François-Philippe Champagne sur la filière batterie: «Le marché va régler ça»
Dominique Talbot|Mis à jour le 30 août 2024«À un certain moment, ces gens-là savent ce qu’ils font», estime le ministre de l’Industrie François-Philippe Champagne. (Photo: Getty Images)
Les écueils sont de plus en plus nombreux pour la filière batterie au Canada et au Québec: problèmes de Northvolt en Suède, l’arrêt du chantier de Ford à Bécancour, les difficultés de Lion électrique et maintenant ou la crainte d’un manque de matériaux critiques et stratégiques (MCS). Sûr de voir ceux-ci se régler, le ministre de l’Industrie François-Philippe Champagne ne compte cependant pas y arriver en injectant de nouveaux fonds publics.
«Si l’industrie [des voitures électriques] était mature, je serais inquiet. Mais là, c’est presque toute l’industrie qui s’ajuste. Il y a plein d’ajustements technologiques en même temps, il y a la demande du marché. Tout le monde essaie de s’ajuster pour arriver à la solution optimale», dit le ministre fédéral, en entrevue avec Les Affaires à Bécancour jeudi.
Plus tôt cette semaine, la publication d’un article de The Logic à propos du manque de MCS disponibles pour fournir à la demande à venir des usines actuellement en construction a semé le doute chez certains analystes qui suivent de près l’évolution de la filière batterie.
En substance, The Logic a publié les conclusions d’une réunion en décembre dernier d’un comité gouvernemental, au cours de laquelle des fonctionnaires ont estimé que plus de 24 milliards de dollars (G$US) d’investissement sont nécessaires pour répondre à la demande.
Autrement dit, le rythme de construction de nouvelles mines ou l’augmentation de la production de celles déjà construites devront être multipliés par cinq d’ici 2025. Sans compter les infrastructures nécessaires à la transformation de ces précieux matériaux. Et puisqu’il faut plusieurs années avant qu’une mine commence ses opérations, le temps presse, ont exprimé les fonctionnaires, ajoutant que le succès des futures usines de batteries pourrait être menacé.
Le ministre Champagne se dit conscient de ces défis, tout en relativisant les conclusions du rapport des fonctionnaires.
«On est dans du court terme. Quand vous parlez au PDG de Volkswagen, il regarde 100 ans en avant», exprime-t-il.
«Quand on regarde ça dans le contexte nord-américain, le seul pays qui a tous les minéraux critiques pour faire des véhicules électriques, c’est le Canada, soutient-il. Ils [les PDG] disent que présentement, nous n’avons pas toute la capacité de raffinage pour faire ça. Mais, et ce n’est pas moi qui le dit, c’est Bloomberg, pour les prochains 30 ans, le Canada est devant la Chine pour la chaîne d’approvisionnement pour les batteries.»
N’en demeure pas moins que les inquiétudes au gouvernement et celles exprimées par Volkswagen, Northvolt, Stellantis, LG et Honda ont soulevé quelques questions. Notamment, qu’est-ce qui a changé entre les annonces de ces mégaprojets au cours de la dernière année et l’avancement des projets miniers au Québec et au Canada?
Surtout que, et il est important de rappeler, le modèle d’affaires de ces grandes entreprises au Canada s’appuie sur une chaîne d’approvisionnement locale, et non sur des importations.
«À un certain moment, ces gens-là savent ce qu’ils font. Ils ont regardé l’écosystème et ils sont conscients qu’à court terme, il y a des défis d’approvisionnement. Mais que sur le moyen et le long terme, le seul pays occidental qui a tous les minéraux critiques pour l’économie du 21e siècle, c’est le Canada», répète François-Philippe Champagne. «Je suis surpris de voir que les gens sont surpris.»
À court terme, le ministre convient qu’il manque de MCS, mais à long terme, «les volumes sont là».
