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François Normand

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Analyse de la rédaction

Pourquoi la démocratie américaine résistera à une nouvelle présidence Trump

François Normand|Mis à jour le 06 novembre 2024

Pourquoi la démocratie américaine résistera à une nouvelle présidence Trump

Donald Trump (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. On l’oublie souvent, et ça brouille l’analyse du risque politique que représente un possible retour de Donald Trump à la Maison-Blanche: le système du «Check and Balance» aux États-Unis réduit le risque d’une centralisation du pouvoir entre les mains d’une seule personne. La démocratie américaine est donc beaucoup plus résiliente que ne le laissent entendre certains analystes et politiciens.

Voilà le principal constat qui ressort d’un panel organisé hier par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) sur la présidentielle du 5 novembre aux États-Unis (Décryptage des prochaines élections américaines: perspectives sur nos relations politiques et économiques), auquel ont participé trois spécialistes de la politique américaine.

Il s’agit de Guillaume A. Callonico, premier directeur, risques géopolitiques et transversaux à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), de John Parisella, conseiller spécial, stratégie et rayonnement chez NATIONAL, et ex-délégué général du Québec à New York, puis de Martine St-Victor, stratège en communication et directrice générale d’Edelman Montréal.

Pour l’essentiel, le Check and Balance — qu’on pourrait traduire par freins et contrepoids — sont des règles et des procédures qui visent à réduire les erreurs, à prévenir les comportements inappropriés ou à diminuer le risque de centralisation dans le système politique américain.

Depuis la fondation des États-Unis, la constitution prévoit des freins et des contrepoids pour le gouvernement, et ce, en séparant les pouvoirs entre ses trois branches: le pouvoir législatif (le Congrès), le pouvoir exécutif (la présidence) et le pouvoir judiciaire (les tribunaux et la Cour suprême).

Ainsi, la constitution confère des capacités spécifiques à chacune de ces trois branches pour garantir qu’aucune partie du gouvernement ne puisse obtenir un pouvoir excessif et incontrôlé.

Cette séparation des pouvoirs n’existe même pas au Canada.

Nous vivons dans un système caractérisé par une confusion des pouvoirs — le législatif est l’exécutif. Aussi, un éventuel premier ministre majoritaire et autoritaire poserait tout un défi à la démocratie canadienne.

Mais avant de se pencher plus en profondeur sur le Check and Balance aux États-Unis, remettons les pendules à l’heure afin de mieux camper le risque réel que peut représenter une nouvelle présidence Trump.

États-Unis
(Photo Brendan Smialowski Getty Images)

Un spectre hante des Américains: le spectre du fascisme

Depuis quelques mois, des scénarios très alarmistes circulent à propos de la menace que Donald Trump représente pour la démocratie américaine.

Par exemple, le général John Kelly, ancien chef de cabinet de Trump, a assimilé l’ex-président républicain à un «fasciste», tout comme la vice-présidente Kamala Harris qui juge également que Trump est un fasciste.

De plus, selon un sondage ABC News/Ipsos, un Américain sur deux voit l’ex-président comme un fasciste. Or, ce même sondage révèle que 22% des Américains estiment que Kamala Harris est aussi une fasciste…

Comme quoi les expressions «fasciste» et «fascisme» sont très mal comprises, confondues allégrement avec personnage autoritaire et autoritarisme.

Selon le grand spécialiste italien Emilio Gentille (Qu’est-ce que le fascisme?, Gallimard, 2004), le fascisme est une «politique moderne, nationaliste, antilibéral et anti-marxiste, organisée en parti-milice, avec une conception totalitaire de l’État […], avec une vocation belliqueuse à la politique de grandeur, de puissance et de conquête, visant à la création d’un ordre nouveau et d’une nouvelle civilisation».

Donald Trump est un capitaliste, un conservateur et un néolibéral, aux penchants autoritaires certes, qui n’hésite pas à insulter ses adversaires et à véhiculer les pires préjugés par rapport aux immigrants.

Une nouvelle présidence Trump créerait à coup sûr une nouvelle onde de choc politique aux États-Unis et dans le monde.

Malgré tout, cela n’en fait pas un fasciste ou un national-socialiste (nazi), même si certaines personnes l’évoquent.

Freins, contrepoids et décentralisation

Revenons maintenant au Check and Balance.

Imaginons le scénario d’une victoire de Donald Trump, mardi, en plus d’un congrès contrôlé par les républicains – actuellement, les démocrates contrôlent le Sénat, tandis que les républicains ont la majorité des sièges à la Chambre des représentants.

Imaginons aussi qu’il essaie d’imposer une gouvernance autoritaire au gouvernement américain.

Pourrait-il y arriver?

Ça serait très difficile, car le Congrès (même entièrement républicain) ne fonctionne pas comme la Chambre des communes à Ottawa, fait remarquer John Parisella.

Aux États-Unis, il n’y a pas de ligne de parti à proprement dit comme au Canada.

Comme tous les représentants et le tiers de sénateurs sont en élection tous les deux ans, ils tiennent donc compte davantage des intérêts de leurs électeurs que de ceux du locataire de la Maison-Blanche.

Pour illustrer à quel point le système américain est décentralisé et comprend des contrepoids, Guillaume Callonico donne l’exemple de l’Obamacare (Affordable Care Act ou la loi sur les soins de santé abordables).

En 2017, bien que les républicains contrôlaient les deux chambres du Congrès, l’administration Trump n’a pas réussi à faire invalider l’Obamacare.

Pourquoi?

Parce que cette loi était tout simplement dans l’intérêt de millions d’Américains et, surtout, d’électeurs de représentants et de sénateurs républicains à Washington.

Par ailleurs, sans être lié directement au Check and Balance, Martine St-Victor souligne que plusieurs décisions économiques et financières se prennent localement, sans parler du fait que la communauté d’affaires n’est pas un bloc monolithique aux États-Unis.

Les chefs d’entreprise appuient à la fois Trump et Harris.

Les États sont aussi très autonomes. Un gouverneur peut s’opposer à l’administration au pouvoir à Washington, même s’ils appartiennent tous les deux à la même famille politique.

Cette semaine, l’ex-gouverneur républicain de la Californie, Arnold Schwarzenegger, a d’ailleurs donné son appui à la démocrate Kamala Harris.

États-Unis
(Photo Kent Nishimura Getty Images)

Le pays n’est pas à l’abri de violence politique

Même si les règles et les procédures du Check and Balance réduisent le risque d’une présidence autoritaire aux États-Unis, le pays n’est pas à l’abri de violence politique après l’élection de mardi, surtout si Kamala Harris l’emporte.

Selon John Parisella, il est peu probable qu’on revive un assaut du Capitole à Washington, comme le 6 janvier 2021. Des partisans de Trump avaient alors ont tenté d’empêcher la certification des résultats de l’élection présidentielle du 3 novembre 2020, gagnée par Joe Biden.

En janvier, les autorités seront sur le qui-vive et les institutions de la capitale seront sous haute surveillance.

Martine St-Victor craint pour sa part des violences politiques ailleurs dans le pays.

Malgré tout, il y a des raisons d’espérer que les institutions américaines résistent, insiste Guillaume Callonico.

Il rappelle que deux jeunes démocraties ont récemment résisté aux pressions autoritaires de présidents sortants, au Sénégal et au Brésil.

Comme la démocratie américaine a plus de deux siècles d’existence (la première élection présidentielle a eu lieu aux tournants des années 1789, portant au pouvoir George Washington), il est probable qu’elle résiste elle aussi à d’éventuelles pressions autoritaires.