Croissance, déficit, taux d’emprunt: la France joue gros avec la chute du gouvernement
AFP|Publié à 14h36Le gouvernement français pourrait tomber, entraînant une série de conséquences financières.
Croissance affaiblie, assainissement budgétaire ralenti, incertitude accrue… La chute probable du gouvernement sans budget pour 2025 pénalisera la France, estiment des économistes, sans forcément la plonger dans «la tempête» redoutée par le gouvernement.
Déficit malmené
Loi spéciale ou ordonnance, la France dispose de plusieurs moyens d’éviter une paralysie qui empêcherait les fonctionnaires d’être payés, par exemple.
Mais qu’un nouveau premier ministre fasse adopter «un budget édulcoré» incluant des concessions, ou que le budget 2024 soit reconduit à l’identique, le pays raterait son objectif de réduire son déficit public à 5% du PIB l’an prochain, projette Maxime Darmet, économiste chez Allianz.
Un budget 2024 reconduit se traduisant par un gel des dépenses de l’Etat en valeur représenterait entre 22 et 27 milliards de dollars canadiens d’économies, explique Mathieu Plane, économiste à l’OFCE. Soit un niveau proche de l’effort prévu dans le projet de loi de finances (PLF) initial pour 2025.
Les dépenses sociales, indexées automatiquement sur l’inflation, seraient cependant en hausse tandis l’État devrait renoncer aux hausses d’impôts – au moins 30 milliards – qu’il envisageait, comme la surtaxe sur les très hauts revenus ou les bénéfices des grandes entreprises.
La banque Natixis estime que, dans une telle hypothèse, le déficit atteindrait 5,3% du PIB alors que Paris est déjà épinglé par Bruxelles pour son déficit public excessif.
Gagnants et perdants
En cas de budget technique, les retraités verraient leur retraite revalorisée à hauteur de l’inflation au 1er janvier, alors que le gouvernement ne prévoyait de le faire totalement que pour les pensions inférieures au SMIC (salaire minimum interprofessionnel de croissance, soit le salaire minimum garanti pour une semaine de travail de 35 heures, NDLR), avec un décalage.
En revanche, le poids de l’impôt sur le revenu serait alourdi: en raison d’un barème non revalorisé en fonction de l’inflation, 380 000 foyers supplémentaires entreraient mécaniquement dans l’impôt sur le revenu et «17 millions de foyers paieraient plus», a récemment prévenu le ministre du Budget, Laurent Saint-Martin.
Autre perdant, les collectivités territoriales, dont la dotation versée par l’État risquerait d’être gelée, souligne Maxime Darmet, qui y voit un risque pour le fonctionnement des services publics. Certaines pourraient compenser le manque à gagner en relevant les taxes locales, notamment la taxe foncière, selon lui.
Croissance faible
La baisse des dépenses pèsera sur la croissance, à des degrés divers selon les scénarios.
«Avec un budget reconduit dans les termes de 2024, et notamment sur la partie dépenses, on aurait un retournement de ce qui a permis, pour l’instant, de maintenir un peu de croissance en France», à savoir «l’investissement public» dans une économie qui en est très dépendante, détaille Charles-Henri Colombier, directeur de la conjoncture chez Rexecode.
La pression fiscale en hausse sur les revenus des ménages ne serait pas non plus de nature à encourager la consommation.
À cela s’ajouterait une accentuation de l’effet négatif d’une incertitude politique – jusqu’ici évaluée à 0,2 point de PIB pour 2025 par l’OFCE – qui conduirait ménages comme entreprises à un attentisme prolongé. Charles-Henri Colombier évoque aussi la défiance grandissante des investisseurs étrangers.
Et qui dit moins de croissance, dit moins de rentrées fiscales, compliquant l’équation budgétaire.
Secousses financières
«Les conséquences de la censure pourraient nous coûter la confiance de nos créanciers et de nos voisins», a mis en garde mardi le président du Medef Patrick Martin, première organisation patronale.
Rétif à l’incertitude, les marchés financiers connaissent déjà des secousses. Après que Michel Barnier a engagé la responsabilité de son gouvernement, le taux de l’emprunt public français à 10 ans a immédiatement grimpé, passant en quelques heures de 2,86% à 2,92%.
Le spread, écart entre les taux de la France et de l’Allemagne, baromètre de la confiance des investisseurs, a lui aussi connu lundi une hausse rapide, à 0,88 point.
Dans son malheur, la France a un allié de poids: la Banque centrale européenne. Elle a engagé en juin une politique de baisse des taux, permise par le recul de l’inflation en zone euro, détendant la pression sur les taux d’intérêt des emprunts d’État.
Reste que «si rien ne bouge dans les prochains mois, une lassitude pourrait s’installer sur les marchés, et alors, tout pourrait très vite s’emballer», prévient Aurélien Buffault, gérant obligataire de Delubac AM.