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Les élections législatives en France ne menacent pas le libre-échange avec l’Europe

François Normand|Publié à 17h09

Les élections législatives en France ne menacent pas le libre-échange avec l’Europe

La cheffe du Rassemblement national, Marine Le Pen, en compagnie du président du RN, Jordan Bardella, qui pourrait devenir le prochain premier ministre de la France après le 7 juillet. (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. La possibilité qu’un parti contre le libre-échange avec le Canada prenne le pouvoir en France le 7 juillet, au terme du second tour des législatives, ne menace pas notre accord avec l’Union européenne, selon les règles de fonctionnement de l’Europe.

La question est cruciale pour nos entreprises. Entré en vigueur en septembre 2017 de manière provisoire, l’Accord économique et commercial global (AECG ou CETA) entre le Canada et les 27 pays membres de l’UE a ouvert de nouveaux marchés au Québec sur le vieux continent.

La France y est particulièrement stratégique. C’est notre troisième marché d’exportation dans le monde après les États-Unis et la Chine, et son sixième marché d’importation, selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ).

Comme neuf autres pays de l’UE dont l’Italie, la France n’a pas encore ratifié officiellement l’AECG. En revanche, le traité s’applique quand même de manière provisoire sur son territoire et ailleurs en Europe.

À moins d’une surprise de taille, le prochain gouvernement français — minoritaire ou majoritaire — sera formé par le Rassemblement national (et ses alliés) ou le Nouveau Front populaire (NFP) une coalition de partis de gauche, dont La France Insoumise (LFI), les socialistes et les communistes.

Toutefois, il ne faut pas exclure le scénario d’une nouvelle majorité formée par des centristes et des modérés, même si c’est peu probable, disent les analystes.

Le dimanche 30 juin, aux termes du premier tour, le Rassemblement national (RN), le parti de la droite radicale de Marine Le Pen hostile à l’immigration, a récolté 33,15% des voix, selon les résultats officiels fournis par le ministère de l’Intérieur.

Le NFP, dominé par LFI de Jean-Luc Mélenchon, un parti de la gauche radicale dont certains membres sont accusés d’antisémitisme, a obtenu 27,99% du suffrage.

Pour sa part, Ensemble!, la formation centriste du président français Emmanuel Macron (qui regroupe d’anciens élus socialistes et de la droite modérée), a recueilli la confiance de 20,76% des électeurs.

À relire: extrême droite, extrême gauche, droite radicale, gauche radicale, populisme… Comment s’y retrouver.

Le RN et NFP sont contre l’AECG

Dans sa plateforme électorale de 12 pages, le RN ne fait pas référence à l’AECG ou au CETA, ni du reste à la mondialisation, au libre-échange ou au commerce international.

En revanche, ce parti a toujours été hostile à l’AECG. En octobre 2016, un an avant son entrée en vigueur, le RN avait invité les Français à se mobiliser contre le traité avec le Canada en signant une pétition en ligne.

«La France doit s’opposer à CETA […]. Elle doit pour cela retrouver sa souveraineté commerciale, aujourd’hui confisquée par la Commission européenne par la faute des gouvernements successifs de droite et de gauche», écrivait le parti dans un communiqué.

Le président du RN, Jordan Bardella, qui pourrait être le prochain premier ministre, a déjà dit qu’il était «opposé» à l’AECG, et plutôt en faveur des achats locaux et du patriotisme économique.

Dans le cas du Nouveau Front populaire, son opposition au libre-échange avec le Canada est spécifiée dans sa plateforme de 24 pages. Il y est indiqué tout simplement qu’il faut «annuler l’accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne».

Du reste, la position du Rassemblement national et du NFP reflète l’avis d’une majorité de Français à ce sujet.

Le 20 mars, un sondage ODOXA-Backbone consulting réalisé pour le quotidien français Le Figaro a monté que 55% des citoyens français étaient hostiles à l’AECG.

C’est donc sans grande surprise que le 22 mars, le Sénat français a rejeté dans une forte proportion la ratification de l’Accord économique et commercial global.

Pourquoi le traité n’est pas à risque

Malgré l’hostilité du RN, du NFP et d’une majorité de Français à l’égard du libre-échange avec le Canada, la France ne peut pas mettre fin à l’application de l’AECG sur son territoire si les radicaux dirigent le pays à compter du 7 juillet.

La raison en est fort simple, a expliqué récemment à Les Affaires Xavier Van Overmeire, associé au cabinet montréalais Dentons Canada, et avocat spécialisé en commerce international et de l’AECG.

Lire aussi — Rejet de l’AECG: mais quelle mouche a piqué les Français?

«Pour mettre fin à l’application du traité, il faudrait que 55% des représentants des pays membres au Conseil de l’Union européenne (soit 15 sur 27) et pesant pour au moins 65% de la population de l’UE se prononcent en ce sens», disait-il.

Allemagne
L’Allemagne fait partie des 17 pays sur 27 de l’Union européenne qui ont déjà ratifié l’entente de libre-échange entre le Canada et l’UE. (Photo: 123RF).

Or, à ce jour, les 17 pays sur les 27 qui ont ratifié l’accord représentent 52% de la population de l’Union européenne.

Il s’agit de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Croatie, du Danemark, de l’Espagne, de l’Estonie, de la Finlande, de la Lettonie, de la Lituanie, du Luxembourg, de Malte, des Pays-Bas, du Portugal, de la République tchèque, de la Slovaquie, de la Suède et de la Roumanie.

Par conséquent, même si la France signifie formellement à la Commission européenne qu’elle rejette l’AECG, l’application du traité ne pourrait pas être suspendue puisque 17 pays sur 27 – qui représentent 52% de la population de l’UE – l’ont déjà ratifié.

Facteurs à surveiller

Pour espérer suspendre son application, il faudrait que des pays populeux l’ayant déjà ratifié, comme l’Allemagne (84,5 millions d’habitants), l’Espagne (48,4 millions) ou les Pays-Bas (17,9 millions), changent d’idée et rejettent finalement l’accord.

Ce n’est pas techniquement impossible, mais disons que c’est peu probable.

Bien entendu, dans les prochaines années, de nouvelles élections pourraient porter au pouvoir des partis hostiles à l’AECG, par exemple en Allemagne, en 2025, lors des élections législatives.

Toutefois, cela ne veut pas dire qu’ils rejetteraient nécessairement le traité.

Par exemple, au pouvoir en Italie depuis 2022, la coalition de la droite radicale, dirigée par Giorgia Meloni, n’a pas rejeté formellement l’AECG, même si le pays n’a pas ratifié l’accord de libre-échange avec le Canada.

Autre exemple: les Pays-Bas, qui ont, eux, ratifié l’entente en juillet 2022.

La nouvelle coalition de la droite radicale au pouvoir n’a pas indiqué à ce jour son intention de mettre fin à l’accord, même si elle est plutôt critique à l’égard de l’Union européenne.

Comme les accords de libre-échange sont des ententes conclues entre des États, ils peuvent donc en théorie prendre fin un jour.

Or, l’histoire nous enseigne que peu de traités commerciaux ont été abolis, même s’il y a eu quelques rares exceptions, comme le Traité de réciprocité entre le Canada et les États-Unis, en vigueur de 1854 à 1866.

Aussi, pour toutes ces raisons, la possibilité qu’un parti contre le libre-échange avec le Canada prenne le pouvoir en France, le 7 juillet, ne devrait pas inquiéter nos entreprises outre mesure.

Bref, ce sera business as usual.