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Main-d’oeuvre: les entreprises embauchent «plus que jamais»

François Normand|Mis à jour le 18 juin 2024

Main-d’oeuvre: les entreprises embauchent «plus que jamais»

Selon STIQ, la hausse du nombre d’employés la plus forte a été observée chez les entreprises comptant entre 100 et 500 employés.(Photo: courtoisie de Métal Bernard)

Fini la pénurie de main-d’œuvre? Probablement pas à terme, mais les entreprises du secteur manufacturier peuvent enfin souffler un peu, car elles embauchent «plus que jamais», selon le nouveau Baromètre industriel québécois de Sous-traitance industrielle Québec (STIQ).

Rendue publique ce mercredi à Montréal, la 15e édition du baromètre révèle qu’une PME manufacturière sur deux (48%) a enregistré une hausse d’au moins 5% de son nombre d’employés (nouveaux postes et postes vacants).

C’est un record depuis que STIQ sonde l’industrie chaque année depuis 15 ans. Selon l’organisme, la hausse du nombre d’employés la plus forte a été observée chez les entreprises comptant entre 100 et 500 employés.

Pour arriver à ce constat, la firme BIP recherche a effectué un sondage téléphonique auprès de 500 PME (dans un bassin de 2 900 entreprises), et ce, du 17 janvier au 13 février. La marge d’erreur est donc plus ou moins 3,9%, et ce, 19 fois sur 20.

Le précédent sommet datait de 2019, un an avant la pandémie de COVID-19, alors que 42% des entreprises avaient vu leur nombre d’employés augmenté de plus de 5%.

Pour mettre les choses en perspectives, la moyenne pour la période 2011-2022 s’élève à 35%.

Malgré tout, l’an dernier, 12% des PME manufacturières ont quand même perdu au moins 5% des effectifs. C’est toutefois la proportion la plus faible depuis 2019, en plus d’être sous la moyenne de 15% pour la période 2011-2022.

 

Main-d’œuvre: deux facteurs déterminants

En entrevue à Les Affaires, Richard Blanchet, PDG de STIQ, dit que lui et son équipe ont été «à première vue» surpris par la relance de l’embauche en 2023.

«Historiquement, il y a un lien entre l’augmentation des ventes et l’augmentation de l’embauche. Or, en 2023, on a assisté à une baisse des ventes dans l’indusrie, mais à une progression de l’embauche. Il y a comme une contradiction», souligne-t-il.

Comment expliquer alors dans ce contexte cette embellie importante au niveau de la main-d’œuvre?

STIQ a tâté le pouls de l’industrie en organisant un groupe de discussion avec quelques dirigeants d’entreprises. Les entrepreneurs identifient deux grandes raisons.

Premièrement, le ralentissement de l’économie au Québec en 2023 et les mises à pied dans plusieurs grandes entreprises ont accru l’offre de demandeurs d’emploi. Des PME ont même reçu des curriculum vitae, ce qui était assez rare ces dernières années.

Deuxièmement, le recrutement de travailleurs à l’étranger a aussi été élevé l’an dernier. En 2020 et 2021, c’était impossible en raison de la pandémie. En 2022, des entreprises ont entamé des démarches. Mais puisqu’il faut généralement de 12 à 18 mois pour ce processus (de la sélection à l’arrivée au Québec), les embauches formelles se sont concrétisées en 2023.

Des témoignages de chefs d’entreprise – publiés dans le baromètre – permettent de mieux comprendre comment le marché du travail a changé de manière importante, malgré une conjoncture économique plus difficile.

«Selon moi, il y a deux facteurs pour expliquer ce paradoxe. Le bassin de travailleurs étrangers a beaucoup augmenté au cours des 12 derniers mois et le contexte économique est un peu plus tranquille ces temps-ci. Et, je pense que nos organisations étaient peut-être «sous-staffées», donc nos chiffres d’affaires sont restés semblables, mais il nous manquait 5-6 travailleurs pour compléter notre organigramme», explique Claude Fournier, PDG de Sixpro, une PME spécialisée dans le traitement de surface sur pièces métalliques.

 

Le recrutement de travailleurs à l’étranger a aussi été élevé l’an dernier. En 2020 et 2021, c’était impossible en raison de la pandémie. (Photo: courtoisie de Clé en main industriel Québec / CEMIQ)

Philippe Dufresne, président de Mecan-Hydro, une entreprise qui fabrique des équipements de gestion de l’eau pour les barrages, salue le fait que les demandeurs d’emploi se manifestent à nouveau.

«Chez nous, on a recommencé à recevoir des CV quand on affiche des postes et pas seulement en manufacturier. Quand on met une offre d’emploi, maintenant, on en reçoit», raconte l’entrepreneur.

Pour sa part Geneviève Paré, co-propriétaire-directrice développement des affaires et développement organisationnel chez AMEC Corporation, une PME qui fait de l’usinage et de l’assemblage de précision, souligne que son entreprise et d’autres organisations ont tout fait pour garder leur monde et mieux les former.

«Je pense que les gens ont préféré garder leurs employés, même s’ils ont connu une diminution des ventes, parce qu’ils craignent de perdre leur main-d’œuvre avec tous les enjeux de pénurie, même si cela augmente leurs frais. La pénurie nous a forcés à faire plus de formation à l’interne, structurer nos départements de formation pour augmenter les compétences de nos gens. Donc, on a de meilleurs employés, qui sont plus efficaces, avec des équipements de plus en plus performants», explique-t-elle.

Malgré tout, Richard Blanchet fait remarquer que la toile de fond de la pénurie de la main-d’oeuvre au Québec n’a pas fondamentalement changé: la population du Québec vieillit, ce qui réduit le bassin de travailleurs.

«Quand l’économie va reprendre, on pense que ça va redevenir plus difficile d’embaucher. Le choc démographique ne change pas», insiste le PDG de STIQ.

 

Amélioration importante de la rentabilité

Le retour en force de l’embauche d’employés n’est pas le seul facteur surprenant de cette 15e édition du Baromètre industriel. Il y a aussi l’amélioration de la rentabilité des entreprises, malgré le ralentissement économique.

Ainsi, 40% des PME ont vu leur rentabilité augmenter l’an dernier par rapport à 2022. C’est pratiquement le double de la proportion des entreprises qui ont plutôt enregistré une baisse (22%).

Par ailleurs, la rentabilité est demeurée stable ou équivalente pour le tiers des répondants (35%).

Les chefs d’entreprise attribuent leur meilleure rentabilité à plusieurs facteurs:

  • Une amélioration de l’efficacité des processus et un contrôle plus serré des coûts.
  • Une augmentation de la productivité ou de la performance des employés, notamment par une meilleure formation et un accroissement des compétences.
  • Le fait que les clients acceptent maintenant l’augmentation des prix, alors qu’ils y étaient réticents il y a deux ans.
  • Une relative stabilisation des chaînes d’approvisionnement en 2023, après des années de fortes turbulences et de fluctuations rapides des prix.
  • Une certaine épuration des clients ou des contrats non ou peu rentables.

 

Jacques Brochu, vice-président développement des affaires chez Canmec Industriel, qui fabrique et usine des composantes mécaniques, résume sans doute bien ce qui s’est passé dans plusieurs entreprises.

«Au niveau de la rentabilité des entreprises, je vois deux points. Lors des années difficiles d’embauches, il a fallu qu’on augmente notre efficacité, être tout aussi opérationnel avec moins d’employés, ce qui augmente les marges. Puis, l’autre chose, je vous dirais qu’à partir de l’été, le marché a accepté des prix plus élevés», indique-t-il.