Ukraine: la Russie lance l’assaut sur Azovstal à Marioupol
AFP et La Presse Canadienne|Publié le 03 mai 2022Certains habitants de Marioupol sont sortis de la ville par leurs propres moyens, souvent dans des voitures privées endommagées. (Photo: La Presse Canadienne)
Ce texte regroupe tous les derniers développements à propos de l’invasion de la Russie en Ukraine pour la journée du 03 mai. Pour retrouver toute notre couverture sur le conflit, c’est ici. NDLR. Certains contenus sont explicites et peuvent être difficiles à lire.
12h15 | Zaporijjia — La Russie a lancé mardi pour la première fois un assaut avec chars et infanterie sur l’aciérie d’Azovstal, dernière poche de résistance ukrainienne dans le port stratégique de Marioupol, au moment où l’ONU annonçait avoir réussi à évacuer des civils de l’aciérie.
«Un puissant assaut sur le territoire d’Azovstal est en cours actuellement, avec le soutien de véhicules blindés, de chars, avec des tentatives de débarquement de troupes, avec l’aide de bateaux et d’un grand nombre d’éléments d’infanterie», a affirmé Sviatoslav Palamar, commandant adjoint du régiment Azov dans un message vidéo sur Telegram.
Peu avant, le ministère russe de la Défense avait annoncé qu’avions et artillerie de l’armée russe et de la «République populaire» prorusse de Donetsk commençaient à «détruire» les «positions de tir» ukrainiennes.
Il a accusé le régiment ukrainien Azov, qui défend l’usine, d’avoir profité du cessez-le-feu décrété pour évacuer les civils pour sortir des sous-sols de l’aciérie et se positionner «sur le territoire et dans les bâtiments de l’usine».
Jusqu’à présent les forces russes pilonnaient par avion et depuis la mer cette aciérie, dont les immenses galeries souterraines datant de la Seconde Guerre mondiale abritaient combattants et civils privés d’eau, de nourriture et de médicaments, sans essayer d’y pénétrer.
Le 21 avril, Vladimir Poutine avait déclaré avoir ordonné à ses troupes de ne pas lancer d’assaut, mais de bloquer la zone «de sorte que pas une mouche ne passe».
«Nous avions perdu espoir»
Deux femmes civiles ont été tuées et une dizaine de civils blessés dans les bombardements qui ont précédé l’assaut, a précisé Sviatoslav Palamar dans son message vidéo, indiquant que d’autres civils se trouvaient toujours sur les lieux.
Le matin, la présidence ukrainienne avait annoncé poursuivre ses efforts, avec l’ONU et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), pour évacuer les civils restés à Azovstal, au nombre de 200 selon le maire de Marioupol, Vadim Boïtchenko.
Ce week-end, pour la première fois en deux mois de siège et de bombardements, une centaine de civils terrés dans les caves de l’immense aciérie Azovstal ont pu être évacués.
Une partie d’entre eux au moins sont arrivés mardi dans la ville de Zaporijjia, ville sous contrôle ukrainien à 230 km au nord-ouest de Marioupol.
«Je suis heureuse et soulagée de confirmer que 101 civils ont été évacués avec succès de l’usine métallurgique Azovstal à Marioupol», a annoncé mardi la coordinatrice humanitaire des Nations unies pour l’Ukraine, Osnat Lubrani, dans un communiqué.
«Nous sommes tellement reconnaissants à tous ceux qui nous ont aidés. Il y a eu un moment où nous avions perdu espoir, nous pensions que tout le monde nous avait oubliés», a déclaré à son arrivée l’une des évacuées, Anna Zaïtseva, avec dans les bras un bébé de six mois.
Évoquant une «opération extrêmement délicate et complexe», le chef de la délégation du CICR en Ukraine, Pascal Hundt, a néanmoins déploré que seule une partie des civils pris au piège d’Azovstal aient pu être évacués.
«Heure de gloire»
Premier dirigeant occidental à s’adresser au Parlement ukrainien depuis le début du conflit le 24 février, le premier ministre britannique Boris Johnson a promis mardi une aide militaire supplémentaire de 300 millions de livres (355 millions d’euros) pour Kyiv.
«C’est l’heure de gloire de l’Ukraine, dont on se souviendra et qu’on racontera pendant des générations», a dit Boris Johnson, en allusion au célèbre discours prononcé par Winston Churchill le 18 juin 1940.
