Ce constat s’appuie sur l’analyse de statistiques dans quatre provinces – dont le Québec – ainsi qu'en Allemagne, en France, en Italie, au Royaume-Uni, en Espagne, au Canada, aux États-Unis, au Japon en Corée du Sud. (Photo: 123RF)
EXCLUSIF. Si l’immigration réduit la demande de travailleurs dans certains secteurs au Québec, elle fait en revanche augmenter la demande de main-d’œuvre dans l’ensemble de l’économie. Et on observe le même phénomène en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique ainsi que dans neuf pays, dont les États-Unis, conclut une nouvelle étude à paraître de l’économiste Pierre Fortin, de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
«On peut être entièrement d’accord avec l’idée que l’immigration puisse apporter une contribution bienvenue à la résolution du manque de main-d’œuvre dans les cas spécifiques d’entreprises et d’administrations où le problème est le plus aigu et le plus urgent. Mais la preuve statistique présentée ne permet pas de croire que l’immigration puisse résoudre un problème de pénurie globale de main-d’oeuvre dans l’ensemble d’une économie», écrit-il dans cette étude qui s’intitule L’immigration permet-elle d’atténuer la pénurie de main-d’œuvre?
Ce constat s’appuie sur l’analyse de statistiques sur la période 2015 à 2023 dans les quatre provinces canadiennes, mais de 2015 à 2019 dans les cas de l’Allemagne, de la France, de l’Italie, du Royaume-Uni, de l’Espagne, du Canada, des États-Unis, du Japon et de la Corée du Sud (les données internationales comparatives les plus à jour).
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Ses conclusions vont à l’encontre du discours véhiculé par certaines organisations, comme le Conseil du patronat du Québec (CPQ) et Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ), ou de partis politiques, à commencer par le Parti libéral du Canada (PLC), qui affirment que l’immigration est une solution à la pénurie de main-d’œuvre dont pâtit le marché du travail.
La publication prochaine de l’étude de Pierre Fortin survient alors que l’immigration est sans doute le débat de l’heure au Québec et ailleurs au Canada.
On s’inquiète entre autres de son incidence sur le logement, la santé et l’éducation.
Des organismes comme l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) et le CPQ nous mettent toutefois en garde par rapport aux «raccourcis» et à «certaines informations» véhiculés à propos du lien entre la crise du logement et l’immigration.
Dans un échange de courriels avec Les Affaires, l’économiste de l’UQAM souligne que son étude de 22 pages n’est pas un «plaidoyer contre l’immigration», bien au contraire.
«L’immigration est absolument essentielle pour renouveler notre assise démographique, pour enrichir notre humanité et notre culture, pour affirmer notre participation au combat contre l’inégalité mondiale de la richesse et pour agrandir notre contribution distincte au progrès culturel et scientifique de la planète», écrit-il d’ailleurs dans la conclusion.
Le «gros bon sens» contre le réel
Dans le document, il affirme que sa démarche vise tout simplement à donner l’heure juste à propos de l’hypothèse «du gros bon sens» selon laquelle plus d’immigration va nécessairement soulager la pénurie globale de main-d’œuvre dans l’ensemble de l’économie.
Or, selon lui, cette hypothèse «est fausse», comme il a pu le constater en analysant les statistiques dans quatre provinces canadiennes et neuf pays.
«La preuve extraite des données disponibles de ces régions tend à démontrer que l’immigration contribue surtout à modifier la répartition de la pénurie entre secteurs de l’économie, mais qu’elle ne produit pas de réduction globale significative de la rareté de la main-d’œuvre. Dans les cas étudiés, elle paraît au contraire l’avoir aggravée», écrit-il.
Selon Pierre Fortin, cette fausse hypothèse tient à «une erreur logique» qui est répandue dans la société, qui fait en sorte de ne voir qu’un côté de la médaille.
Il affirme que cette erreur consiste «à ne voir que la hausse de l’offre de main-d’œuvre, qui bénéficie (fort heureusement, bien sûr) aux employeurs des nouveaux immigrants et qui est facile à observer, et de ne pas prendre en compte la hausse concomitante de la demande de main-d’œuvre, laquelle se répand souvent de façon diffuse et imperceptible dans toute l’économie».
Au Québec, les travailleurs étrangers sont indispensables dans le secteur agricole. (Photo: 123RF)
Or, il fait remarquer que cette hausse de la demande globale «peut aussi frapper très fort sur certains secteurs dans des cas extrêmes, comme le démontre la multi-crise du logement et des services publics dans le contexte présent d’explosion démographique».
Pour illustrer son propos, il donne l’exemple concret et chiffré du ratio entre le nombre demandé et le nombre offert de travailleurs au Québec, et ce, de 2015 à 2023.
Ainsi, malgré une «politique d’immigration expansive» qui visait à faire augmenter l’offre plus abondamment que la demande, c’est le contraire qui s’est passé: la demande de main-d’œuvre (le nombre total de travailleurs demandés) a crû plus rapidement que l’offre de main-d’œuvre (le nombre total de travailleurs disponibles).
- En 2015, le ratio était de 94 travailleurs pour une offre de 100 travailleurs;
- En 2023, le ratio était de 99 travailleurs pour une offre de 100 travailleurs.
Dans son étude, Pierre Fortin fait remarquer que le célèbre économiste américain Paul Samuelson (professeur au Massachusetts Institute of Technology, et Nobel d’économie en 1970) nous mettait déjà en garde, dans les 1950, contre le gros bon sens et le danger de sophisme de composition.
Il s’agit de l’erreur, selon Samuelson, qui consiste à croire que «ce qui est vrai de la partie d’un tout doit forcément, pour cette raison même, être vrai pour le tout lui-même dans son ensemble».
Que faire alors dans ce contexte?
Pierre Fortin insiste: les résultats de son étude ne signifient nullement qu’il faille arrêter d’accueillir des immigrants et des travailleurs étrangers au pays, mais plutôt «que le niveau optimal n’est pas le niveau maximal».
À ses yeux, un «niveau modéré d’immigration» est nécessaire pour aider les entreprises et soulager efficacement les pénuries particulières dans les secteurs où le manque de main-d’oeuvre est le plus criant.
L’économiste affirme qu’un niveau «gérable» d’immigration peut être compatible avec une inclusion et une intégration réussies des nouveaux arrivants.
«Un tel succès exige qu’on y investisse suffisamment de ressources publiques et qu’on évite de mettre sens dessus dessous divers secteurs de l’économie, comme ceux du logement, de l’éducation, de la santé ou des services sociaux», écrit-il.
Selon lui, la grande question reste à savoir à quel niveau se situe notre «capacité d’accueil» de nouveaux arrivants.
Toutefois, il faut se méfier des courants idéologiques, insiste Pierre Fortin : «Le niveau idéal ne vient pas d’une prescription divine, mais de l’expérience pratique. Il faut se méfier des idées préconçues et des lobbys favorisant, les uns une expansion débridée, les autres le repli sur soi.»
La capacité d’accueil, fait-il valoir, doit plutôt être définie progressivement avec l’expérience acquise sur le terrain, et ce, en fonction des défis multiples qui doivent être relevés, certains économiques, d’autres sociaux.
«Il faut partir de ce qui paraît bien fonctionner concrètement en matière d’inclusion et d’intégration des immigrants, d’équilibre entre les divers secteurs de l’économie, de réponse explicite aux besoins des secteurs où le manque de main-d’oeuvre est le plus prononcé et ne peut être résolu autrement, ainsi que d’amélioration du revenu par habitant et de sa répartition entre classes de la société.»
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