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NanoXplore parie tout sur le graphène

Simon Lord|Édition de la mi‑octobre 2024

NanoXplore parie tout sur le graphène

Les résultats du premier trimestre de NanoXplore ont été supérieurs au consensus. (Photo: courtoisie)

PLAN DE MATCH. Avec un marché mondial de véhicules électriques qui ralentit, NanoXplore (GRA, 2,30 $) met sur pause son projet de construction d’une nouvelle usine de batteries. En revanche, l’entreprise montréalaise avance à plein régime dans son projet d’expansion de ses installations de production de graphène.

Fondée en 2011, NanoXplore est le premier producteur mondial de graphène, sa capacité de production annuelle à son usine montréalaise étant de 4000 tonnes. Elle contrôle 40 % du marché mondial. Son concurrent principal, le deuxième producteur au monde, est une entreprise chinoise, Sixth Element, ayant un volume de production annuelle de 1000 tonnes.

Ce nanomatériau avancé, un cristal de carbone bidimensionnel, comporte différents usages en raison de ses propriétés uniques. Il peut par exemple être utilisé pour renforcer certains matériaux, comme le plastique, mais sa conductibilité extraordinaire est aussi un atout qui en fait un intrant idéal pour fabriquer des anodes de batteries aux ions de lithium.

Jusqu’ici, NanoXplore avait trouvé deux filons intéressants à exploiter d’un point de vue commercial. L’entreprise se focalisait d’une part sur le marché des matériaux avancés et, d’autre part, sur celui des batteries. Sa division VoltaXplore opère d’ailleurs depuis 2022 une usine-pilote de fabrication
de batteries ayant une capacité de
1 mégawattheure.

Mais les vents contraires sur le marché des véhicules électriques l’amènent aujourd’hui à changer de cap.

Un projet sur pause

En mai 2023, en entrevue dans les médias, le président de NanoXplore parlait avec enthousiasme de son projet de construire une nouvelle usine de batteries d’une capacité de 2 mégawattheures. Celle-ci aurait été capable de fabriquer 15 millions de batteries par année, assez pour équiper 50 000 véhicules.

Beaucoup d’eau a toutefois coulé sous les ponts en un peu plus d’un an, et les perspectives du marché des batteries se sont assombries.

« Le secteur est au ralenti, c’est clair et net. La demande a baissé autant dans le marché des véhicules personnels que commerciaux », note Pierre‑Yves Terrisse, vice-président du développement corporatif à NanoXplore.

Il n’est pas sans avoir observé les difficultés des joueurs québécois qui évoluent dans ces marchés. Les résultats de Lion Électrique (LEV, 1,05 $), par exemple, ont beaucoup déçu les investisseurs cette année — et le titre a dégringolé en conséquence — alors que Moteurs Taiga s’est mise à l’abri de ses créanciers au cours de l’été.

« On préfère attendre avant de nous lancer », explique-t-il.

La porte reste ouverte, assure néanmoins le vice-président, mais seulement à condition de trouver un partenaire stratégique. L’idée serait pour l’entreprise de lier ses forces à celles d’une entreprise ayant des connaissances techniques en fabrication de batteries, de même qu’une bonne compréhension du marché.

« Rien ne dit qu’on ne relancera pas le projet dans six, douze mois, si le marché des véhicules électriques reprend de la vigueur, dit Pierre‑Yves Terrisse. Mais pour l’instant, c’est une initiative
latente. »

Un projet à pleins gaz

En contrepartie, NanoXplore a « un gros plan de croissance » devant elle, assure le vice-président, un plan qui passera par la construction d’une nouvelle usine de production de graphène. Celle-ci fera à terme passer la capacité de production annuelle de l’entreprise de 4000 à 20 000 tonnes.

Plus précisément, de cette production supplémentaire de 16 000 tonnes, l’entreprise produira 8 000 tonnes de poudre de graphène et 8 000 tonnes de graphite purifié sphérique enrobé (CSPG), un composant d’anode de batterie.

