Si les organisations ne sont pas seules au combat et reçoivent une aide technique, matérielle et financière importante, comment expliquer qu’un faible pourcentage d’entreprises canadiennes sont satisfaites de leur degré d’innovation et de l’atteinte des résultats escomptés? (Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. Le monde des affaires n’a d’yeux que pour l’innovation et y voit un avantage concurrentiel majeur pouvant changer la donne pour leur entreprise. On pourrait d’ailleurs étendre ce propos à toutes les formes d’organisations. Les moyens consacrés à l’innovation par le secteur privé et nos gouvernements sont aussi colossaux. Mais comprend-t-on vraiment la nature de ce processus?
Le Québec s’est même doté d’un innovateur en chef, qui travaille d’arrache-pied pour sensibiliser, encourager et appuyer les organisations dans leur quête d’innovation. Ceux qui le connaissent ou le voient en action conviendront de son engagement inébranlable à faire avancer les choses.
Il est d’ailleurs maintenant accompagné d’une équipe qui partage avec lui son impatience à vouloir aider nos organisations à prendre goût et à déchiffrer le code de l’innovation.
Pour ma part, j’ai le privilège de côtoyer depuis un certain nombre d’années l’auteur du livre «L’illusion créative», à paraître ce printemps.
Cet essai de l’auteur Jean-Sébastien Girard m’a inspiré et m’a amené à remettre en question mes croyances sur l’innovation.
Et certains des propos qui suivent en découlent.
Plus facile à dire qu’à faire
Si les organisations ne sont pas seules au combat et reçoivent une aide technique, matérielle et financière importante, comment expliquer alors qu’un faible pourcentage d’entreprises canadiennes sont satisfaites de leur niveau d’innovation et de l’atteinte des résultats escomptés?
Avons-nous réellement réussi à optimiser nos capacités innovantes?
Qu’est-ce qui est si difficile et complexe, et qui fait en sorte qu’on n’arrive pas au but visé et dans le temps espéré?
Allons-y donc avec une tentative d’explication du grand mystère de l’innovation.
Si on parle abondamment d’INNOVATION, on entend moins souvent en revanche parler de CRÉATIVITÉ.
Parfois, on les utilise même comme des synonymes, ce qui est bien entendu une erreur.
L’innovation est un produit, un résultat, tandis que la créativité est une capacité, une capacité créative qui incarne donc la base de toutes les innovations.
Par conséquent, le nerf de la guerre est de stimuler la créativité en créant un climat propice.
Or, cette étape pourtant si cruciale est souvent escamotée, surtout en raison de la tendance lourde à la fonctionnalisation, à la professionnalisation et à la technicité grandissante entourant l’innovation.
Des entraves insoupçonnées à la créativité
En théorie, de bonnes idées devraient se traduire par des innovations concrètes sur le plancher des usines, souhaitables et bénéfiques.
Toutefois, en pratique, il y a des freins à la créativité, à commencer par la perception trop répandue que la créativité est une expertise.
Cette approche réductrice est l’ennemi du bien.
Pourquoi? Parce que chaque personne dispose d’un potentiel créatif qui est en quelque sort unique.
L’étude des grands cas d’innovation au fil de l’histoire démontre que cette idée reçue (la créativité est une expertise) ne résiste pas à l’analyse des faits.
Par exemple, Elon Musk et Jeff Bezos ont démontré que l’expertise sectorielle si prisée actuellement joue en fait un rôle de secondaire dans la quête d’innovation.
Oui, oui, vous avez bien lu: un rôle secondaire.
Après tout, Bezos n’a pas été un commerçant avant de créer Amazon.
Musk ne vient pas du secteur de l’automobile et n’a jamais travaillé à la NASA.
C’est sans parler du fait que les trois co-créateurs québécois de l’un des masques de procédure les plus performants au monde (HUMASK) ne provenaient du secteur médical.
Vous avez encore des doutes?
Continuons.
La contribution majeure de Louis Braille à la qualité de vie des non-voyants et le sauvetage in extremis d’Apollo 13, dans l’espace en 1970, ont confirmé les principes de la chercheuse américaine Teresa Amabile: la motivation est de loin le critère principal derrière la quête d’innovation.
Certes, il est vrai que les innovateurs naturels ont très souvent des compétences créatives marquantes, comme une grande curiosité, une capacité naturelle de remise en question ainsi qu’une pensée divergente.
Toutefois, ils se démarquent avant tout par leur motivation.
Un autre impact important issu de cette croyance que la créativité est une expertise est qu’elle nuit à la démocratisation de la créativité au sein des organisations.
C’est sans parler des opportunités non-saisies de l’innovation citoyenne.
Attention à la «starification» dans les organisations
Par ailleurs, la tendance à la «starification» du générateur de l’idée limite également les possibilités quand on sait que l’innovation repose sur un travail d’équipe. Un écosystème collégial qui va du créateur au relayeur en passant par le commanditaire et celui qui conçoit le prototype.
Enfin, une idée prometteuse est souvent mise en danger d’être oubliée, abandonnée, voire de mourir subitement, en raison de la crise de confiance de l’idéateur envers lui-même ou envers son entourage.
C’est là que la compréhension du cycle de l’idée prend toute son importance.
Finalement, le potentiel d’innovation d’une organisation, d’un territoire ou d’une société sera toujours déterminé par sa capacité à implanter les conditions créatives gagnantes, permettant ainsi d’exploiter ce potentiel à son maximum tout en évitant les pièges.
En espérant vous rencontrer sur la route de «L’illusion créative» qui sera prochainement en tournée régionale au Québec.