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Le reportage international, un bien collectif pour le Québec

Le courrier des lecteurs|Publié le 04 septembre 2021

Le reportage international, un bien collectif pour le Québec

«Il peut être tentant de laisser à d’autres le soin de se soucier du sort du monde et de se bercer de cette illusion que ses soubresauts n’atteignent pas nos rives.» (Photo: Julie Ricard pour Unsplash)

Un texte de Jean-Frédéric Légaré-Tremblay, Guillaume Lavallée et Laura-Julie Perreault, cofondateurs et administrateurs du Fonds québécois en journalisme international

 

COURRIER DES LECTEURS. Comme toute nation démocratique et ouverte, le Québec évolue en relation avec le reste du monde et il a besoin d’être bien informé sur ce qui se passe à l’extérieur de ses frontières et de celles du Canada. C’est dans notre intérêt national et à ce titre, un bien collectif. 

Or, air connu, le reportage international est depuis longtemps un parent pauvre de l’information au Québec. Bien peu de médias d’ici, tous genres confondus, dépêchent régulièrement des journalistes à l’étranger et ils sont encore moins nombreux à entretenir un réseau de correspondants permanents. Bien sûr, la migration des revenus publicitaires vers les géants du Web (Google, Amazon, Facebook, Apple et autres) a mis à mal les finances des entreprises de presse, les forçant à rogner leurs dépenses. Le reportage international en a certainement pâti. Mais il y a plus. 

Il faut secouer ce sentiment d’insularité et d’éloignement qui semble parfois nous habiter, au Québec. Avec pour seul voisin immédiat un allié puissant, les États-Unis, et protégé par trois océans, loin des zones de turbulence, bien peu de territoires dans le monde sont aussi confortables et sécuritaires que les rives du Saint-Laurent. Il peut alors être tentant de laisser à d’autres le soin de se soucier du sort du monde et de se bercer de cette illusion que ses soubresauts n’atteignent pas nos rives. 

Il faut réitérer combien il s’agit justement de cela : une illusion. La guerre en Afghanistan, à laquelle le Canada et bien des Québécois ont participé, en est aujourd’hui un cruel rappel, avec les dizaines de milliers de réfugiés que le Canada et le Québec s’apprêtent à accueillir. D’autres exemples: la pandémie de COVID-19, mondiale par définition; les tensions sino-américaines, dans lesquelles se retrouve coincé le Canada (et le Québec); le commerce international et les traités de libre-échange, que de plus en plus de gouvernements remettent en question; la faim dans le monde, qui est en recrudescence depuis cinq ans, et qui sollicite nos ONG et nos gouvernements… Les exemples sont légion et ne manqueront pas de s’additionner. 

De plus, on aurait tort d’abandonner aux décideurs du Québec et du Canada les gestes qu’ils posent – ou ne posent pas – en notre nom à travers le monde. Car dans notre régime démocratique, il en va des affaires étrangères comme de tout autre politique publique : pour être justes et étayées, elles ont besoin d’une opinion publique bien informée. On n’imagine pas nos journalistes détourner leur regard de nos écoles, CHSLD, fermes agricoles, routes, transports collectifs et autres infrastructures pour en confier le sort aux seuls élus, groupes d’intérêt et fonctionnaires. De la même façon, les politiques internationales du Québec et du Canada ont elles aussi besoin de citoyens – et de décideurs! – aussi bien informés que possible sur son champ d’action : le monde. 

Osons aussi un argument philosophique. Comment se connaître soi-même, bien juger de notre propre sort et prendre les meilleures décisions collectives si l’on ne se frotte pas à d’autres réalités et expériences? À d’autres façons d’être et de faire? 

Tournons cet argument dans sa forme la plus pragmatique, en citant le sort de nos écoles, de nos CHSLD, de nos fermes agricoles et de nos routes. Voilà des enjeux réels et concrets d’envergure nationale, qui concernent tous les Québécois, et qui ont pourtant tout à gagner d’un éclairage international. Les Finlandais et les Coréens ont-ils quelque chose à nous apprendre sur la façon d’enseigner à nos enfants? Comment la France ou alors les Britanniques paient-ils leurs médecins? Les Néerlandais, les Suisses ou encore les Japonais ont-ils des approches originales dans le logement pour aînés? Et les règlements sur les pesticides en Europe et au Brésil? Et le transport collectif au Maroc, en Colombie et à Singapour? En enquêtant davantage hors de nos frontières, nos débats et nos décisions collectives n’en seront que mieux informés. 

Fondé il y a exactement trois ans, le Fonds québécois en journalisme international (FQJI) est une solution unique en son genre pour financer le reportage international grâce au soutien de donateurs publics et privés. Il a mis l’épaule à la roue en finançant jusqu’à présent 27 projets de reportages à l’étranger. Les journalistes se sont rendus aux quatre coins de la planète, avant et pendant la pandémie : Afghanistan, Irak, Haïti, Kirghizistan, Bengladesh, Inde, Papouasie, Algérie, Rwanda, Soudan du Sud, Nigeria, Cuba, Barbade, Brésil, Colombie et Mexique. Résultat : une soixantaine de reportages ont été diffusés dans une douzaine de médias québécois. 

Le FQJI a toute l’intention du monde de poursuivre sa mission, essentielle. Mais l’information internationale doit être un effort collectif, soutenu par les rédactions et par un public que l’on espère aussi demandeur qu’exigeant. Car la nécessité de bien s’informer sur le monde, avec un regard qui nous est propre et à l’écoute d’autres voix, n’est pas près de s’éteindre, bien au contraire. 

Les Québécois et les Québécoises ont besoin d’une information internationale qui les aide à prendre leur juste place et leur juste part dans le monde.