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Stratégie industrielle: le Canada doit s’inspirer de l’Allemagne

François Normand|Publié le 14 Décembre 2020

Le Canada a une «stratégie industrielle générique» qui manque de cohérence et de vue d'ensemble, déplore Monique Leroux.

Pour relancer son économie et atteindre son plein potentiel de croissance, le Canada doit se doter d’une vraie stratégie industrielle qui repose sur quatre piliers, affirme le rapport du Conseil sur la stratégie industrielle, présenté officiellement au gouvernement Trudeau ce vendredi.

Pour y arriver, le Canada doit devenir une économie numérique axée sur les données, être un chef de file mondial sur le plan ESG dans les ressources naturelles, les énergies vertes et les technologies propres, bâtir un secteur manufacturier innovant à valeur ajoutée, ainsi que miser davantage sur son avantage agroalimentaire pour nourrir la planète.

Ces quatre piliers permettront de créer une économie numérique, durable et innovante, souligne le rapport du conseil présidé par Monique Leroux, l’ancienne patronne du Mouvement Desjardins et aujourd’hui conseillère stratégique chez Fiera Capital.

Ottawa a créé l’organisme en mai pour l’aider à relancer l’économie, qui était alors frappée de plein fouet par la première vague de COVID-19.

Pour produire ce rapport de 142 pages, l’organisme a consulté plus de 1 000 entreprises, associations, représentants des milieux d’enseignement supérieur, organismes communautaires, communautés autochtones et groupes de jeunes.

En entrevue à Les Affaires, Monique Leroux déplore que le Canada n’ait pas à proprement dit de stratégie industrielle, même si le gouvernement fédéral a lancé au fil des ans divers programmes pour stimuler par exemple l’innovation ou la construction d’infrastructures.

«Nous avons plutôt une stratégie générique, qui ne prend position que sur une base sectorielle», explique l’ancienne dirigeante de Desjardins.

Elle souligne aussi qu’Ottawa préconise une politique du «laisser-faire» pour développer le secteur industriel au pays. «Or, ça ne marche pas», laisse tomber Monique Leroux, car on n’a pas de vue d’ensemble pour agir de manière cohérente et intégrée.

À ses yeux, le Canada a tout intérêt à s’inspirer des stratégies planifiées de puissances industrielles comme la Chine et l’Allemagne.

 

La vision industrielle de Pékin et Berlin

En 2015, Pékin a lancé la stratégie industrielle Made in China 2025, qui vise à faire de la Chine LA puissance manufacturière en matière de qualité dans le monde devant les États-Unis, l’Allemagne et le Japon.

Cette politique se décline en trois étapes charnières.

En 2025, l’industrie chinoise doit être très innovante et très efficace. En 2035, la Chine doit pouvoir concurrencer avec les principales puissances manufacturières en matière de qualité. En 2049, année du centenaire de la fondation de la Chine communiste, le pays veut être LA puissance manufacturière dominante.

En 2019, l’Allemagne s’est aussi dotée d’une ambitieuse politique industrielle, Une stratégie industrielle nationale pour 2030, afin de protéger ses fleurons nationaux et stimuler l’innovation.

Précisément, cette stratégie vise à défendre des secteurs clés comme la métallurgie, l’automobile, les machines-outils, la chimie ou les innovations de rupture, tout en s’assurant que l’Allemagne demeure un leader industriel et ne devienne pas une économie de sous-traitants au service de multinationales chinoises et américaines.

Monique Leroux estime qu’Ottawa aurait aussi intérêt de s’inspirer en partie du gouvernement du Québec, qui a une approche davantage dirigiste — inspirée entre autres des modèles français et allemand — dans le développement de son industrie.

Le Québec se distingue également dans l’appui financier à ses fleurons, selon elle.

Contrairement aux investisseurs institutionnels québécois comme la Caisse de dépôt et placement du Québec, les caisses de retraite du Canada anglais «n’investissent pas de façon significative» dans les infrastructures stratégiques du pays et dans les «entreprises qui pourraient être des leaders mondiaux», fait remarquer Monique Leroux.

Elle donne les exemples d’Alimentation Couche-Tard et de CGI, qui ont grandement bénéficié de l’apport de capitaux québécois dans leur croissance et dans leur expansion sur les marchés étrangers.

 

Une station-service de Circle K, propriété de Couche-Tard. (Photo: courtoisie Couche-Tard)

 

4 piliers interreliés pour stimuler la croissance

Chacun des quatre piliers de la stratégie industrielle proposée comprend des mesures spécifiques.

Économie numérique — Le conseil propose quatre grandes actions : bâtir un réseau numérique canadien mondial afin de faire du Canada une société numérique, soutenir les entreprises canadiennes de taille moyenne supérieure, créer un talent canadien très qualifié en tant qu’avantage sur le plan mondial, ainsi que tirer parti de la propriété intellectuelle et promouvoir la valeur des données.

Plan ESG — Le conseil propose trois grandes actions : soutenir tous les secteurs des ressources naturelles pour qu’ils deviennent des fournisseurs ESG mondiaux et des innovateurs en matière de produits, tirer parti des atouts des technologies propres pour accélérer les exportations et l’adoption nationale et décarboner les secteurs industriels clés, ainsi qu’inciter tous les secteurs à respecter les engagements de l’Accord de Paris sur le climat.

Manufacturier — Le conseil propose quatre grandes actions : stimuler l’investissement en innovation et en commercialisation, accélérer la création et l’adoption de la technologie, établir un lien entre les grappes technologiques et les entreprises de fabrication, ainsi qu’acquérir les compétences et les talents pour la fabrication 4.0.

Agroalimentaire — Le conseil propose quatre grandes actions : bâtir les infrastructures et l’accès au marché nécessaires à la croissance future, déployer des investissements dans des secteurs où le Canada est concurrentiel, accroître la numérisation afin d’améliorer la productivité, ainsi que moderniser les systèmes de réglementation et bâtir un bassin de talents du 21e siècle.

 

Réduction de la dette

Par ailleurs, Monique Leroux explique que cette stratégie industrielle s’inscrit dans un plan de relance de l’économie canadienne plus vaste qui repose sur cinq «R».

Il s’agit de Redonner confiance aux entreprises et aux consommateurs canadiens en maintenant les mesures de soutien pour combattre la COVID-19, de Relancer la croissance en doublant les investissements, de Repenser une stratégie industrielle, de Relancer de nouveaux partenariats entre les investisseurs publics et privés,  ainsi que de Réduire la dette et le déficit budgétaire.

Si Ottawa applique ce plan de relance (en incluant la pièce maîtresse de la création d’une stratégie industrielle), l’économie canadienne pourrait croître de 0,8 à 1,1 point de pourcentage de plus par année, estime le conseil.

En 2030, ces points supplémentaires pourraient représenter un ajout de produit intérieur brut (PIB) oscillant de 235 à 310 milliards de dollars par année.

Toutes les recommandations du conseil sont intégrées et réfléchies, a tenu à souligner Monique Leroux.

Ainsi, si cette croissance supplémentaire est au rendez-vous et que le Canada déploie une stratégie industrielle, Ottawa aura à terme davantage de recettes fiscales pour payer les sommes importantes qu’il a dû emprunter pour combattre la pandémie de COVID-19.

«Ça va permettre de rembourser en partie la dette et les déficits», dit-elle.