«Nous allons continuer à aider l’Ukraine (…) en armes, financement et aide humanitaire, jusqu’à atteindre notre objectif à long terme qui doit être de renforcer l’Ukraine de manière à ce que personne n’ose plus jamais vous attaquer», a assuré le dirigeant britannique, dans ce discours prononcé par visioconférence depuis Londres.
Cette nouvelle aide inclut «des radars pour localiser l’artillerie qui bombarde vos villes, des drones de transport lourd pour approvisionner vos forces, et des milliers d’appareils de vision nocturne», a-t-il précisé.
Jusqu’à présent, le Royaume-Uni a fourni à l’Ukraine 5 000 missiles antichars, cinq systèmes de missiles antiaériens avec plus de 100 missiles et 4,5 tonnes d’explosifs.
Cette annonce est intervenue alors que le président russe Vladimir Poutine appelait l’Occident à cesser de fournir des armes à l’Ukraine, dans une conversation téléphonique avec son homologue français Emmanuel Macron.
«Ongles arrachés»
Dans l’est de l’Ukraine, les Russes poursuivent leur offensive.
La deuxième ville d’Ukraine, Kharkiv, et des localités voisines continuent à être bombardées, selon l’état-major ukrainien.
Dans le Donbass, au moins neuf personnes ont été tuées mardi dans des bombardements dans la région de Donetsk, selon le gouverneur régional Pavlo Kyrylenko.
Et dans le sud du pays, la grande ville d’Odessa est de nouveau la cible des missiles russes.
Les Ukrainiens craignent que ce grand port figure parmi les objectifs de Moscou, notamment depuis qu’un général russe a affirmé que l’offensive du Kremlin en Ukraine visait à établir un couloir de la Russie vers la région séparatiste moldave de Transdniestrie, qui passerait par Odessa.
À l’est d’Odessa, le centre de Mykolaïv a été frappé dans la soirée de lundi, selon le rapport matinal de la présidence. Une enquête sur de possibles «tortures et meurtres» pendant l’occupation russe d’une localité de cette région a été lancée, ont par ailleurs indiqué mardi sur Telegram les services de la procureure générale d’Ukraine.
«Selon l’enquête, les corps de deux habitants avec des traces de blessures par balle ont été trouvés dans une fosse commune du village de Novofontanka» et «un des hommes avait les jambes attachées», précisent-ils.
À Kalynivka, dans la région de Kyiv, une tombe renfermant deux civils avec les «ongles arrachés» et les «mains liées» a également été trouvée, selon Mykhaïlo Podoliak, conseiller de la présidence ukrainienne.
«La Russie a choisi la voie de la terreur contre la population civile et doit être reconnue comme commanditaire du terrorisme», a-t-il tweeté mardi.
Référendums en vue
Les Européens travaillent de leur côté à durcir leurs sanctions économiques contre Moscou.
La Commission européenne a finalisé sa proposition pour un sixième paquet de sanctions contre Moscou pour tarir le financement de son effort de guerre contre l’Ukraine.
Elle prévoit un arrêt progressif des achats européens de pétrole russe sur une période de 6 à 8 mois, avec une exemption pour la Hongrie et la Slovaquie, deux pays enclavés totalement dépendants des livraisons par l’oléoduc Droujba, qui pourront continuer leurs achats à la Russie jusqu’en 2023, a précisé un responsable européen.
L’approche du 9 mai, date à laquelle la Russie célèbre la victoire sur l’Allemagne nazie en 1945, alimente les spéculations sur la façon dont Moscou pourrait annoncer des gains en Ukraine.
Selon les renseignements militaires ukrainiens, «la Russie examine la possibilité de rattacher les territoires envahis du sud de l’Ukraine à la Crimée occupée et de les intégrer dans l’espace économique russe».
«Le régime d’occupation russe tente de convaincre la population locale que (la Russie) a établie de façon définitive son contrôle sur les territoires occupés».
À Washington, l’ambassadeur américain auprès de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), Michael Carpenter, a fait état d’informations «très crédibles» selon lesquelles la Russie entend organiser «vers la mi-mai» des référendums pour «tenter d’annexer» les «républiques» séparatistes prorusses de Donetsk et Lougansk, dans le Donbass (est de l’Ukraine).
