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Philippe Labrecque

Politique et philosophie en entreprise

Philippe Labrecque

Expert(e) invité(e)

Sommes-nous réellement au seuil d’une guerre mondiale?

Philippe Labrecque|Mis à jour le 18 septembre 2024

Sommes-nous réellement au seuil d’une guerre mondiale?

Les forces russes attaquant des villes et des villages ukrainiens en avril. (Photo: La Presse Canadienne)

EXPERT INVITÉ. Depuis l’invasion russe de l’Ukraine, un certain discours pessimiste annonçant le déclenchement d’une 3e guerre mondiale supposément imminente occupe une place non négligeable sur les réseaux sociaux.

Au-delà du sensationnalisme et des campagnes de peur, il semble pertinent d’effectuer une analyse globale. Il s’agit ici de prendre en compte les différents facteurs économiques, militaires et politiques, en plus de rappeler certains concepts et d’établir des probabilités pour nous guider dans notre anticipation du monde qui vient.

Une entreprise multinationale, un investisseur ou même un citoyen concerné peut donc se munir d’une telle analyse pour anticiper l’avenir immédiat et à plus long terme en meilleure connaissance de cause.

Les grandes guerres et conflits du 19e et 20e siècle ont été largement le résultat de puissances révisionnistes. Ce sont des pays en ascension économiquement et militairement qui ont voulu modifier l’ordre mondial en leur faveur afin de refléter l’image qu’ils avaient d’eux-mêmes au sein du système politique international.

De nos jours, deux grandes puissances révisionnistes peuvent logiquement être mises en cause dans le déclenchement d’un conflit mondial potentiel, soit la Russie et la Chine.

La Russie, une puissance de second ordre?

Après l’effondrement de l’ex-URSS puis de l’élargissement de l’Union européenne et de l’OTAN en Europe de l’Est, la Russie a passé la majorité du 21e siècle à rebâtir ses capacités militaires et son économie dans l’espoir de rétablir sa sphère d’influence.

Les résultats ont été mitigés.

Alors que l’armée russe passe d’un échec à un autre face à des forces ukrainiennes limitées qualitativement et quantitativement, le régime de Poutine est forcé de constater que les forces russes restent loin d’être aptes à faire face à une force militaire moderne telle que celle des États-Unis.

Autant dire qu’un conflit direct et généralisé contre l’OTAN est donc inenvisageable par le Kremlin.

La Russie, le second violon de la Chine

Pis encore, Vladimir Poutine est maintenant réduit à se rendre à Beijing pour quémander un appui diplomatique et économique.

La Russie ne peut que prendre acte de son statut de partenaire junior au sein de cette relation sino-russe, un renversement complet depuis l’époque de l’Union soviétique. 

Moscou n’ignore pas les visées chinoises sur la Sibérie, territoires russes adjacents à la Chine et riches en ressources naturelles tout en étant faiblement peuplé. De plus, la Chine perçoit une grande partie de la Sibérie comme lui ayant été arrachée injustement au 19e siècle par le régime des Tsars.

Les relations entre ces deux pays ne se résument donc pas que par leur aversion à l’hégémonie américaine. Elles comportent aussi son lot de discordes et de conflits potentiels.

Une puissance moyenne économiquement?

La Russie est classée au 11e rang par son PIB. Elle arrive donc après des pays comme le Canada et le Brésil et très loin derrière la Chine et les États-Unis, ce qui ne lui permet pas de concurrencer les deux grands joueurs dans ce domaine.

De plus, avec une économie relativement peu innovante et dépendante des fluctuations du prix du pétrole, la Russie ne pèse mondialement pratiquement que par l’entremise du poids de ses ressources naturelles.

Cela dit, la Russie reste un acteur important aussi par le biais de son arsenal nucléaire massif et modernisé, mais sans influence économique réelle et une portée culturelle et diplomatique anémique.

Difficile de l’imaginer changer concrètement l’ordre international.

Les craintes liées à un échange nucléaire avec la Russie ne sont pas sans fondement, mais elles sont peut-être exagérées.

