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Pierre-Olivier Pineau

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Pierre-Olivier Pineau

Expert(e) invité(e)

L’État ne doit plus être au service de l’automobile

Pierre-Olivier Pineau|Mis à jour le 18 juin 2024

L’État ne doit plus être au service de l’automobile

Si on ne révise pas à la baisse la demande totale, il sera très difficile d’atteindre la carboneutralité pour 2050. (Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. Vous rappelez-vous l’usine de GM à Boisbriand? Elle a produit des voitures entre 1965 et 2002. En 1987, elle a reçu un prêt sans intérêt de 220 millions de dollars (M$) des gouvernements du Québec et du Canada… remboursé en 2017, 15 ans après sa fermeture. Un beau cadeau, surtout quand on se souvient qu’à la fin des années 1980, les taux d’intérêt étaient autour de 10%.

Il y a aussi eu les 50 M$ en subventions offertes à Hyundai pour son usine de Bromont, construite en 1986 et fermée en 1994. Ces subventions ont été accompagnées par des investissements désastreux de la ville de Bromont, qui a aménagé son territoire pour une éphémère aventure de 8 ans.

Quelques années plus tard, alors que la crise financière de 2008 ébranlait les grandes entreprises, les gouvernements américain et canadien sont venus à la rescousse de GM et Chrysler, pour leur éviter une faillite certaine.

Les milliards de dollars ont plu sur ces entreprises – sans que les gouvernements retrouvent tout leur argent: au Canada seulement, les contribuables auraient perdu 3,5 milliards (G$) dans ce sauvetage.

 

La recette est répétée depuis 2022

Depuis deux ans, la valse des subventions résonne de plus belle pour les constructeurs automobiles.

Ce ne sont pas eux qui vont payer toute la note pour l’électrification des automobiles ni les usagers: l’État assumera une grande part. GM-POSCO et Northvolt au Québec. Stellanis, Volkswagen et récemment Honda en Ontario. Le tapis rouge des subventions est déroulé en grand.

Évidemment, ces fonds publics sont versés pour l’électrification et la décarbonation. Des vertus qui donnent une apparence inattaquable à ces projets.

Mais sait-on quel plan de réduction des gaz à effet de serre va nous mener à nos objectifs de 2030 et de 2050?

Non!

Le gouvernement du Québec admet qu’il n’a identifié que 60 % des réductions à réaliser pour atteindre la cible de 2030. Quant au gouvernement fédéral, son plan 2030 permettrait au mieux de réaliser de 85 % à 90 % des réductions visées.

Le secteur du transport routier est au cœur des émissions de GES: 31 % du total au Québec. Lorsqu’on ajoute l’aérien, le maritime, le ferroviaire et le hors route, le transport monte à 43% des GES de la province.

Mais il ne faut pas penser que les véhicules sur les routes sont la seule source de GES: il faut construire ces véhicules faits d’acier, d’aluminium, de plastiques et de plus en plus de batteries.

Il faut construire les routes et les ponts – avec des tonnes d’asphalte et de béton.

Même sans pétrole, il faut produire l’énergie pour les véhicules: des barrages, des parcs éoliens et les lignes de transport (acier, aluminium, cuivre) pour acheminer l’électricité jusqu’à votre résidence.

Tous ces matériaux ne s’obtiennent pas facilement, sans énergie et sans GES.

Si on ne révise pas à la baisse la demande totale, il sera très difficile d’atteindre la carboneutralité pour 2050.

Une feuille de route existe pour un monde net zéro, mais il faut faire des efforts à tous les niveaux.

Dans son rapport de 2022, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) appelle à un changement systémique en transport, pas simplement à une électrification.

 

Revoir la mission de l’État

Si l’objectif de M. Fitzgibbon est «de faire du Québec le premier État carboneutre en Amérique du Nord», alors l’État ne peut plus simplement continuer à être au service de l’automobile.

Planifier un changement systémique ne peut pas passer par des subventions aux constructeurs automobiles et une fiscalité qui ne décourage pas un parc automobile plus grand, plus lourd, plus nombreux – comme c’est malheureusement la tendance au Québec.

La mission de l’État en transport a été évoquée par la ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault: elle ne couvrirait pas le transport collectif. Peut-être, mais elle doit couvrir la mobilité durable.

Selon la politique de mobilité durable de son ministère, celle-ci passe par la réduction des déplacements motorisés, le transfert vers des modes moins énergivores et l’amélioration des véhicules.

Que fait l’État québécois pour les deux premiers volets? Réduction et transfert devraient être au centre des actions.

La mission de l’État est de servir les Québécoises et les Québécois, pour leur permettre de prospérer.

Se mettre au service de l’automobile a été un échec couteux, et tout laisse croire que cela le sera à nouveau si les choses ne sont pas faites différemment.