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Problèmes d’«arrimage»
Actuellement, dit le ministre, le principal défi est de faire arrimer deux industries qui, historiquement, ne sont pas habituées de travailler ensemble. Mais puisque la «révolution» des voitures électriques s’appuie en grande partie sur la chimie des matériaux et la technologie (notamment les microprocesseurs), l’industrie automobile et l’industrie minière doivent maintenant mieux se parler, selon François-Philippe Champagne. Et mieux faire cohabiter leurs modèles d’affaires, alors que la première demande habituellement à ses fournisseurs des prix stables sur un horizon de plusieurs années et la deuxième opère dans un environnement de prix à court terme et très volatil.
Mais pour le moment, pas question pour le gouvernement d’injecter des fonds publics pour accélérer cet arrimage. «Le marché va régler ça. Je suis très confiant. Nous serons toujours en appuis pour amener les deux parties pour faire arrimer l’offre et la demande.»
«Il n’y a pas nécessairement de demande de fonds publics, ajoute-t-il. C’est vraiment un mariage entre l’offre et la demande.»
Les cas de Northvolt et de Lion électrique
Du côté québécois de la filière batterie, les problèmes rencontrés par Northvolt en Suède depuis plusieurs mois continuent de faire les manchettes, bien que la construction de son usine en Montérégie se poursuive.
Rappelons qu’au tout début de l’été, en raison de ses problèmes de production à son usine de Skellefteå, la multinationale a perdu un contrat de près de 3 milliards de dollars avec BMW. Le PDG Peter Carlsson a alors annoncé que son entreprise allait procéder à une révision de son expansion à l’international, ajoutant avoir été peut-être trop «agressif».
Et alors que le fabricant de cellules de batteries accumule les pertes et que ces revenus sont au plus bas, le gouvernement fédéral ne compte pas augmenter sa mise dans l’entreprise, avance François-Philippe Champagne, tout en disant ne pas s’inquiéter pour la réalisation du projet.
«Je ne pense pas que nous sommes là. Avec Northvolt, nous voulions d’abord nous assurer que les mesures incitatives seraient les mêmes qu’aux États-Unis. Nous avons plutôt opté sur les crédits à la production et c’est là que nous sommes en ce moment. On a déjà fait notre part», tranche le ministre.
«Pour Northvolt, je vois des réajustements que j’inclus dans la réalité d’une transition technologique. Pour l’entreprise, il y a deux marchés accessibles. L’Europe et l’Amérique du Nord. Alors c’est essentiel d’être ici. Ils veulent être dans le marché nord-américain. C’est le plus gros marché de l’automobile après la Chine. La logique industrielle pour Northvolt, s’ils veulent vendre dans le marché nord-américain, il fait que cette usine aille de l’avant.»
Le cas de Lion électrique est peut-être plus complexe au moment où son inventaire d’autobus électriques ne trouve pas preneur et ses liquidités fondent comme neige au soleil.
Notamment en raison des délais importants pour l’attribution des sommes réservées dans le programme fédéral de subventions à l’électrification des transports.
Au début août, le PDG de Lion, Marc Bédard, est revenu à la charge en implorant le fédéral d’accélérer les autorisations aux municipalités pour qu’elles se dotent de véhicules électriques.
François-Philippe Champagne se dit conscient de ces lenteurs. Mais elles n’expliquent pas tout, dit-il
«On suit ça et nous sommes en contact avec nos collègues de Québec. J’en parle souvent avec Pierre Fitzgibbon. Nous sommes en discussion sur la façon d’aider Lion, car c’est aussi une industrie phare au Québec. […] Il y a des questions de programmes, oui. Mais il y a aussi des questions fondamentales que nous devons essayer de trouver.»
Admettant les lenteurs au niveau fédéral, François-Philippe Champagne dit que Lion électrique doit regarder comment aller chercher de nouveaux marchés et avoir un carnet de commandes plus grand. «Il faut trouver le moyen d’être plus compétitifs dans d’autres marchés en Amérique du Nord. La réponse n’est pas seulement dans les programmes à mon avis. Il y a différentes clés dans le moteur que l’on doit ajuster pour assurer la pérennité et le succès de Lion à long terme.»