Zaporizhzhia — Un haut responsable américain a averti que la Russie prévoyait d’annexer de grandes parties de l’est de l’Ukraine plus tard ce mois-ci, et l’aciérie de Mariupol, qui est devenue le dernier bastion de la résistance de la ville, a subi un nouvel assaut un jour après la première évacuation des civils de l’usine.
L’ambassadeur des États-Unis auprès de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, Michael Carpenter, a déclaré lundi que les États-Unis pensaient que le Kremlin prévoyait également de reconnaître la ville méridionale de Kherson en tant que république indépendante. Aucune de ces décisions ne serait reconnue par les États-Unis ou leurs alliés, a-t-il dit.
M. Carpenter a cité des informations selon lesquelles la Russie prévoit d’organiser des référendums truqués dans les soi-disant Républiques populaires de Donetsk et de Louhansk qui «tenteraient d’ajouter un semblant de légitimité démocratique ou électorale» et de rattacher les entités à la Russie. Il a également déclaré qu’il y avait des signes que la Russie organiserait un vote pour l’indépendance à Kherson.
Il a noté que des maires et des législateurs locaux ont été enlevés, que les services d’Internet et de téléphonie mobile ont été coupés et qu’un programme scolaire russe sera bientôt imposé. Le gouvernement ukrainien a déclaré que la Russie avait également introduit le rouble comme monnaie.
À Mariupol, qui est bombardée, plus de 100 personnes — dont des femmes âgées et des mères avec de jeunes enfants — ont quitté dimanche l’aciérie d’Azovstal recouverte de décombres et elles sont parties dans des bus et des ambulances pour la ville de Zaporizhzhia sous contrôle ukrainien, à environ 230 kilomètres au nord-ouest, selon les autorités et une vidéo publiée par les deux parties.
Le maire adjoint de Marioupol, Sergei Orlov, a déclaré à la BBC que les personnes évacuées progressaient lentement. Les autorités n’ont donné aucune explication pour ce retard.
Certains des civils ont apparemment été emmenés dans un village contrôlé par des séparatistes soutenus par la Russie. L’armée russe a déclaré que certains avaient choisi de rester dans les zones séparatistes, tandis que des dizaines sont partis pour le territoire sous contrôle ukrainien.
Dans le passé, l’Ukraine a accusé les troupes de Moscou d’emmener des civils contre leur gré en Russie ou dans des zones contrôlées par la Russie. Le Kremlin a démenti.
Le bombardement russe de l’usine par des avions, des chars et des navires a repris après l’évacuation partielle, a déclaré sur l’application de messagerie Telegram le bataillon ukrainien Azov, qui aide à défendre l’usine.
M. Orlov a fait savoir que des négociations de haut niveau étaient en cours entre l’Ukraine, la Russie et les organisations internationales sur l’évacuation de plus de personnes.
L’évacuation de l’aciérie, si elle réussit, représenterait un progrès rare dans l’allègement du coût humain de cette guerre de près de dix semaines, qui a causé des souffrances particulières à Marioupol. Les précédentes tentatives d’ouvrir des couloirs de sécurité pour quitter la ville portuaire du sud et d’autres endroits ont échoué, les responsables ukrainiens accusant les forces russes de tirer et de bombarder le long des itinéraires d’évacuation convenus.
Par leurs propres moyens
Avant l’évacuation du week-end, supervisée par les Nations Unies et la Croix-Rouge, environ 1 000 civils se trouvaient dans l’usine, ainsi qu’environ 2 000 défenseurs ukrainiens. La Russie a exigé que les combattants se rendent ; ils ont refusé.
Jusqu’à 100 000 personnes au total pourraient encore se trouver à Marioupol, qui comptait plus de 400 000 habitants avant la guerre. Les forces russes ont réduit une grande partie de la ville en décombres, piégeant les civils avec peu de nourriture, d’eau, de chauffage ou de médicaments.
Certains habitants de Marioupol sont sortis de la ville par leurs propres moyens, souvent dans des voitures privées endommagées.
Alors que le coucher du soleil approchait, Yaroslav Dmytryshyn, un habitant de Marioupol, s’est rendu dans un centre d’accueil à Zaporizhzhia dans une voiture avec un siège arrière plein de jeunes et deux pancartes collées sur la vitre arrière: «enfants» et «petits».