« Actuellement, il n’y a pas de producteur de CSPG à grand volume en Amérique du Nord, dit Pierre‑Yves Terrisse. On profitera donc de l’avantage du premier arrivé sur le marché. »

Avec l’Inflation Reduction Act, cette loi américaine qui impose un approvisionnement nord-américain aux fabricants américains de batteries, NanoXplore pourrait voir sa demande fermement soutenue, anticipe le vice-président.

Il indique par ailleurs être en très bonne posture avec ce plan puisque ses clients potentiels disent avoir des besoins allant bien au-delà des volumes de production prévus par NanoXplore.

« Ils aimeraient nous voir produire de 30 000 à 50 000 tonnes de CSPG annuellement, précise-t-il. Ce qui nous laisse déjà réfléchir à une deuxième phase d’expansion. »

Pour financer la première phase de son projet, l’entreprise compte sur un soutien financier des ordres des gouvernements provincial et fédéral. Au total, NanoXplore parle d’une aide qui pourrait atteindre 80 millions de dollars (M$) sous forme de subventions, de crédits d’impôt et de prêts à faible taux d’intérêt.

« On est en train de finaliser l’entente », explique Pierre‑Yves Terrisse. Il estime que la construction pourra sans doute commencer cet automne, puisque l’entreprise a déjà choisi son terrain, sur la Rive-Nord dans la région de Montréal, et obtenu les permis requis pour lancer les travaux.

Un avantage concurrentiel

Au-delà d’augmenter ses volumes de production, cette nouvelle usine accordera un autre avantage important à NanoXplore, explique son vice-président.

La production de CSPG implique la création de résidus : des flocons de graphite. Ceux-ci peuvent être utilisés comme matière première pour fabriquer du graphène, ce qui signifie que l’entreprise verra son coût de production de graphène réduit de manière considérable.

« Ce sera un avantage concurrentiel assez important », dit Pierre‑Yves Terrisse. Sur le plan financier, il estime que les chiffres de l’entreprise continueront de s’améliorer avec la livraison
de ce projet.

Cette année, l’entreprise n’a pas connu de croissance au cours des deux premiers trimestres, une réalité qu’elle attribue à des grèves chez ses clients.

« Mais nos marges n’ont fait qu’augmenter à travers l’année, dit le vice-président. Au quatrième trimestre de notre exercice 2024 (terminé le 30 juin, NDLR), par exemple, on a fait état d’une marge brute de 23,6 %, avec un bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA) ajusté de 2,5 M$, lui qui était de 0,5 M$ à la même période en 2023. Ce sera meilleur encore en 2025. »

Expansion internationale

À plus long terme, Pierre-Yves Terrisse voit son entreprise maintenir son statut de plus gros producteur mondial de graphène. Il ne craint pas la concurrence.

« On est le plus gros producteur et on va le rester pendant un moment, dit-il. On n’a pas de dettes et 30 M$ de [trésorerie], on a plusieurs atouts aux yeux de grands clients comme Paccar et Volvo, qui ont des programmes d’approvisionnement de 7, 8 ou 10 ans. »

D’ici cinq ans, NanoXplore se voit agrandir ses opérations hors du pays. Pour le moment, le choix le plus stratégique serait celui des États-Unis, où l’entreprise compte déjà plusieurs clients.

« Pourrait-on ouvrir une usine là-bas ? Potentiellement », dit Pierre-Yves Terrisse. Il voit également un intérêt pour le graphène au Proche-Orient, par exemple en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. Le graphène peut remplacer le noir de carbone, un dérivé de la production de produits pétroliers, dans la fabrication de divers produits.

« Ce sont des économies qui essaient de se diversifier, de trouver des avenues économiques qui dépendent moins du pétrole, alors ça amène un marché potentiel pour nous », dit le vice-président.

Quant au financement, l’entreprise juge que ses besoins sont comblés pour le moment, ayant récolté plus de 150 M$ en financement privé au cours des six dernières années.

« On a par ailleurs obtenu une ligne de crédit de 60 M$ auprès de RBC, en mars, sans oublier le soutien que l’on est en train de boucler avec les deux ordres de gouvernement », dit Pierre-Yves Terrisse. L’entreprise n’est donc pas en recherche active de financement pour le moment.