EXPERT INVITÉ. Il y a quelques semaines, l’ancien président Donald Trump a proposé une solution pour résoudre la pénurie d’eau en Californie, et elle implique le Canada.
Lorsqu’il visitait un de ses terrains de golf près de Los Angeles, M. Trump a déclaré qu’il existait un moyen simple de mettre fin à la sécheresse qui sévit en Californie. Il s’agit d’ouvrir «un très grand robinet» près de la frontière canadienne.
«Vous avez des millions de litres d’eau qui se déversent depuis le nord avec les couches de neige.… Et ils ont essentiellement un très grand robinet», a déclaré M. Trump, insistant sur le fait que toute cette eau s’écoulait «sans but» dans l’océan Pacifique.
Il suffirait donc d’ouvrir le robinet et «toute cette eau descendrait jusqu’à Los Angeles», a-t-il insisté.
Cette suggestion a été largement ignorée par la presse américaine, qui n’y a vu qu’une nouvelle idée saugrenue d’un homme qui en fabrique plusieurs par jour.
Le mur et l’achat du Groenland
Vous vous souvenez du fameux mur qu’il devait construire tout le long de la frontière sud des États-Unis?
Et sa proposition encore plus ridicule de 2019 selon laquelle les États-Unis devraient acheter le Groenland du Danemark?
Bien entendu, il avait négligé de prévenir le Danemark. Le premier ministre danois a qualifié la proposition d’«absurde», ce qui a conduit Trump à annuler une visite d’État.
Dans l’ouest du Canada, l’idée que Trump cherche à drainer les ressources en eau du pays a suscité de l’inquiétude.
Évidemment, il n’y a pas de robinet ou d’arroseur géant à la frontière canado-américaine prêt à être ouvert. Mais il existe un accord, le Traité du fleuve Columbia, signé en 1964, qui régit le débit du fleuve Columbia.
Cet important cours d’eau prend sa source en Colombie-Britannique et s’écoule sur 2000 kilomètres à travers sept États avant d’atteindre l’océan Pacifique dans l’Oregon.
Il s’agit d’un traité complexe, qui régit les barrages hydroélectriques, la gestion des eaux de crue et la protection des saumons migrateurs.
La négociation du traité révisé a duré sept ans.
L’eau est vitale pour les pays
Peu de choses sont aussi sensibles que les droits sur l’eau pour des pays, une question qui mène à des conflits armés dans certaines parties du monde.
Les hydrologues ont été choqués par la suggestion de M. Trump selon laquelle il suffirait d’interrompre le débit d’une rivière et d’envoyer de l’eau à des centaines de kilomètres pour irriguer un terrain de golf.
«Nous ne pouvons pas simplement prendre de l’eau, la détourner et l’envoyer ailleurs», a déclaré Tricia Stadnyk, professeure d’ingénierie environnementale à l’Université de Calgary.
Il est clair que M. Trump ne comprend pas les enjeux des changements climatiques.
Il ne sait pas non plus grand-chose sur le Canada, si ce n’est qu’il est grand et vide et qu’il regorge de ressources à exploiter, y compris ses réserves aquifères.
Ce n’est pas comme si le Canada avait des réserves d’eau illimitées.
Les changements climatiques frappent durement la Colombie-Britannique qui a subi d’importants feux de forêt récemment et des pénuries d’eau pour l’agriculture. Comme le Québec, la province tire la quasi-totalité de son énergie de barrages hydroélectriques.
En raison des faibles précipitations, les réservoirs de la Colombie-Britannique sont bas, obligeant BC Hydro à importer 20% de son électricité depuis les provinces et États voisins.
Et ne croyez pas que le Québec serait épargné par la convoitise de Donald Trump.
Il faut espérer qu’il n’est pas au courant du projet du Grand Canal, imaginé il y a plusieurs décennies par un ingénieur canadien du nom de Tom Kierans.
Ce dernier proposait d’endiguer la baie James, de la transformer en un gigantesque réservoir d’eau douce et d’envoyer de grandes quantités d’eau vers le sud, dans les Grands Lacs, pour être vendues aux États-Unis.
Heureusement, l’idée n’a jamais abouti.
À l’instar de la Colombie-Britannique, le Québec est également touché par les changements climatiques.
Il n’a pas d’eau à revendre.
Pensez aux gigantesques feux de forêt, en 2023, et à la réduction de la production d’énergie d’Hydro-Québec en raison des faibles niveaux d’eau.
Des raisons de s’inquiéter?
Les Canadiens doivent-ils s’inquiéter?
Les projets comme le grand robinet seraient si coûteux, si difficiles sur le plan technologique et si désastreux sur le plan environnemental qu’il est presque certain qu’ils ne seront jamais réalisés.
Et l’opposition des deux côtés de la frontière serait énorme.
Mais cela n’est pas important pour Donald Trump.
Le fait qu’une portion seulement de son mur frontalier bien-aimé n’ait été construite et que le Mexique n’en assumera jamais les frais n’ont aucune importance.
Malgré tout, la seule mention du mur par l’ex-président comme solution à l’immigration continue de susciter l’enthousiasme chez ses partisans.
Mais ne soyons pas naïfs.
S’il est élu, Donald Trump pourrait utiliser ses demandes que le Canada ouvre un robinet géant canadien comme un outil de négociation, alors qu’Ottawa devra renégocier l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACÉUM) en 2026 — un examen prévu lors de son entrée en vigueur en 2020.
À (re)lire – Pourquoi reparle-t-on déjà de l’ACÉUM?
Et cela pourrait toujours être une excuse pour insulter un futur premier ministre canadien, qu’il s’agisse de Justin Trudeau ou de Pierre Poilievre.
Donald Trump pourrait alors toujours annuler une visite d’État à Ottawa.