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Une grappe de fournisseurs 4.0 émerge au Québec

François Normand|Publié le 30 mai 2019

Une nouvelle étude de Deloitte et de E&B Data décortique un secteur émergent au Québec qui exporte déjà son expertise.

Sans tambour ni trompette, une nouvelle grappe de fournisseurs d’équipements, de logiciels et de services spécialisés pour le manufacturier intelligent ou 4.0 voit le jour au Québec. Par contre, cette industrie fait face à un défi de taille : la demande québécoise pour ces technologies est trop faible, ce qui la force à exporter son expertise, révèle une étude réalisée par Deloitte et E&B Data.

L’étude, qui s’intitule La fabrication de pointe au Québec (Portrait de l’offre et faits saillants de l’infrastructure de soutien et de la demande), est rendue publique ce jeudi lors de l’assemblée annuelle du Regroupement des entreprises en automatisation industrielle (REAI), au Centech à Montréal.

Le ministère fédéral de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique (ISDE), Développement économique Canada (DÉC) pour les régions du Québec, le ministère de l’Économie et de l’Innovation (MIE), le REAI, le Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ) et le Mouvement Desjardins ont appuyé cette étude.

Une usine intelligente ou 4.0 (pour quatrième révolution industrielle) est un établissement qui utilise, connecte et intègre les nouvelles technologies pour améliorer son efficacité, mieux répondre à la demande et réduire ses coûts.

Au Québec, quand vient le temps de convertir une usine au 4.0, la perception est souvent forte qu’il faille nécessairement acheter par exemple des équipements de fournisseurs allemands ou acquérir des logiciels auprès de firmes américaines.

Or, le Québec abrite une industrie de la fabrication de pointe (équipements, logiciels, services spécialisés) qui compte 681 entreprises employant 44 691 personnes, et ce, aux quatre coins de la province.

(TPE : très petite entreprise, PE : petite entreprise, MGE : moyenne et grande entreprise)

Une grappe de fournisseurs en forte croissance

Cette grappe affiche un PIB sectoriel d’environ cinq milliards de dollars.

Parmi ces fournisseurs (de propriété québécoise ou étrangère), on retrouve des entreprises comme Premier Tech, CMP (Advanced Mechanical Solutions), Olympus, Siemens ou Honeywell, de même que des firmes comme WSP et CGI.

Et ces entreprises sont très dynamiques au chapitre de l’emploi.

«En moyenne, ces fournisseurs affichent une croissance annuelle de 15% par année depuis trois ans», souligne Jean Matuszewski, économiste principal chez E&B Data.

On retrouve des entreprises de toutes les tailles.

Plusieurs sociétés offrent des solutions dans l’une ou l’autre des trois spécialisations (équipements, logiciels, services spécialisés). D’autres en revanche ont une offre intégrée de deux ou trois de ces produits ou services.

Autre signe de dynamisme : les exportations des produits et services de ces fournisseurs ont augmenté très rapidement entre 2016 et 2018, comme en témoigne l’évolution des exportations canadiennes de robots industrielles.

Ainsi, la part du Québec est de plus en plus importante (même si elle demeure minoritaire) dans les exportations canadiennes, alors que celle de l’Ontario (la majorité des exportations canadiennes) est en déclin.

Cela ne signifie pas nécessairement que les entreprises québécoises prennent des parts de marché aux sociétés ontariennes à l’étranger, selon les auteurs de l’étude.

Cette diminution des exportations ontariennes peut aussi s’expliquer par une demande importante des entreprises manufacturières en Ontario pour les produits et les services liés au 4.0, notamment dans l’industrie automobile.

Les entreprises québécoises tardent à prendre le virage 4.0

Le contexte est tout autre au Québec, où la demande «demeure dans l’ensemble lente à intégrer la fabrication de pointe», peut-on lire dans les grands constats de l’étude.

Cette situation incite d’ailleurs une partie importante des fournisseurs québécois à décrocher des contrats à l’extérieur du Québec.

«La plupart de nos membres se tournent vers les États-Unis, où les entreprises se convertissent plus rapidement au 4.0 et où il est moins compliqué de vendre leurs produits et leurs services», affirme Carl Fugère, directeur général du REAI.

Au Québec, les fournisseurs doivent même encore convaincre des entrepreneurs du bien-fondé de passer au 4.0, selon Carl Fugère.

Une situation que déplore Louis H. Duhamel, conseiller stratégique chez Deloitte, qui sensibilise depuis des années l’industrie manufacturière québécoise à propos de l’importance de faire cette transition afin que l’économie québécoise demeure compétitive.

«Qu’est-ce qu’on peut faire? Ça passe par l’investissement privé», lâche-t-il.

À ses yeux, il y a un avantage concret pour les entreprises québécoises à faire affaire avec des fournisseurs basés au Québec pour devenir 4.0 : les joueurs stratégiques sont ici, ils connaissent bien l’écosystème manufacturier québécois, ils sont accessibles, sans parler du fait que tout se fait en dollars canadiens.

Gérald St-Aubin, vice-président, stratégies et marketing, entreprises chez Desjardins, estime que le mouvement coopératif a un rôle à jouer pour inciter les entrepreneurs à prendre ce virage.

«On doit être à l’écoute de l’entrepreneur, et partager davantage le risque avec lui, en prenant par exemple de l’équité dans le capital de son entreprise», dit-il.

Car transformer une entreprise en manufacturier 4.0 n’est pas une mince affaire. Cela peut nécessiter des investissements de 10, 15, 20 millions de dollars, sans parler du rendement sur l’investissement qui peut prendre plusieurs années.

Selon Stéphane Pronovost, chef de la recherche chez Développement économique Canada à Montréal, le vieillissement des chefs d’entreprises complique la transformation numérique des entreprises manufacturières, car elles sont souvent plus résistantes aux changements technologiques.

«C’est un défi de taille», insiste-t-il.

Chose certaine, à terme, le secteur manufacturier n’aura pas vraiment le choix de se convertir au 4.0 puisque la multiplication des accords de libre-échange du Canada avec d’autres pays accroît la concurrence étrangère ici.

Par exemple, l’Accord économique et commercial global (AECG) avec l’Union européenne, entré en vigueur en septembre 2017, facilite l’accès au marché québécois aux entreprises manufacturières allemandes, championnes du 4.0 dans le monde.

De plus, sur le plan macro-économique, l’économie québécoise a aussi intérêt à ce que la demande en produits et en services 4.0 augmente au Québec, et ce, pour soutenir la grappe de fournisseurs qui émerge depuis quelques années, selon les auteurs de l’étude.

Certes, les fournisseurs peuvent continuer d’accroître leur chiffre d’affaires en exportant leurs solutions technologiques ailleurs au Canada et à l’étranger.

En revanche, la nouvelle grappe atteindra seulement son plein potentiel s’il y a une adéquation entre l’offre et la demande, la grappe québécoise de l’aérospatiale en étant sans doute le meilleur exemple.

Les fournisseurs québécois y sont dynamiques, car les donneurs d’ordre de l’industrie de l’aérospatiale du Québec sont dynamiques. Une situation qui a permis de créer au fil des ans des fournisseurs de différentes catégories (T1, T2 et T3).