Nous sentirons l’onde de choc de la guerre commerciale sino-américaine
François Normand|Mis à jour le 08 novembre 2024ANALYSE GÉOPOLITIQUE. À moins d’un revirement spectaculaire, une fois que son administration sera au pouvoir à Washington fin janvier, Donald Trump lancera une nouvelle guerre commerciale contre la Chine, sans doute en 2025 ou 2026. Et plusieurs entreprises du Québec sentiront l’onde de choc.
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Des milliers d’entreprises québécoises importent des pièces, des équipements ou des produits finis en provenance des États-Unis. En 2023, ce pays était notre premier marché d’importation de marchandises pour une valeur de 42,8 milliards de dollars (G$), selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ).
C’est trois fois plus qu’en Chine à 13,4G$.
Le hic, c’est que plusieurs fournisseurs des entreprises québécoises aux États-Unis s’approvisionnent eux-mêmes en… Chine – le deuxième marché d’importation des entreprises américaines après le Mexique.
C’est ainsi que l’onde de choc de la guerre commerciale sino-américaine à venir se transmettra indirectement à nos entreprises et à nos chaînes de valeur: par une hausse des prix des pièces, des équipements et des produits finis qu’elles achètent aux États-Unis.
Et l’ampleur de cette nouvelle guerre sera plus importante que celle lancée sous la première administration Trump (2017-2021), souligne à Les Affaires Camille Brugier, chercheure indépendante et spécialiste de Chine, qui sera bientôt l’invitée du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM) pour y donner une conférence.
Dans le cadre de son travail, elle réalise des mandats pour des gouvernements et des entreprises qui ont des échanges avec ce pays asiatique. Elle parle mandarin, car elle a habité en Chine entre l’âge de 8 et 15 ans.
Des tarifs plus élevés par rapport au premier conflit
Camille Brugier rappelle que les tarifs moyens imposés par la première administration Trump oscillaient en moyenne de 7,5% à 25%.
Or, cette fois, le futur locataire de la Maison-Blanche veut imposer un tarif d’au moins 60% sur toutes les importations chinoises.
Pour les autres pays de la planète, c’est de 10 à 20%, incluant pour le Canada et le Mexique, malgré l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACÉUM) qui a remplacé l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), en 2020.
À ses yeux, à un niveau de 60%, les entreprises en Chine qui exportent aux États-Unis «n’ont pas la capacité d’absorber» un tel choc financier. Aussi, plusieurs d’entre elles devront se rabattre sur d’autres marchés, à commencer par le marché chinois, explique Camille Brugier.
Concrètement, ce sont les importateurs aux États-Unis qui devront payer ce tarif de 60% appliqués sur les produits chinois.
Ils ont grosso modo trois options:
- Continuer d’importer des produits des pièces, des équipements et des produits finis de la Chine et refiler la taxe de 60% aux consommateurs américains (particuliers et entreprises);
- Arrêter d’importer ces marchandises de la Chine pour se tourner vers d’autres fournisseurs situés au Mexique, par exemple;
- Convaincre les fournisseurs chinois d’absorber une partie de la taxe (par exemple, la moitié) en baissant leur prix de vente afin de limiter les répercussions sur les consommateurs américains.
Cela dit, à un tel niveau (au moins 60%), plusieurs importateurs aux États-Unis, incluant les Walmart et Home Depot de ce monde, pourraient devoir s’approvisionner dans d’autres pays, ce qui fera aussi augmenter leurs prix au détail.
Les exportations chinoises aux États-Unis sont déjà en déclin
Résultat: les exportations chinoises aux États-Unis diminueront.
En 2023, elles se sont élevées à 426,8G$US, selon les données du U.S. Census Bureau. En 2016, l’année avant que Donald Trump ne prenne le pouvoir pour la première fois, elles s’établissaient à 462,4G$US.
Elles sont donc en déclin, tout comme le déficit commercial des États-Unis avec la Chine, qui est passé de 346 à 279G$US entre 2016 et 2023.
Selon Camille Brugier, la Chine a vu venir le coup, et c’est pourquoi le gouvernement chinois est en train de préparer un nouveau plan de relance pour stimuler la consommation domestique.
Bref, il faut trouver de nouveaux débouchés aux produits chinois, en l’occurrence en Chine, étant donné le mur tarifaire qui sera érigé à la frontière américaine.
Or, cela fait une trentaine d’années que Beijing essaie de lancer la consommation domestique, mais sans grand succès. Et la pandémie de COVID-19 n’a pas arrangé les choses, fait remarquer Camille Brugier.
Comme le filet social est famélique en Chine, les Chinois ont un taux d’épargne très élevé afin de parer à des coûts imprévus ou à des pertes de revenus. C’est ce qui s’est passé durant la COVID-19, quand de nombreux travailleurs ont perdu leur emploi.
Aussi, on peut comprendre que les Chinois hésitent à dépenser leurs économies pour acheter davantage de produits fabriqués en Chine, comme le souhaite le parti communiste.
Dans ce contexte, le nouveau plan de relance de Beijing pour stimuler la consommation intérieure pourrait bien être un autre coup d’épée dans l’eau.
Le PIB chinois pourrait reculer de 1,6%
Ce qui pourrait se traduire par un fort ralentissement économique.
Selon la firme britannique Oxford Economics, ces tarifs de 60% pourraient réduire d’ailleurs jusqu’à 1,6% le PIB chinois sur une base annuelle, rapporte l’Agence France-Presse (AFP).
Ce ralentissement pourrait même affecter l’Asie du Sud-Est, avec ses chaînes de production étroitement interconnectées avec la Chine, et qui bénéficie d’importants investissements chinois.
En octobre, avant la victoire de Donald Trump, le Fonds monétaire international (FMI) prévoyait que l’économie chinoise progresserait de 4,8% en 2024 et de 4,5% en 2025.
De toute évidence, le FMI devra refaire ses devoirs…
Comme quoi plusieurs entreprises dans le monde subiront l’onde de choc de la nouvelle guerre commerciale sino-américaine.
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