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Trouver le juste prix en s’adaptant à l’inflation

Karl Rettino-Parazelli|Édition de la mi‑septembre 2022

Trouver le juste prix en s’adaptant à l’inflation

«­­Quand on a recommencé à prendre des commandes, les nouvelles clauses étaient déjà en place. On ne pouvait pas réparer le passé, mais au moins, on a arrêté de subir des dommages», dit Nadine ­Bernier, directrice stratégique de l’approvisionnement, ­Demers ­Ambulances. (Photo: courtoisie)

SECTEUR MANUFACTURIER ET INFLATION. Quand la pandémie s’est mise à perturber les chaînes d’approvisionnement, Demers Ambulances s’est retrouvée face à un problème de taille. Le délai pour recevoir les châssis de Ford, de General Motors ou de Mercedes qui lui permettent de fabriquer ses ambulances est passé d’environ six mois à un an, voire deux. Les commandes continuaient à s’accumuler, mais les livraisons se faisaient au compte-gouttes. La solution ? Appuyer sur pause. 

« On a arrêté de prendre des commandes pendant environ trois à six mois, explique la directrice stratégique de l’approvisionnement chez Demers Ambulances, Nadine Bernier. Les clients n’avaient jamais vu ça. » 

Ce temps d’arrêt a permis à l’entreprise de s’interroger sur sa mise en marché et sur son mécanisme de fixation des prix. Avec l’inflation galopante, elle craignait de produire à perte des ambulances livrées parfois une année et demie après la confirmation de la commande. 

Les dirigeants ont commencé par négocier les contrats déjà signés, lorsque c’était possible, afin de modifier les prix pour tenir compte de la poussée inflationniste. « Certains contrats étaient négociables, mais d’autres n’ont pas pu être rouverts », précise Nadine Bernier. 

Ils se sont ensuite entendus sur la nécessité d’inclure une clause d’indexation des prix dans les futurs contrats, afin d’éviter les problèmes récents. Ils ont déterminé différents indices permettant de suivre en temps réel le prix de certaines matières premières essentielles à leur production, comme l’aluminium, et les ont intégrés aux nouvelles ententes. Si l’indice augmente, le prix du contrat augmente. Si l’indice baisse, le prix suit la même trajectoire. 

« Quand on a recommencé à prendre des commandes, les nouvelles clauses étaient déjà en place. On ne pouvait pas réparer le passé, mais au moins, on a arrêté de subir des dommages », résume Nadine Bernier. 

Manufacturiers et exportateurs du Québec croit d’ailleurs que cette idée d’inclure une clause pour tenir compte de l’inflation devrait s’appliquer aux contrats publics, que des entreprises manufacturières signent par exemple avec le gouvernement du Québec. Dans ses demandes déposées en vue de la campagne électorale provinciale, l’association souhaite qu’une telle clause indique que les dépassements de coûts causés par l’inflation doivent être absorbés par le gouvernement.

 

Augmentations nécessaires

« Il est certain qu’à l’heure actuelle, avec le coût de la main-d’œuvre et des intrants qui sont très élevés, les entreprises doivent être certaines de fixer adéquatement leurs prix, quitte à perdre des clients non rentables », affirme Nancy Jalbert, associée chez Raymond Chabot Grant Thornton. 

Le président de Moderco, Stephan Julien, raconte par exemple que son entreprise n’a pas hésité à augmenter le prix des cloisons déjà commandées pour préserver sa marge de profit. À l’été 2021, il a donné 30 jours aux distributeurs avec lesquels il fait affaire pour retirer les projets déjà inscrits à son carnet de commandes, sans quoi le prix de ces projets était automatiquement haussé de 5 %. 

Depuis l’automne 2021, son entreprise impose également une surcharge fixe de 15 % sur chaque contrat afin de tenir compte de l’augmentation du coût des matières premières. « Les clients ont été très compréhensifs », assure-t-il. 

Pour déterminer l’augmentation de prix adéquate, le président de Moderco et son équipe ont analysé leurs coûts de production à plusieurs reprises en l’espace d’un an. « Auparavant, on faisait l’exercice une fois par année parce que ce n’était pas nécessaire de le faire plus souvent, mais en 2021, on l’a fait trois ou quatre fois », dit-il. 

Sylvain Tessier, président de ST Marketing, croit que cet exercice d’analyse doit se faire de façon régulière, idéalement avec des indicateurs disponibles et mis à jour en temps réel. À son avis, élaborer une stratégie de commercialisation profitable, c’est savoir quel produit vendre à quel prix, mais aussi quel client ou quel produit laisser de côté. 

Il est possible, selon Sylvain Tessier, qu’une entreprise fabrique des produits qui ne sont pas rentables ou qui contribuent très peu aux profits. « C’est beaucoup mieux d’abandonner certaines gammes de produits et de se concentrer sur les produits et les clients rentables, dit-il. C’est une des stratégies les plus importantes. » 

« J’ai déjà fait affaire avec une entreprise qui avait 2000 clients. Sur les 2000, environ 600 n’avaient rien acheté depuis un an, 450 avaient acheté plus et le reste avait acheté moins. Mais le dirigeant n’avait jamais fait ces analyses-là », poursuit-il. En ciblant ses meilleurs clients, une entreprise peut tenter de leur vendre plus de produits, ce qui constitue selon lui une stratégie de croissance organique trop souvent négligée. 

Pour ce qui est du marketing, il peut être tentant d’y mettre la hache au moment où tout coûte plus cher. Couper sans discernement peut cependant être une grave erreur, prévient Sylvain Tessier. « Des entreprises vont peut-être retarder le développement de leur nouveau site web ou décider de ne pas s’afficher dans certains salons d’affaires, mais il ne faut absolument pas que la relation d’affaires et la relation client soient négligées. »