Depuis deux décennies et surtout depuis la crise de 2014, Moscou s'est en effet efforcé de se constituer une santé financière irréprochable, avec un taux d'endettement très faible et des réserves de plus de 600 milliards de dollars américains constituées grâce à la rente pétrolière. (Photo: 123RF)
Paris — Le défaut de paiement de la Russie est inévitable après six mois de sanctions financières occidentales dans le sillage de l’invasion de l’Ukraine, mais les conséquences sur les investisseurs et le pays sont encore peu claires. Le point sur cet épineux dossier.
La Russie est-elle en défaut de paiement?
Cela a la couleur du défaut, le goût du défaut… mais aucune autorité légitime ne l’a vraiment officialisé.
Celui-ci est généralement prononcé lorsqu’un État n’a pas remboursé un emprunt ou des intérêts sur cet emprunt à une date précise, ou lorsqu’il se déclare publiquement insolvable, à l’image du Sri Lanka en avril.
Le défaut peut être alors prononcé par une ou plusieurs des trois grandes agences de notation financière S&P Global, Fitch et Moody’s.
S&P a placé la Russie en «défaut sélectif», à un cran du défaut, et Moody’s a évoqué un «défaut» après la non-réception de 100 millions de dollars américains par des créanciers fin juin, sans toucher à la note.
Le défaut peut aussi être entériné par le déclenchement des assurances auxquelles souscrivent les investisseurs pour s’en prémunir, à savoir les Credit Default Swaps ou CDS, à l’initiative d’un comité de créanciers composé de grandes institutions financières.
Ce cénacle s’en est tenu pour l’instant à déclarer un «événement de crédit» en juin après le non-paiement par Moscou de 1,9 M $ US d’intérêts de pénalités sur une échéance d’avril.
Pourquoi la situation est-elle si compliquée?
Car au centre du problème il y a les sanctions imposées par l’Occident. Les agences de notation ne sont plus autorisées à évaluer la Russie et le comité chargé de déclencher les CDS avance à tâtons pour respecter le maquis des nouvelles procédures.
«Il ne s’agit pas d’un cas typique de défaut, c’est le moins que l’on puisse dire», euphémise Levon Kameryan, analyste spécialisé sur la Russie pour l’agence de notation européenne Scope Ratings.
Les sanctions aussi sont à l’origine des incidents de paiement russes: les États-Unis ont d’abord rendu impossible le paiement par Moscou de ses dettes avec des dollars détenus dans des banques américaines, puis le paiement en dollars. Le pays ne peut plus non plus lever d’argent sur les marchés internationaux.
Or Moscou «avait assez de devises pour rembourser ses dettes» souligne Levon Kameryan, rappelant «les énormes quantités de devises» dans les caisses de l’État en provenance des ventes d’hydrocarbures.
Voilà pourquoi le Kremlin s’insurge contre un défaut «illégitime».
Et maintenant?
Les yeux sont tournés vers le comité de créanciers qui a annoncé vendredi qu’une procédure d’enchères pourrait se tenir dans la première moitié de septembre, une opération visant à fixer un prix d’indemnisation aux investisseurs qui possèdent les fameuses assurances CDS.
De l’événement de crédit au déclenchement des CDS il s’écoule généralement trente jours, rappelle George Cahill, spécialiste des CDS et associé au cabinet d’avocats international Alston & Bird. Mais cela fait déjà près de trois mois.
Est-ce que c’est grave pour la Russie?
Moscou n’a pour l’instant pas grand souci à se faire au vu des ordres de grandeur.
«En termes de situation budgétaire et de besoins financiers, la Russie n’est tout simplement pas dépendante des marchés de capitaux internationaux», signale Liam Peach, économiste spécialiste des marchés émergents pour Capital Economics.
Deux chiffres viennent résumer la situation, d’après Levon Kameryan de Scope Ratings: les obligations libellées en devises étrangères pèsent pour environ 40 G$ US, quand l’excédent du compte courant russe s’est élevé à 166,6 G$ US au premier semestre grâce aux ventes de pétrole et de gaz.
La dette publique russe est par ailleurs proche de 20% du PIB, bien moins que celles des économies de taille comparable.
Les experts alertent toutefois sur les risques que courent les entreprises russes, bien plus endettées en devises étrangères que l’État.
À plus long terme par ailleurs, «un défaut va continuer à saper la confiance des investisseurs étrangers dans l’économie russe et décourager un peu plus l’investissement étranger à une période où la Russie en avait cruellement besoin», commente Levon Kameryan.