L'usine de Sorel-Tracy de Rio Tinto Fer et Titane pourrait profiter du fait que la guerre en Ukraine risque d’affecter les exportations de minéraux stratégiques de la Russie, incluant le scandium, souligne une analyse américaine. (Photo: 123RF)
C’est officiel: le Québec a commencé à s’attaquer à l’oligopole de la Russie et de la Chine dans la production d’un minerai critique grâce à la nouvelle usine d’oxyde de scandium de Rio Tinto Fer et Titane, à son complexe métallurgique de Sorel-Tracy. Cette production permettra aussi de «dérisquer» les approvisionnements des entreprises occidentales et japonaises.
En avril, l’usine a produit un premier lot d’oxyde de scandium de haute pureté. Rio Tinto Fer et Titane devient ainsi le premier producteur de ce minerai critique en Amérique du Nord. Le 17 juin, la multinationale anglo-australienne avait inauguré cette usine, un investissement de 6 millions de dollars, dans lequel le gouvernement du Québec a injecté 650 000 $.
«Nous sommes très heureux et fiers de produire du scandium avec de hauts standards de pureté correspondant aux besoins de l’industrie», dit en entrevue à Les Affaires Didier Arseguel, vice-président des technologies chez Rio Tinto Fer et Titane.
Le scandium est un élément blanc argenté, qui fait partie de la famille des terres rares.
Il est notamment utilisé pour fabriquer des piles à combustible à oxyde solide (par exemple, pour un système d’urgence dans un hôpital) et des alliages d’aluminium, recherchés dans l’aérospatiale et l’industrie automobile.
De 20 à 30% de la production mondiale
À terme, l’usine de Sorel-Tracy produira 3 tonnes d’oxyde de scandium par année, et l’entreprise estime pouvoir atteindre cette cadence d’ici la fin de 2022, indique Didier Arseguel. «Aucun élément ne nous montre qu’on n’est pas capable d’y arriver», dit-il.
À ce niveau de production, le scandium produit à Sorel-Tracy pourrait représenter de 20 à 30% de l’offre mondiale de ce minerai critique. Rio Tinto Fer et Titane croit même possible de pouvoir atteindre un jour une production de 30 tonnes par année si la demande est au rendez-vous.
Fait particulier, il est difficile de savoir avec certitude la production mondiale de scandium.
Par exemple, la société américaine Scandium International Mining Corporation l’estime de 10 à 15 tonnes par année, tandis que la United States Geological Survey (USGS) — une agence fédérale américaine — l’évalue plutôt de 15 à 25 tonnes par année.
Chose certaine, la Chine et la Russie dominent l’industrie, avec une production combinée représentant 92% de l’offre mondiale, selon les données du projet Scandium aluminium Europe (SCALE).
En juin, l’organisation estimait que les Chinois en produisaient 66%, tandis que les Russes en produisaient 26% — sans tenir compte de la nouvelle production québécoise.
Le début de la production d’oxyde de scandium à Sorel-Tracy survient alors que la Russie est visée par un florilège de sanctions économiques dans la foulée de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe, le 24 février.
Rio Tinto Fer et Titane extrait de l’oxyde de scandium de haute pureté à partir des résidus miniers générés lors de la production de dioxyde de titane à son complexe métallurgique à Sorel-Tracy. (photo: courtoisie)
Les exportations russes affectées par la guerre
Ces sanctions risquent d’affecter les exportations de minéraux stratégiques de la Russie, incluant le scandium, souligne une récente analyse du Center on Global Energy Policy de l’Université Columbia, à New York.
Didier Arseguel estime qu’il est trop tôt pour évaluer si la production québécoise d’oxyde de scandium pourra trouver de nouveaux acheteurs, en Europe, par exemple, en raison de la guerre en Ukraine. «Nous n’avons pas de réponse à sujet à ce stade-là», dit-il.
En revanche, Rio Tinto Fer et Titane compte bien présenter au marché la production de Sorel-Tracy comme une alternative aux approvisionnements en provenance de la Russie et de la Chine, deux pays qui ont des relations politiques et économiques difficiles avec la plupart des pays industrialisés, à commencer par les États-Unis.
«On peut contribuer à “dérisquer” les approvisionnements des entreprises» occidentales et japonaises, affirme Didier Arseguel.
Le Canada (et le Québec) a plusieurs atouts comparativement à la Russie et à la Chine.
C’est une démocratie et un État de droit, membre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui présente en plus un environnement réglementaire prévisible et stable.
Un procédé d’économie circulaire
Rio Tinto Fer et Titane fera aussi valoir le côté durable de sa production de scandium à Sorel-Tracy.
La multinationale n’y produit pas de l’oxyde de scandium à partir de minerais extraits directement de sa mine d’ilménite près de Havre-Saint-Pierre, sur la Côte-Nord. Elle extrait plutôt de l’oxyde de scandium de haute pureté à partir des résidus miniers générés lors de la production de dioxyde de titane à Sorel-Tracy.
Ce procédé d’économie circulaire permet donc à l’entreprise de réduire l’empreinte environnementale de ses activités et d’être plus productive par tonne de minerais extraits dans le sol.
Les réserves mondiales de scandium sont «abondantes», selon la USGS.
Des travaux de géologie ont identifié des ressources en Australie, au Canada, en Chine, en Finlande, en Guinée, au Kazakhstan, à Madagascar, en Norvège, en Afrique du Sud, aux Philippines, en Russie, en Ukraine et aux États-Unis.