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Ukraine: nouvelles sanctions américaines, Kyiv appelle à évacuer

AFP|Mis à jour le 16 avril 2024

Ukraine: nouvelles sanctions américaines, Kyiv appelle à évacuer

Les chiffres de l'inflation de mars sont attendus mercredi soir et devraient battre des records. (Photo: Getty Images)

Pour retrouver toute notre couverture sur l’invasion russe en Ukraine, c’est ici.  

 

Les États-Unis ont annoncé mercredi une nouvelle salve de sanctions « dévastatrices » contre la Russie, accusée de crimes de guerre, tandis que l’Ukraine appelait les populations civiles à évacuer l’est de son territoire, désormais cible prioritaire du Kremlin.

Ces nouvelles mesures américaines, en réponse aux « atrocités » commises en Ukraine, interdisent «tout nouvel investissement» en Russie et vont appliquer les contraintes les plus sévères possibles aux grandes banques russes Sberbank et Alfa Bank, ainsi qu’à plusieurs importantes entreprises publiques. Elles visent également les filles du président russe Vladimir Poutine.

Elles devaient être décidées en coordination avec le G7 et l’Union européenne, pressée par Kyiv d’en faire plus contre Moscou, notamment en matière de sanctions énergétiques, un sujet qui divise l’UE, dont certains États membres sont très dépendants des livraisons russes.

Le Royaume-Uni a dans la foulée annoncé interdire tout investissement en Russie et des sanctions dans la finance et l’énergie. 

Le président du Conseil européen Charles Michel a estimé mercredi que l’UE devrait « tôt ou tard » prendre des sanctions sur le pétrole et le gaz russe.

«Nous ne pouvons tolérer aucune indécision après ce que nous avons traversé», a de son côté lancé le président ukrainien Volodymyr Zelensky, s’adressant au Parlement irlandais.

Il faisait allusion aux accusations portées contre la Russie d’exactions sur les populations civiles, notamment dans la ville de Boutcha, près de Kyiv. Mardi, il avait déjà lancé un appel passionné au Conseil de sécurité de l’ONU, sommé d’agir « immédiatement » face aux « crimes de guerre » dont il accuse Moscou.

Volodymyr Zelensky a notamment fait projeter aux diplomates des images dramatiques montrant, selon Kyiv, de nombreux cadavres des victimes civiles de violences filmées dans des localités récemment évacuées par l’armée russe.

Des accusations formellement rejetées par Moscou, Vladimir Poutine dénonçant mercredi une « provocation grossière et cynique » de l’Ukraine à Boutcha.

Mais l’Allemagne, très dépendante du gaz russe, a estimé que la thèse de Moscou d’une mise en scène ukrainienne n’était «pas tenable» au vu des photos satellites qui ont été diffusées.

 

Conditions

La Chine, très prudente sur le conflit, a de son côté évoqué des images «profondément dérangeantes», mais rappelé que « toute accusation » devait « être fondée sur des faits ».

Le pape François a fustigé «une cruauté toujours plus horrible (y compris) contre les civils, des femmes et des enfants». 

Les autorités ukrainiennes affirment de leur côté redouter la découverte d’autres massacres et que celui de Boutcha ne soit «pas le pire».

Sur le plan militaire, elles craignent également une offensive russe de grande envergure dans l’est, sur les zones qu’elles contrôlent près de la frontière russe. 

La vice-première ministre ukrainienne Iryna Verechtchouk a d’ailleurs appelé mercredi la population civile de ces régions, dont la grande ville de Kharkiv, à «évacuer (…) maintenant», pendant qu’il en est temps, sous peine de «risquer la mort».

Sur le plan diplomatique, le premier ministre nationaliste hongrois Viktor Orban, tout juste réélu et proche de Vladimir Poutine, a annoncé mercredi avoir suggéré au président russe de décréter un « cessez-le-feu immédiat » et de se rendre à Budapest pour des discussions avec les dirigeants ukrainien, français et allemand. «Il a dit oui, mais avec des conditions», a-t-il dit sans plus de détails.

Mais le conflit ne donne aucun signe d’affaiblissement, et l’OTAN doit à nouveau se pencher dessus à l’occasion d’une réunion mercredi et jeudi à Bruxelles des ministres des Affaires étrangères des États membres de l’Alliance.

