le conseil d’administration de plusieurs entreprises exportatrices.
«C’est un peu comme notre approche pour le 4.0; on sensibilise et on explique l’importance de diversifier ses marchés», dit Dany Pelletier.
Pour sa part, le CRIQ offre aux entreprises exportatrices qui souhaitent diversifier leurs marchés de faire un «bilan» sur les marchés potentiels et les normes à respecter, par exemple.
Pour autant, accord de libre-échange ou pas, la décision de diversifier les marchés d’une entreprise revient à son dirigeant, car plusieurs exportateurs québécois vendent leurs produits en Chine même si le Canada n’a pas d’accord avec ce pays.
«En fin de compte, la décision repose sur l’humain», insiste Lyne Dubois.