Une des grandes priorités des discussions pour le Canada portera sur le « Buy American » (Photo: La Presse Canadienne)
Washington — Il est déterminé à redonner à l’industrie manufacturière américaine sa gloire d’antan. Il considère le libre-échange comme un vilain mot et il veut que le Canada intervienne volontairement dans un État en déroute, ravagé par les gangs, en Haïti.
Bien sûr, le président Joe Biden n’est pas Donald Trump, mais il n’est pas toujours évident.
Le président des États-Unis arrive à Ottawa jeudi soir dans le cadre d’une visite éclair de 24 heures, avec un itinéraire moins chargé que celui qu’avait envisagé le cabinet du premier ministre Justin Trudeau.
Deux années complètes se sont écoulées depuis que Joe Biden a pris les commandes à Washington.
«Il s’agira de la première vraie rencontre bilatérale en personne entre les deux dirigeants au Canada depuis 2009», a déclaré le porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche, John Kirby.
La première année du mandat de M. Biden a été consacrée à la reconstruction des relations canado−américaines après le mandat controversé de son prédécesseur Donald Trump. La deuxième portait sur le respect des obligations, « y compris la priorité à une migration ordonnée et sûre par des voies régulières », a affirmé M. Kirby.
« Maintenant, à l’approche de la troisième, cette visite consiste à faire le point sur ce que nous avons fait, où nous en sommes et ce que nous devons prioriser pour l’avenir », a-t-il souligné.
Bien qu’il soit moins indiscipliné et publiquement combatif que son prédécesseur, les deux premières années du mandat de Joe Biden au Bureau ovale ont causé bien des maux de tête au premier ministre Justin Trudeau.
Les réunions du vendredi n’offrent peut-être pas beaucoup de répit.
Une des grandes priorités des discussions pour le Canada portera sur le « Buy American », la doctrine protectionniste qui a été utilisée par tous les présidents du XXIe siècle, à l’exception de George W. Bush, et il s’agit de l’un des messages politiques nationaux préférés de Biden.
« Le président est très attaché aux politiques qui créent des emplois aux États−Unis, et nous ne contestons pas cette politique», a déclaré Kirsten Hillman, ambassadrice du Canada aux États-Unis.
Au moins 60 % des biens matériels que le Canada exporte aux États−Unis « entrent dans la fabrication d’autres produits », et il en va de même pour ce que le Canada importe des États-Unis, a souligné Mme Hillman.
« Donc, si nous commençons à nous exclure de nos chaînes d’approvisionnement, l’impact économique sur les emplois dans notre propre pays sera énorme. Nous nous tirons dans le pied, essentiellement — les deux pays », a-t-elle reconnu.
Il devrait aussi être question du rôle du Canada dans la défense d’Haïti, cette nation des Caraïbes appauvrie et ravagée par un tremblement de terre et qui est devenue un État en déroute depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021.
Des bandes criminelles contrôlent maintenant plus de la moitié de Port−au−Prince, la capitale d’un pays aux prises avec une épidémie de choléra avec peu d’accès à de l’aide médicale, un manque presque total de sécurité publique et un gouvernement intérimaire impuissant.
L’administration Biden, qui a déjà les mains pleines avec la guerre de la Russie en Ukraine, la montée de la Chine et d’autres préoccupations de grandes puissances, veut que le Canada — qui abrite une grande diaspora d’Haïtiens francophones, principalement au Québec — joue un rôle de premier plan.
« Il y a beaucoup de pression », a déclaré le professeur de l’Université Carleton, Stephen Saideman. « La réalité est que Trudeau ne veut pas faire cela, et il présente donc tous les arguments possibles pour détourner l’attention. »
« J’ai bon espoir (…) que le Canada sera en mesure d’intervenir et de faire preuve de leadership en Haïti, parce que cela aura de l’importance à Washington », a pour sa part déclaré Gordon Giffin, qui a été l’envoyé de Bill Clinton à Ottawa de 1997 à 2001.
« Retirer celui-ci de notre menu serait une grande aide pour l’administration américaine », a-t-il indiqué.
Bien que cela puisse sembler simpliste aux plus hauts niveaux des relations intergouvernementales, l’approche de contrepartie est fondamentale à la façon dont les pays s’entendent et gèrent divers irritants dans la relation, a-t-il suggéré.
« Je pense que c’est un exemple typique des États−Unis qui disent, “Nous avons besoin de vous pour nous aider sur ceci”», a déclaré M. Giffin à un panel organisé par le Conseil des Amériques.
Il se souvient des interactions fréquentes entre son ancien patron et Jean Chrétien, qui était premier ministre pendant que Bill Clinton était à la Maison-Blanche.
Chrétien «a cherché des endroits où Bill Clinton avait besoin d’un peu d’aide”», a indiqué M. Giffin.
« “J’entendais très rapidement:” » OK, nous allons faire ceci, Gordon, mais pour cela, j’ai besoin de ceci, » dit−il dans sa meilleure imitation de Jean Chrétien.
Le porte-parole du Conseil de sécurité nationale John Kirby n’a pas précisé mercredi si M. Biden a l’intention de faire une demande directe au premier ministre Justin Trudeau sur Haïti.
« Pour ce qui est d’une force multinationale ou de quelque chose du genre, je ne veux pas devancer la conversation. Comme nous l’avons déjà dit, si c’est nécessaire, s’il y a une place pour cela, tout cela devra être réglé directement avec le gouvernement haïtien et avec l’ONU. »
M. Kirby a également minimisé les attentes à l’égard d’une autre grande demande canadienne, soit la renégociation de l’Entente sur les tiers pays sûrs, un traité conclu en 2004 entre les deux pays, que beaucoup attribuent à un récent pic de migration irrégulière.
« Nous sommes bien conscients des préoccupations des Canadiens. Nous avons nos propres préoccupations, a affirmé M. Kirby. C’est un défi partagé. Je ne doute donc pas qu’ils en discuteront ».
De hauts fonctionnaires du gouvernement à Ottawa croient que la discussion sur Haïti impliquera les deux dirigeants, mais pas les Haïtiens eux−mêmes. Jusqu’à présent, Justin Trudeau a mis l’accent sur les sanctions, en aidant les autorités haïtiennes à surveiller les activités des gangs et en établissant un consensus politique sur la meilleure façon dont l’Occident peut aider.
M. Saideman, qui a déjà travaillé avec le département de la Défense des États-Unis, a dit qu’Ottawa essaie d’éviter cela à tout prix. « Notre gouvernement ne veut pas subir des coûts énormes ou courir des risques énormes. »
Il a souligné que le plus important déploiement du Canada est actuellement en Lettonie et qu’Ottawa a accepté d’accroître sa présence pour renforcer la frontière de ce pays avec la Russie.
Selon M. Saideman, il serait impossible d’élargir cette force tout en dirigeant une intervention en Haïti, en particulier parce que chaque unité déployée nécessite généralement une deuxième unité en formation et une troisième en rétablissement de la rotation précédente.
En outre, la violence des gangs serait beaucoup plus risquée que les missions antérieures visant à prévenir les affrontements entre armées en guerre, comme en Bosnie ou à Chypre.
« Je ne dis pas que nous ne devrions pas le faire, mais je comprends pourquoi le gouvernement est prudent à ce sujet », a déclaré M. Saideman, qui est directeur du Réseau canadien pour la défense et la sécurité.
« En Haïti, ce n’est pas le premier rodéo, a-t-il souligné. Les missions précédentes n’ont pas arrangé les choses et n’ont pas conduit à une solution durable. »