Kyiv dénonce pour sa part une politique de «déplacement forcé», et prend à témoin la communauté internationale. (Photo: Getty Images)
Moscou — Vladimir Poutine a annoncé vendredi la poursuite de l’évacuation des habitants de la région de Kherson, dans le sud de l’Ukraine, que la Russie pourrait perdre sous la pression de l’armée ukrainienne.
Kyiv dénonce pour sa part une politique de «déplacement forcé», et prend à témoin la communauté internationale.
Celle-ci a multiplié les initiatives le même jour pour tenter de contraindre Moscou à infléchir son offensive, du chancelier allemand Olaf Scholz qui a demandé à Pékin d’user de son influence sur le Kremlin, au G7 réuni à Münster qui a réitéré son soutien indéfectible à Kyiv.
Le président russe, sur la Place Rouge pour la fête de l’Unité nationale, n’a pour sa part pas dévié dans son discours à propos de l’Ukraine et des alliés occidentaux.
«En fournissant continuellement des armes à l’Ukraine, en y envoyant des mercenaires, (les Occidentaux) sont absolument sans pitié pour les citoyens (ukrainiens). À leurs dépens, ils favorisent leurs objectifs géopolitiques, qui n’ont rien à voir avec les intérêts du peuple ukrainien», a-t-il lancé.
Selon le président russe, ces efforts «visent également à affaiblir, désintégrer, détruire la Russie».
Concernant l’évacuation des habitants de Kherson, sous la pression des avancées ukrainiennes, il a opéré un glissement sémantique, de l’évacuation volontaire vers un déplacement forcé.
«Ceux qui vivent actuellement à Kherson doivent être éloignés des zones de combats les plus dangereuses», a-t-il souligné.
Kyiv dénonce de son côté une politique de «déportation» des populations ukrainiennes vers l’est de son territoire sous contrôle russe, voire vers la Russie elle-même.
«L’administration d’occupation russe a commencé des déplacements de masse forcés d’habitants» de la région de Kherson, a ainsi dénoncé vendredi soir le ministère ukrainien des Affaires étrangères, affirmant que «des déplacements similaires sont aussi menés par la Russie dans les régions de Zaporijjia, Lougansk et Donetsk, ainsi qu’en Crimée».
Les autorités russes d’occupation ont en outre assuré vendredi qu’aucun couvre-feu ne sera mis en place à Kherson, quelques minutes après en avoir annoncé un.
«Un couvre-feu a été décrété dans la ville de Kherson, qui durera 24h sur 24, afin que nous puissions défendre notre ville», avait déclaré dans un premier temps sur Telegram le responsable adjoint de l’autorité d’occupation russe à Kherson, Kirill Stremooussov.
Il a ensuite supprimé quelques minutes plus tard sa vidéo initiale, la remplaçant par une vidéo similaire où il n’était plus question de ce couvre-feu, sans explications, avant de publier une nouvelle vidéo assurant qu’«il n’y avait aucune restriction pour les habitants» à Kherson.
La semaine passée, les forces d’occupation russes avaient indiqué que 70 000 habitants de Kherson et de la région avaient été transférés sur la rive gauche du fleuve Dniepr, où Moscou contrôle mieux la situation.
«Plus de 5 000» par jour
Mais le ministère russe de la Défense a annoncé vendredi sur Telegram que ces transferts de population se poursuivaient au rythme de «plus de 5 000» personnes par jour.
Pourtant, dans un village de la région, Arkhanguelské, récemment libéré par les troupes ukrainiennes et portant encore les traces de violents combats — uniformes russes ensanglantés dans les rues, destructions et odeur de cadavre émanant de certains bâtiments — une habitante a raconté avoir accueilli les soldats ukrainiens en héros.
«Les soldats m’ont serrée si fort dans leurs bras que j’avais l’impression qu’ils étaient mes enfants», a dit Tamara Propokiv, 59 ans, les larmes aux yeux.
Anatoliï Maïstrenko et Antonina Voïtsechko, un couple d’habitants, lui «tractoriste», elle infirmière, reconverti en passeurs pendant l’occupation russe, ont raconté avoir aidé plus de 2 000 civils à rejoindre clandestinement le territoire sous contrôle ukrainien, en leur faisant franchir sous les bombes la rivière Ingoulets dans leur canot pneumatique.
Pour endiguer la dynamique ukrainienne sur le terrain, Vladimir Poutine s’est vanté sur la Place Rouge d’avoir même dépassé les objectifs de mobilisation de réservistes.
«Nous avons déjà 318.000 (mobilisés). Pourquoi 318 000? Parce que des volontaires continuent d’arriver. Le nombre de volontaires ne diminue pas», s’est félicité le président russe, dont le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, avait donné le 28 octobre le chiffre de 300 000 mobilisés.
Des proches de soldats russes ont pourtant raconté à l’AFP le «chaos» de la mobilisation décrétée par Vladimir Poutine le 21 septembre après une débâcle de son armée dans le nord-est de l’Ukraine.
«Tout ce qu’on nous montre à la télé, c’est du flan. On a l’impression que la décision de mobiliser a été prise brusquement et que personne n’était prêt», a dit Tatiana, une femme dont le neveu a été mobilisé début octobre à Krasnogorsk, en banlieue nord-ouest de Moscou. Elle préfère taire son nom de famille par crainte de représailles, dans un pays où ceux qui critiquent l’armée risquent la prison.
Des «traîtres», des «lâches»
Des milliers d’hommes russes ont aussi fui le pays par peur d’être mobilisés.
«Des traîtres, lâches, et des transfuges cupides», a commenté vendredi Dmitri Medvedev, jadis considéré comme un président «libéral» entre deux mandats de Vladimir Poutine, et aujourd’hui parmi les faucons les plus violents au sein de la direction russe.
Sur le terrain diplomatique, les soutiens occidentaux de l’Ukraine ont redoublé d’efforts pour tenter d’enrayer l’escalade militaire, après de nouvelles frappes massives de missiles de croisière sur Kyiv et d’autres villes du pays cette semaine.
En visite à Pékin, le chancelier allemand Olaf Scholtz a demandé au président Xi de faire jouer «son influence» sur la Russie afin qu’elle mette fin à sa «guerre d’agression» contre l’Ukraine.
L’Allemagne et la Chine ont aussi conjointement annoncé leur opposition à toute idée de frappe nucléaire, alors que Moscou a plusieurs fois évoqué cette menace.
Les pays du G7, réunis vendredi au niveau ministériel à Münster, dans l’ouest de l’Allemagne, se sont joints à cette mise en garde, dénonçant dans leur communiqué final la «rhétorique nucléaire inacceptable de la Russie».
«Nous réitérons notre engagement inébranlable à continuer de fournir le soutien financier, humanitaire, politique, technique et de défense dont l’Ukraine a besoin pour soulager la souffrance de sa population et défendre sa souveraineté et intégrité territoriale dans ses frontières reconnues au niveau international», ont-ils ajouté.
«Nous allons les aider à conclure victorieusement ce conflit, aussi longtemps qu’il le faudra», a explicité le chef de la diplomatie britannique James Cleverly.
«La chose la plus importante que je suis venu dire (…) c’est que les États-Unis vont soutenir l’Ukraine aussi longtemps que le nécessitera ce combat», a aussi déclaré le conseiller à la Sécurité nationale de la Maison-Blanche Jake Sullivan, en visite à Kyiv.
Le G7 a également convenu de mettre en place «un mécanisme de coordination» afin d’aider l’Ukraine à réparer et défendre ses infrastructures indispensables d’électricité et d’approvisionnement en eau, pilonnées ces dernières semaines par la Russie.