Nos exportateurs ont résisté au protectionnisme américain depuis 15 ans
François Normand|Mis à jour le 18 octobre 2024ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Malgré la résurgence du protectionnisme américain depuis une vingtaine d’années, les exportateurs du Québec ont réussi à accroître leurs expéditions aux États-Unis. Toutefois, rien n’est acquis dans un contexte où, au sud de la frontière, le protectionnisme est devenu une politique publique bipartisane qui a le vent dans les voiles.
Les statistiques sont éloquentes. Depuis 15 ans (entre 2009 et 2023, soit les données annuelles les plus récentes), la valeur des expéditions de marchandises du Québec aux États-Unis est passée de 40,2 à 87,3 milliards de dollars canadiens (G$), selon l’Institut de la statistique du Québec.
Il s’agit d’une hausse de 117% durant cette période.
À titre de comparaison, les exportations du Québec dans le reste du monde — incluant celles en Chine (en hausse de 277%) et de l’Union européenne (en hausse de 47,5%) — n’ont progressé que de 76% au total.
Or, depuis 2009, alors que la première administration démocrate de Barack Obama arrivait au pouvoir, Washington a renforcé à plusieurs reprises les mesures dites du Buy American et du Buy America.
La géopolitique vous passionne? Procurez-vous mon recueil d’analyses Zoom sur le monde : 24 clés géopolitiques pour comprendre le monde à l’ère de «Xi Poutine».
Le Buy American s’applique aux achats directs effectués par le gouvernement américain dont la valeur du marché est supérieure à 10 000$US (13 900$CA).
Le Buy America s’applique aux achats de fer, d’acier ou d’autres produits manufacturés intégrés de façon permanente aux projets d’infrastructure, et ce, qu’ils soient financés par le fédéral ou des villes.
C’est sans parler de l’adoption de l’Inflation Reduction Act (IRA) en 2022 par l’administration de Joe Biden.
Cette législation a renforcé les exigences de contenu local grâce à des incitatifs fiscaux importants, principalement dans les énergies vertes et les technologies propres, comme la production de batteries et de véhicules électriques aux États-Unis.
Une constance de l’histoire américaine… Et canadienne.
Contrairement à une idée reçue, le protectionnisme est une politique très ancienne aux États-Unis.
Il ne remonte donc pas à l’élection de Donald Trump, en 2016, dont l’administration a imposé des tarifs très élevés à la Chine, en plus de forcer la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) — à l’avantage des Américains.
Dans une étude publiée en 2019 (Canada First vs. America First: Economic Nationalism and the Evolution of Canada-U.S.Trade Relations), Hubert Rioux, aujourd’hui conseiller économique à la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), souligne que ce protectionnisme et le nationalisme économique remontent à la guerre civile (1861-1865).
Selon l’auteur, l’économie canadienne n’a pas non plus échappé à ce phénomène. En fait, le Canada a même été pendant une grande partie du XXe siècle plus protectionniste que les États-Unis.
En entrevue à Les Affaires, Hubert Rioux souligne que les États-Unis ne sont pas vraiment redevenus protectionnistes actuellement, si l’on se fie aux tarifs douaniers moyens appliqués sur les importations aux États-Unis.
Selon une analyse de la U.S. International Trade Commission publiée en mai, le tarif moyen imposé par Washington avoisine les 4-5% actuellement.
Or, dans les années 1960, il surpassait les 10%, sans parler des sommets atteints durant la Dépression, en l’occurrence de 59,1% en 1932.
Et même avant cette crise économique, le tarif moyen surpassait les 35%, dans les années 1920.
La création de l’Accord général sur les tarifs et le commerce (GATT, en anglais), en 1948, suivi par la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en 1995, a contribué à faire descendre les tarifs dans les pays industrialisés, dont aux États-Unis et au Canada.
Toutefois, la Grande récession de 2008-2009 — le pire choc économique depuis la Dépression, mais qui a été surpassé par l’effondrement de l’économie durant la crise de la COVID-19 — a ramené à l’avant-plan le protectionnisme.
Résurgence depuis la Grande récession de 2008-2009
L’administration Obama a lancé le bal entre 2009 et 2017, tandis que celle de Donald Trump a levé la barre encore plus haute, jusqu’en 2021.
Pour l’essentiel, le président Joe Biden a gardé en place les mesures protectionnistes de son prédécesseur républicain ; il les a même renforcées dans certains cas.
Ces dernières années, Washington a par exemple fait adopter plusieurs lois protectionnistes, dont l’Infrastructure Investment and Jobs Act, le Build America, Buy America Act, le CHIPS and Science Act et le fameux Inflation Reduction Act.
À moins d’une surprise, la prochaine administration en poste à la Maison-Blanche, qu’elle soit dirigée par Donald Trump ou Kamala Harris, devrait aussi poursuivre dans cette voie, selon plusieurs analystes.
Par exemple, s’il revient au pouvoir, Donald Trump veut imposer un tarif de 10% sur toutes les importations aux États-Unis – voire jusqu’à 20%, si on se fie à certaines de ses déclarations.
Dans le cas de la Chine, ce serait 60%, et de 200% pour les voitures importées du Mexique!
La plateforme économique de Kamala Harris ne contient pas de nouvelles mesures dites protectionnistes, comme de nouveaux tarifs douaniers. En revanche, elle maintiendrait les politiques de l’administration Biden (dont elle est la vice-présidente), à commencer par l’IRA.
Non seulement elle a toujours appuyé cette législation, mais elle a aussi contribué à la faire adopter en brisant l’égalité au Sénat, lors de son adoption.
Le protectionnisme est donc là pour rester, et nos entreprises exportatrices devront continuer de s’adapter.
Et si le passé est garant de l’avenir, elles pourraient encore réussir malgré tout à accroître leurs ventes aux États-Unis.