Des politiciens mettent de la pression sur la Banque du Canada
La Presse Canadienne|Publié le 06 septembre 2023Le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem (Photo: La Presse Canadienne)
Ottawa — Deux premiers ministres provinciaux ont envoyé des lettres au gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, exhortant la banque centrale à suspendre ses hausses de taux, alors qu’elle doit annoncer mercredi sa plus récente décision à ce sujet.
Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a envoyé dimanche une lettre affirmant que les familles et les entreprises ne pouvaient pas se permettre «l’impact dévastateur de nouvelles hausses de taux», faisant écho à une lettre envoyée jeudi par le premier ministre de la Colombie-Britannique, David Eby.
Selon le professeur agrégé et directeur fondateur de l’École de politiques publiques Max Bell de l’Université McGill, Christopher Ragan, il est «malheureux» que les premiers ministres aient estimé que l’envoi de ces lettres était utile.
«Il est assez facile de trouver des gens qui soutiennent que la banque (centrale) ne devrait plus augmenter les taux d’intérêt», a observé M. Ragan.
Mais le fait que les premiers ministres envoient des lettres au gouverneur «apporte invariablement un élément politique» au débat, a-t-il ajouté.
Le premier ministre du Québec, François Legault, a semblé être du même avis mardi, lorsqu’il a refusé d’intervenir auprès de la banque centrale, comme demandaient notamment le Parti québécois et le Parti libéral du Québec, pour plutôt défendre son indépendance.
«Je ne pense pas que c’est une bonne idée d’aller suggérer de se mettre les deux mains dans les décisions de la Banque du Canada», a plaidé M. Legault.
La Banque du Canada est une institution indépendante qui reçoit son mandat du gouvernement fédéral et est responsable de maintenir un objectif d’inflation annuelle de 2 %.
Cependant, la banque centrale n’a pas été étrangère aux pressions et aux critiques politiques au cours des deux dernières années, alors qu’elle a traversé une période économique tumultueuse marquée par un ralentissement induit par une pandémie, suivi d’une inflation galopante.
Mais l’inflation reste supérieure à 2 %, et l’expert en politique monétaire Jeremy Kronick a estimé que la banque centrale était tenue de remplir son mandat.
«Ils ne contrôlent pas le mandat: le mandat est fixé par un accord entre eux et le gouvernement fédéral. Et donc pour eux, ils doivent continuer à faire ce qu’ils pensent être le mieux pour ramener l’inflation à 2 %», a affirmé M. Kronick, qui dirige la recherche sur les politiques financières et monétaires à l’Institut C.D. Howe.
La banque centrale doit annoncer mercredi sa plus récente décision sur les taux d’intérêt et la plupart des observateurs s’attendent à ce qu’elle maintienne son taux directeur à son niveau actuel, alors que l’économie commence à montrer des signes de faiblesse sous le poids de la hausse des taux d’intérêt.
La Banque du Canada ne commente pas les lettres que M. Macklem a reçues en raison de la «période de secret» imposée à ses communications avant les annonces sur les taux d’intérêt.
Signes de ralentissement
La banque centrale a augmenté de manière dynamique les taux d’intérêt depuis mars 2022 pour lutter contre l’inflation la plus élevée depuis des décennies. Elle a notamment relevé son taux directeur lors de ses deux dernières décisions, en juin et en juillet, en réponse à une économie plus vigoureuse que prévu.
Mais au cours de l’été, de nouveaux signes de ralentissement de l’économie sont apparus: le taux de chômage a augmenté et le produit intérieur brut réel s’est contracté de façon inattendue au deuxième trimestre.
Ces signes ont convaincu la plupart des prévisionnistes que la banque centrale restera à l’écart cette semaine, et qu’elle maintiendra son taux d’intérêt directeur à 5,0 % – son niveau le plus élevé depuis 2001.
La banque centrale s’est heurtée à l’opposition des groupes syndicaux et de certains penseurs politiques qui affirment que les difficultés qu’entraîneront les hausses de taux pour les travailleurs seront plus importantes que les avantages qu’elles devraient apporter.
Les politiciens ont également livré certaines opinions sur les décisions de la Banque du Canada au cours des dernières années. Le chef conservateur Pierre Poilievre a attaqué la Banque du Canada pour sa réponse politique à la pandémie de COVID-19 et s’est engagé à congédier M. Macklem si son parti devait former le gouvernement.
Pendant ce temps, le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, a soutenu que l’approche de la Banque du Canada en matière d’inflation était «mauvaise», qualifiant son taux d’intérêt directeur d’instrument «brutal».
Les critiques politiques ont soulevé des inquiétudes quant à l’ingérence auprès de la Banque du Canada et des questions sur la manière dont les élus devraient aborder les discussions sur les politiques de la banque centrale.
M. Ragan a estimé que la politique monétaire ne devrait pas être protégée du type de critiques auxquelles les autres politiques sont confrontées, mais a souligné que l’histoire avait montré que les banques centrales qui ne sont pas indépendantes des gouvernements étaient plus susceptibles de faire des choix politiques qui alimentent l’inflation.
Au lieu de débattre des opérations quotidiennes, M. Ragan a suggéré que les élus se concentrent sur le débat entourant ce que devrait être le mandat de la Banque du Canada.
Le mandat de la banque centrale dicte par exemple quel devrait être la cible de l’inflation et pourrait imposer d’autres priorités pour l’institution.
«Je pense que c’est un élément très important pour lequel le gouvernement et les élus doivent s’impliquer. Mais une fois que le mandat est établi, je pense qu’il y a un réel avantage à laisser la banque centrale faire son travail», a-t-il affirmé.
Par Nojoud Al Mallees