«La guerre peut durer longtemps, plusieurs mois, voire des années. Et c’est la raison pour laquelle nous devons également être préparés à un long parcours, à la fois en ce qui concerne le soutien à l’Ukraine, le maintien des sanctions et le renforcement de nos défenses», a déclaré en ouverture son secrétaire général Jens Stoltenberg.

L’OTAN n’intervient militairement que pour défendre ses membres lorsque l’un d’eux est attaqué ou sous mandat de l’ONU. L’Ukraine n’en est pas membre, mais rien n’empêche les trente pays de l’Alliance de lui apporter une aide.

Sur le terrain, Moscou poursuit sa nouvelle stratégie : concentrer les efforts sur le Donbass, le vaste bassin minier de l’est de l’Ukraine en partie aux mains depuis 2014 de séparatistes prorusses.

 

«Surprises»

Des journalistes de l’AFP ont constaté mercredi matin des pilonnages réguliers sur Severodonetsk, 100 000 habitants avant le conflit, la ville la plus à l’est tenue par l’armée ukrainienne dans le Donbass, tout près de la ligne de front.

L’AFP y a vu un bâtiment en feu tandis que de très rares civils étaient visibles dans les rues, courant se mettre à couvert dès que les frappes reprenaient.

Selon le gouverneur régional, dix immeubles, un centre commercial et des garages avoisinants ont au total été touchés, ce qui a provoqué un important incendie.

À Vougledar, une ville de 15 000 habitants à 50 kilomètres au sud-ouest de Donetsk, deux civils ont été tués et cinq blessés dans le bombardement d’un centre de distribution d’aide, selon le gouverneur de la région de Donetsk, Pavlo Kirilenko.

Un peu plus loin, les forces ukrainiennes se préparaient à défendre une route reliant Izioum, récemment prise par les forces russes, aux cités voisines de Sloviansk et Kramatorsk, la capitale de fait de l’Est contrôlé par Kyiv.

Encombrée d’obstacles antichars, la route est entourée de tranchées creusées au bulldozer. Pièces d’artillerie et autres engins blindés plus ou moins enterrés parsèment les environs et la forêt est truffée d’abris et autres matériels.

« Les Russes s’activent, nous savons qu’ils se préparent à attaquer », a expliqué à l’AFP un officier supérieur, évoquant une multiplication des vols d’hélicoptères russes au-dessus du front.

«Nous sommes prêts. (…) Nous leur avons préparé quelques surprises», a ajouté cet ancien combattant de la guerre de 2014, deux fois blessé.

La logistique ukrainienne est également visée. Selon le ministère russe de la Défense, cinq dépôts de carburant qui approvisionnaient les forces ukrainiennes dans les régions de Kharkiv et de Mykolaïv (sud), ainsi que dans le Donbass et près de Dnipro (est) ont été détruits dans la nuit par des missiles.

Les frappes aériennes russes ont au total atteint 24 sites militaires ukrainiens, selon le ministère.

 

«Ma mère ou mes petits-enfants»

Les forces russes continuent également à consolider leurs positions sur la bande côtière le long de la mer d’Azov, dans le sud de l’Ukraine, pour relier les régions du Donbass à la péninsule de Crimée, annexée par Moscou en 2014.

Les combats se concentrent notamment toujours sur la grande ville portuaire de Marioupol, dont le maire qualifiait mardi à la situation comme ayant «dépassé le stade de la catastrophe humanitaire».

Quelque 120 000 de ses habitants y sont toujours coincés, selon lui, et les évacués, après un éprouvant voyage de 200 kilomètres, se retrouvent dans des centres d’accueil à Zaporojie, dans les terres, où un convoi du CICR est arrivé mercredi avec plus de 500 réfugiés.

Des personnes arrivées auparavant ont raconté à l’AFP l’enfer de Marioupol, comme Angela Berg, 55 ans, qui a tout laissé dans cette ville, y compris sa mère, trop âgée pour le périple.

«Un homme armé d’une mitraillette nous a forcés à nous coucher au sol devant notre immeuble de 12 étages, sur des bouts de verre brisé. Puis ils ont commencé à tirer dessus avec des chars, l’immeuble a pris feu. Et l’homme à la mitraillette tirait sur les gens qui tentaient de sortir. Ils ne nous ont rien laissé récupérer jusqu’à ce que tout ait brûlé».

Pire, elle explique avoir dû abandonner sa mère et sa belle-sœur invalide pour sauver le reste de sa famille, dont sa petite-fille de trois mois, malade. «C’est la plus pénible décision que j’aie jamais prise. J’ai dû choisir entre ma mère et mes petits-enfants».

