Kamala Harris (Photo by Andrew Harnik/Getty Images)
Chicago — Le divorce est-il consommé, électoralement parlant, entre les femmes et les hommes aux États-Unis? Le duel entre Kamala Harris et Donald Trump met en évidence une divergence particulièrement marquée entre électrices et électeurs.
Le candidat républicain «va comprendre le pouvoir des femmes», a averti lundi le président Joe Biden, en appelant à voter pour la vice-présidente depuis la convention démocrate à Chicago.
Il faisait référence à la décision en 2022 de la Cour suprême, façonnée par son prédécesseur Donald Trump, de dynamiter la garantie constitutionnelle du droit à l’avortement, que Kamala Harris s’engage au contraire à défendre.
Dans une enquête d’opinion rendue publique par CBS, 56% des femmes interrogées disent vouloir voter pour la vice-présidente et 44% pour l’ancien chef d’État.
54% des hommes interrogés disent préférer Donald Trump et 45% se tournent vers Kamala Harris.
Les chiffres d’un sondage Siena/New York Times, mené dans trois États décisifs, sont même plus frappants: 52% des électeurs disent préférer le candidat républicain, et 39% sa rivale; alors que 56% des électrices se rangent derrière la candidate démocrate, contre seulement 35% derrière Donald Trump.
«Un ravin»
Que les femmes américaines votent davantage à gauche n’a certes rien de nouveau.
Mais de tels écarts «ce n’est plus un fossé, c’est un ravin», c’est «du jamais vu», constatait récemment Frank Luntz, un influent sondeur républicain, sur CNN, allant jusqu’à prédire qu’«il y aurait des divorces» bien réels à cause de cette élection.
L’analyste y voit le résultat de la stratégie de Donald Trump, avec ses moqueries sur le rire de Kamala Harris ou sur son intelligence.
«Les femmes ne supportent pas ça», relève-t-il.
De fait, les attaques sexistes du camp Trump depuis le début de la campagne, loin d’intimider les troupes de la vice-présidente, semblent plutôt les galvaniser.
Le colistier du républicain, J.D. Vance, a par exemple suscité un tollé en critiquant les «vieilles filles» sans enfant du Parti démocrate.
Avortement
«La masculinité est centrale dans la campagne de Donald Trump. Il se compare sans cesse à d’autres hommes, pour dire à quel point il est séduisant et fort, et il dénigre souvent les femmes», tout en légitimant «la violence et la misogynie», détaille Sabrina Karim, spécialiste des questions de genre et enseignante à l’université Cornell.
Il exerce ainsi un attrait qui n’est d’ailleurs «pas limité aux hommes», souligne Sonia Gipson Rankin, professeure de droit à l’université du Nouveau-Mexique.
En campagne dimanche en Pennsylvanie, Kamala Harris a fait référence à cette rhétorique viriliste.
«Ces dernières années, une sorte de vision perverse s’est installée, qui consiste à penser que la force d’un dirigeant se mesure aux personnes qu’il écrase. Alors que nous savons que la vraie force d’un leader se mesure aux personnes qu’il tire vers le haut», a-t-elle assuré.
L’écart entre vote féminin et masculin est évidemment alimenté par les interdictions ou restrictions de l’avortement mises en place par de nombreux États conservateurs depuis la décision de la Cour suprême en 2022.
Plafond de verre
Ce sera «un sujet majeur», mais les deux candidats devront «montrer que leurs projets concernent tout l’électorat», au-delà des distinctions de genre et autres appartenances identitaires, avertit Sonia Gipson Rankin.
Kamala Harris ne fait quasiment jamais référence au fait qu’elle pourrait devenir la première femme présidente des États-Unis.
Sa campagne diffère en cela complètement de celle, ouvertement féministe, d’Hillary Clinton, battue par Donald Trump en 2016.
L’ancienne secrétaire d’État a appelé lundi les Américains à briser enfin en novembre «le plus haut, le plus difficile des plafonds de verre» en élisant la candidate démocrate.
Accentuée par le duel entre Kamala Harris et Donald Trump, cette divergence électorale entre les hommes et les femmes aux États-Unis pourrait être révélatrice d’une tendance plus profonde et durable.
«Des sondages indiquent que certains jeunes électeurs américains prennent des orientations différentes de celles des jeunes électrices», plus conservatrices, ce qui «est différent des générations passées», selon Sabrina Karim.