Depuis deux décennies et surtout depuis la crise de 2014, Moscou s'est en effet efforcé de se constituer une santé financière irréprochable, avec un taux d'endettement très faible et des réserves de plus de 600 milliards de dollars américains constituées grâce à la rente pétrolière. (Photo: 123RF)
Paris — Un défaut de paiement de la Russie sur sa dette extérieure paraît moins probable cette semaine après un versement de fonds par Moscou. Mais nombreuses restent les questions en suspens.
Pourquoi ce 4 mai est-il une date clé?
«C’est le dernier délai» pour que la Russie verse près de 650 millions de dollars américains à ses créanciers pour deux obligations arrivant à échéance en 2022 et 2042, explique à l’AFP Slim Souissi, directeur adjoint de l’IUP de Caen, spécialiste des banques qui a travaillé pour l’agence de notation Fitch.
Le 4 mai est une session de rattrapage: Moscou devait normalement payer le 4 avril. Mais les autorités américaines l’avaient empêché d’utiliser des dollars détenus dans des banques américaines. Le gouvernement russe avait en conséquence annoncé qu’il s’acquitterait de ses obligations en roubles.
Sauf qu’un tel paiement en roubles n’était pas prévu dans le contrat passé avec les créanciers. Et donc pouvait être considéré comme un défaut de la Russie, au terme d’une «période de grâce» lui laissant 30 jours de délai pour trouver une solution.
Ce serait le premier défaut de la Russie sur sa dette extérieure depuis 1918.
Où en est-on?
La Russie a affirmé vendredi avoir payé en dollars ses dettes sur les deux obligations, sans utiliser de fonds détenus dans une banque aux États-Unis. Une information confirmée mardi à l’AFP par une source officielle américaine, qui fait valoir que cela réduit les réserves dans lesquelles Moscou peut puiser pour financer la guerre.
La branche londonienne de la banque Citigroup, chargée de distribuer les dollars aux créanciers, n’avait pas confirmé mercredi si les paiements avaient bien été effectués. Mais l’agence Bloomberg a affirmé que trois créanciers avaient reçu de l’argent.
Slim Souissi se dit «confiant» sur une issue favorable pour Moscou. Une opinion semble-t-elle partagée sur les marchés financiers, où le prix des assurances («Credit Default Swaps» ou CDS) pour se prémunir contre le défaut de paiement russe a nettement reculé ces derniers jours, signe d’une moindre demande.
Le comité international de créanciers chargé d’activer ou non ces assurances (CDDC) a indiqué pour sa part mardi soir qu’il continuait à «surveiller» la situation.
Que se passerait-il en cas de défaut?
«Lorsqu’un État fait défaut, cela limite ses capacités financières généralement pendant une très longue période», à l’instar de la Grèce dont l’accès au marché international de la dette a été coupé pendant plusieurs années, rappelle à l’AFP Tim Samples, professeur de droit à l’Université de Géorgie aux États-Unis.
En cas de défaut, la Russie perdrait l’accès à une source de financement importante ou serait contrainte de payer des taux d’intérêt prohibitifs — dans les faits, elle ne peut déjà plus lever de fonds à cause des sanctions occidentales.
L’annonce d’un défaut est par ailleurs cruciale pour les détenteurs de créances impayées, qui risquent de perdre une partie, voire la totalité de leur argent.
Sur le plan juridique aussi, la situation risque de virer au casse-tête: les obligations russes sont particulièrement floues concernant la juridiction à même de trancher les litiges entre prêteur et emprunteur, affirment à l’AFP plusieurs experts en droit interrogés. «Ces obligations sont très inhabituelles», estime Tim Samples, «leur manque de clarté va entraîner un conflit épineux».
Quelles sont les prochaines échéances pour Moscou?
Si la Russie respecte la date limite du 4 mai, elle n’est pour autant pas sortie d’affaire cette année.
En 2022, le gouvernement doit encore faire face à treize échéances. La prochaine, le 27 mai, porte sur 100 millions d’euros d’intérêts pour deux obligations: l’une impose un paiement uniquement en dollars, en euros, en livres ou en francs suisses ; l’autre peut éventuellement être payée en roubles.
La dette extérieure de la Russie représente, selon son ministère des Finances, environ 4 500 à 4 700 milliards de roubles (une cinquantaine de milliards d’euros au taux actuel), soit 20% de la dette publique totale.