Moscou — Risque de défaut, effondrement du secteur automobile, inflation… Après des semaines de sanctions de plus en plus dures, l’économie russe commence à se fissurer, selon des données publiées mercredi. 

Si les annonces en cascades de retraits de groupes internationaux de Russie avaient fait du bruit, elles ne s’étaient pas encore traduites par de graves répercussions sur l’activité économique réelle.

Mais plusieurs semaines après des salves de sanctions allant crescendo depuis le début de l’offensive russe en Ukraine, les effets commencent désormais à se faire sentir.

Le ministère des Finances russe a ainsi annoncé avoir réglé en roubles une dette de près de 650 millions de dollars américains à la suite du refus d’une banque étrangère d’effectuer le paiement en dollars, ce qui l’expose à un risque de défaut au bout d’une période de grâce de 30 jours commençant le 4 avril.

Pendant plusieurs semaines, la Russie a réussi à écarter le danger d’un défaut, le Trésor américain permettant l’utilisation de devises étrangères détenues par Moscou à l’étranger pour régler des dettes extérieures. Mais il a durci cette semaine les sanctions, n’acceptant plus de dollars détenus par Moscou dans des banques américaines. 

Le ministère russe a par ailleurs mis en garde mercredi les créanciers de «pays hostiles»: l’argent leur sera remboursé en roubles déposés sur un compte russe, et ils ne pourront convertir ces roubles qu’à condition que les fonds de la Russie à l’étranger ne soient débloqués.

«Il n’y a pas de fondement pour un réel défaut», a pour sa part balayé le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov, interrogé lors d’un point de presse mercredi, affirmant que «la Russie a toutes les ressources nécessaires pour honorer ses dettes».  

 

«Poutine appauvrit la Russie»

«Il est difficile pour la Russie d’éviter un défaut souverain», a néanmoins commenté Timothy Ash, analyste de Blue Bay Asset. «Un défaut est un défaut. Les marchés le jugeront ainsi. Les investisseurs n’ont pas été payés. Ils s’en souviendront».

«Un défaut pourrait ne pas faire s’effondrer immédiatement les marchés et l’économie russes, mais aura des conséquences dévastatrices à plus long terme», ajoute cet économiste, qui prévoit «un impact sur l’investissement, la croissance, le niveau de vie» entre autres. 

«Poutine appauvrit la Russie pour des années», conclut-il.

Autre chiffre choc du jour, les ventes de voitures neuves se sont effondrées de 62,9% en mars sur un an, symbole de tout un secteur mis aux abois, les Occidentaux ayant notamment banni les exportations vers la Russie de pièces détachées.

De nombreux producteurs ont annoncé en outre l’arrêt de la vente de composants ou de voitures à la Russie, à l’instar d’Audi, Honda, Jaguar ou Porsche. D’autres ont annoncé l’arrêt de la production, comme Renault, BMW, Ford, Hyundai, Mercedes, Volkswagen ou Volvo.

Les usines d’Avtovaz (groupe Renault-Nissan), premier producteur de voitures en Russie, employant des dizaines de milliers de personnes, sont quasiment à l’arrêt en raison d’une pénurie de composants importés.

Selon les données d’Avtostat citées par Kommersant, les prix des voitures neuves ont augmenté en moyenne de 40% en mars, et jusqu’à 60% pour les voitures haut de gamme, dont l’approvisionnement est limité par des problèmes de logistique ainsi que par les sanctions. 

Les chiffres de l’inflation de mars sont attendus mercredi soir et devraient battre des records. 

Alexeï Vedev, chercheur associé à l’institut Gaïdar de l’université Ranepa à Moscou, estime qu’elle sera aux alentours de 20% annuels, après avoir dépassé 9% en février sur un an.

«Ce fut un mois de panique chez les consommateurs», qui se sont rués vers des produits dont ils prévoient la disparition, estime-t-il. «Lorsque la situation se stabilisera, les processus objectifs à l’œuvre deviendront plus clairs».

Et selon Andreï Iakovlev, de la Haute école d’économie de Moscou, la véritable crise n’atteindra l’économie réelle que cet été ou cet automne: «en mai, un grand nombre d’entreprises sont susceptibles de s’arrêter» faute de composants importés, notamment dans l’industrie automobile qui emploie des centaines de milliers de personnes.