En résumé, s’il faut rester vigilant, Vladimir Poutine et la Russie n’ont pas plus intérêt à déclencher une guerre nucléaire aux conséquences catastrophiques que quiconque.

La Chine, puissance révisionniste par excellence

Vous l’aurez peut-être deviné, la Chine est la puissance révisionniste par excellence. Supplanter les États-Unis au sommet de la hiérarchie mondiale est un objectif avoué et assumé de l’empire du Milieu.

La Chine possède la puissance économique nécessaire pour atteindre cet objectif, même que la croissance économique mondiale dépend largement de ce pays de nos jours.

La Chine est d’ailleurs devenue le partenaire commercial le plus important d’une majorité de pays, supplantant les États-Unis dans ce domaine.

Cette croissance économique s’est traduite depuis plus de deux décennies par un investissement massif dans ses forces militaires et l’extension de son influence diplomatique aux quatre coins du monde.

Le résultat de cette montée en puissance fait de la Chine la tête d’une coalition de pays révisionnistes, incluant la Russie, mais aussi l’Iran et la Corée du Nord.

Une tentative chinoise d’annexer Taïwan par une invasion pourrait bien déclencher une série de confrontations menant à un conflit qui embraserait la région, tout en mettant face à face la puissance américaine et chinoise.

C’est parler du fait que les forces japonaises et les deux Corées seraient probablement aspirées dans ce conflit.

L’économie mondiale souffrirait terriblement d’un tel conflit, engendrant probablement une série de tensions en périphérie et une décroissance majeure.

Forcée à la prudence?

Si les sources potentielles de conflits sont nombreuses pour la Chine, plusieurs variables la forcent à agir de façon prudente.

D’après plusieurs analyses, la croissance chinoise fulgurante est probablement chose du passé.

Le PIB chinois ne chutera pas drastiquement et soudainement, mais la croissance sera plus modérée et engagée sur une pente descendante au courant des prochaines décennies.

À terme, on peut anticiper un ralentissement significatif quand on pense au déclin démographique du pays, alors que la quantité de travailleurs chinois actifs déclinera de 7% d’ici 2050, d’après une analyse récente de la démographie chinoise.

La dynamique démographique chinoise est déjà largement entrée dans une phase de vieillissement accélérée. Différentes analyses démographiques anticipent une diminution de l’ordre de 50% de la population, approximativement, d’ici la fin du siècle.

Dans ce contexte de doutes à l’égard de sa croissance économique et son déclin démographique, la Chine entre donc dans une période tendue.

Une période dans laquelle le monde entier cesse finalement de s’aveugler volontairement face aux infractions chinoises multiples envers la souveraineté de différents pays, son opacité, le traitement de ses propres populations et son programme d’espionnage industriel à grande échelle.

On peut aussi se demander comment l’économie chinoise pourrait survivre à une guerre globale qui la couperait des marchés américains, européens et asiatiques.

La Chine provoquera-t-elle un conflit dans l’espoir de réaliser ses ambitions de remplacer les États-Unis comme première puissance mondiale?

La réponse à cette dernière question se trouve dans la tête de Xi Jinping, maintenant nommé président à vie, et le PCC et leur calcul subjectif des risques et des conséquences d’une telle stratégie.

Ce qui n’est pas rassurant.

Dissuasion et démondialisation

On ne parle plus beaucoup de dissuasion aujourd’hui par rapport à l’époque de la guerre froide.

En revanche, celle-ci, nucléaire ou conventionnelle, reste essentielle au maintien de la paix internationale et à la prévention d’une escalade entre l’hégémon américain, et les puissances révisionnistes comme la Russie et la Chine.

La Chine fait tout en son pouvoir pour réduire cet écart.

Il faudra s’inquiéter pour l’équilibre mondial actuel au moment où cet écart aura essentiellement disparu, ce qui aura l’effet d’encourager les ambitions expansionnistes chinoises et peut-être même russes.

Entre-temps, comme je l’avais déjà mentionné dans une analyse dans Les Affaires, notre monde risque plus probablement de continuer son chemin dans un processus de démondialisation au sein d’un monde multipolaire au courant de la prochaine décennie et au-delà que de sombrer dans une 3e guerre mondiale dévastatrice.