«Je n’arrive pas à croire que nous ayons survécu», a-t-il déclaré, l’air usé, mais de bonne humeur après deux jours sur la route.
«Il n’y a plus de Marioupol, a-t-il mentionné. Quelqu’un doit le reconstruire, et il faudra des millions de tonnes d’or.» Il a dit qu’ils vivaient juste en face de la voie ferrée de l’aciérie. «Ruiné, a-t-il lancé. L’usine a complètement disparu.»
Anastasiia Dembytska, qui a profité du cessez-le-feu pour partir avec sa fille, son neveu et son chien, a dit qu’elle pouvait voir les aciéries de sa fenêtre, quand elle a osé regarder dehors.
«Nous pouvions voir les roquettes voler» et des nuages de fumée au-dessus de l’usine, a-t-elle raconté.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré à la télévision d’État grecque que les civils restés dans l’aciérie avaient peur de monter à bord des bus parce qu’ils craignaient d’être emmenés en Russie. Il a dit que les Nations unies lui avaient assuré qu’ils seraient autorisés à se rendre dans les zones contrôlées par son gouvernement.
Plus d’un million de personnes, dont près de 200 000 enfants ont été emmenées d’Ukraine en Russie depuis le début de l’invasion russe, a indiqué lundi le ministère russe de la Défense, selon l’agence de presse russe TASS.
Le responsable du ministère de la Défense, Mikhail Mizintsev, a précisé que ce nombre comprenait 11 550 personnes, dont 1 847 enfants, au cours des dernières 24 heures, «sans la participation des autorités ukrainiennes».
Il a déclaré que ces civils «ont été évacués vers le territoire de la Fédération de Russie depuis les régions dangereuses des Républiques populaires de Donetsk et de Louhansk», et d’autres parties de l’Ukraine, selon le rapport. Aucun détail n’a été fourni.
Lundi, M. Zelensky a déclaré qu’au moins 220 enfants ukrainiens ont été tués par l’armée russe depuis le début de la guerre et que 1 570 établissements d’enseignement ont été détruits ou endommagés.
Effondrement d’un pont stratégique
Contrecarré dans sa tentative de s’emparer de Kyiv, la capitale, le président russe Vladimir Poutine s’est concentré sur le Donbass, le cœur industriel de l’est de l’Ukraine, où les séparatistes soutenus par Moscou combattent les forces ukrainiennes depuis 2014.
La Russie a affirmé avoir frappé des dizaines de cibles militaires dans la région, notamment des concentrations de troupes et d’armes et un dépôt de munitions près de Chervone dans la région de Zaporizhzhia, à l’ouest du Donbass.
Les responsables ukrainiens et occidentaux affirment que les troupes de Moscou font pleuvoir des tirs sans discernement, faisant un lourd tribut aux civils tout en ne progressant que lentement.
Le gouverneur de la région d’Odessa, le long de la côte de la mer Noire, Maksym Marchenko, a déclaré sur Telegram que lundi, une frappe de missile russe sur une cible d’infrastructure d’Odessa avait fait des morts et des blessés. Il n’a donné aucun détail. M. Zelensky a affirmé que l’attaque avait détruit un dortoir et tué un garçon de 14 ans.
L’Ukraine a déclaré que la Russie avait également percuté un pont routier et ferroviaire stratégique à l’ouest d’Odessa. Le pont a été lourdement endommagé lors de précédentes frappes russes, et sa destruction aurait coupé une voie d’approvisionnement en armes et autres marchandises en provenance de la Roumanie, voisine.
L’attaque d’Odessa est intervenue huit ans jour pour jour après des affrontements meurtriers entre partisans du gouvernement ukrainien et manifestants réclamant l’autonomie dans l’est du pays. En 2014, les partisans du gouvernement ont incendié un bâtiment syndical contenant des manifestants proautonomie, tuant plus de 40 personnes.
L’Ukraine a affirmé avoir détruit deux petits bateaux patrouilleurs russes en mer Noire.
Marioupol, qui se trouve dans le Donbass, est la clé de la campagne russe à l’est. Sa capture priverait l’Ukraine d’un port vital, permettrait à la Russie d’établir un corridor terrestre vers la péninsule de Crimée, qu’elle a saisie à l’Ukraine en 2014, et libérerait des troupes pour combattre ailleurs.