Les médias sociaux sont-ils vraiment une plus-value pour la démocratie?
La Presse Canadienne|Publié le 16 août 2024Arme à double tranchant toutefois, ces derniers peuvent mettre les élus dans l’embarras lorsqu’ils sont mal utilisés. (Photo: Jacques Boissinot / La Presse Canadienne)
Difficile d’imaginer aujourd’hui un politicien qui ne serait pas présent sur les réseaux sociaux. Arme à double tranchant toutefois, ces derniers peuvent mettre les élus dans l’embarras lorsqu’ils sont mal utilisés. Mais au final, les médias sociaux sont-ils vraiment une plus-value pour la démocratie, ou au contraire, contribuent-ils à son effritement? La Presse Canadienne s’est entretenue avec des experts.
Selon la professeure de science politique à l’Université de Montréal, Catherine Ouellet, les partis n’ont pas intérêt à se passer d’une présence sur les réseaux sociaux,
«Pour tous les partis, ça permet de parler directement aux gens et de filtrer les journalistes. On peut avoir un message direct sans filtre et sans cadrage», explique-t-elle en entrevue avec La Presse Canadienne.
«De se couper complètement des réseaux sociaux, je trouverais ça un peu particulier d’un point de vue stratégique. Publier une vidéo qui est vue par 12 millions d’électeurs c’est très peu de ressources par rapport à ce que ça rapporte», ajoute la professeure.
Le premier ministre François Legault a 655 000 abonnés sur son compte Facebook, 392 000 sur X (anciennement Twitter) et 224 000 sur Instagram. Une vidéo publiée sur cette dernière plateforme, où il vante les accomplissements de son gouvernement au sujet de l’identité québécoise, a été vue par plus de 43 000 personnes.
Selon la professeure en politique appliquée à l’Université Carleton, Émilie Foster, il est nécessaire que les chefs de parti ainsi que les ministres aient une présence sur les réseaux sociaux comme Facebook et X, mais pas nécessairement les simples députés.
«J’en connais qui ont très peu utilisé les réseaux sociaux et qui sont réélus. Ça se fait. (…) Ce qui compte c’est d’être dans ses médias locaux et d’être sur le terrain. Ça compte beaucoup plus», dit celle qui est aussi l’ancienne députée de la Coalition avenir Québec (CAQ) pour la circonscription de Charlevoix–Côte-de-Beaupré.
Elle-même utilisait les réseaux sociaux (Facebook, X et Instagram) lorsqu’elle était députée.
Le professeur en communication publique et politique à l’École nationale d’administration publique, Philippe Dubois pense, pour sa part, «que les grandes plateformes de médias sociaux sont incontournables aujourd’hui».
«Elles permettent des réactions et des interactions plus rapides que les médias traditionnels (…) Aussi, les gens s’attendent à retrouver les partis en ligne. Ne pas être là sur ces plateformes, ça pourrait envoyer un drôle de message», ajoute-t-il.
Mais les réseaux sociaux ne servent pas uniquement à rejoindre les électeurs. Les partis s’en servent aussi pour faire du «marketing politique» et du «micro-ciblage» de leur potentielle clientèle politique, indique Émilie Foster. Les données collectées deviennent ainsi des ressources précises au moment des élections par exemple.
Couteau à double tranchant
Bien qu’ils soient des outils utiles pour les politiciens, les réseaux sociaux ne sont certainement pas sans risque. On a vu des élus québécois se mettre dans l’embarras avec certaines de leurs publications.
La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, a dû s’expliquer et s’excuser après que le «Journal de Montréal» ait trouvé plusieurs photos d’elle sur ses réseaux sociaux où elle ne portait pas sa ceinture de sécurité en voiture.
François Legault partage régulièrement ses lectures sur les réseaux sociaux. Bien que ce genre de publication soit généralement inoffensive, une controverse a éclaté lorsque le premier ministre a parlé du dernier livre de Kevin Lambert, «Que notre joie demeure». L’auteur — qui n’a visiblement pas apprécié l’interprétation de son œuvre par François Legault — l’avait vertement critiqué sous sa publication.
Et durant les élections, il n’est pas rare de voir des candidats qui se retrouvent dans l’embarras pour de vieilles publications sur les médias sociaux qui auraient mieux fait d’être effacés.
«Les réseaux sociaux peuvent aussi rapidement avoir plus de risques que d’avantages, car si tu fais une gaffe, les médias nationaux vont le reprendre et là, c’est risqué», souligne Émilie Foster.
«Empoisonner la démocratie»
Il y a une quinzaine d’années, dans la littérature scientifique, les réseaux sociaux étaient vus comme des «rehausseurs de démocratie» qui allaient permettre de «connecter tout le monde», indique la professeure à l’Université Carleton.
Les choses ont bien changé toutefois. «Les réseaux sociaux sont en train de contribuer à empoisonner la démocratie», lance Émilie Foster.
Plusieurs problèmes sont soulevés par les professeurs interrogés par La Presse Canadienne, qu’on pense au phénomène des chambres d’écho ou à la désinformation — amplifiée par l’intelligence artificielle — qui pullulent sur les réseaux sociaux.
«À la longue, ça polarise le débat et ça contribue à augmenter l’agressivité et l’incivilité. Les gens, lorsqu’ils s’enferment dans leur bulle d’algorithmes et qu’on leur présente toujours la même chose, sont convaincus de détenir la vérité, mais leur vérité est basée sur la désinformation», résume Émilie Foster.
«Beaucoup d’études pointent du doigt les réseaux sociaux comme alimentant la polarisation (…) Ça n’aide pas le dialogue constructif entre les citoyens qui ne pensent pas la même chose», indique Catherine Ouellet. Elle nuance toutefois en affirmant que les médias sociaux contribuent aussi à une forme de «démocratisation» de la politique.
Et avec les contenus de désinformation qui se mélangent aux publications des politiciens, il devient difficile de distinguer le vrai du faux. «Les dynamiques de pouvoir sur les réseaux sociaux sont différentes que dans la vraie vie. Sur les grandes plateformes — sur X par exemple — que tu sois premier ministre du Québec ou employé de dépanneur, techniquement tu as la même importance», affirme le professeur Philippe Dubois.
Pour exister publiquement, les politiciens doivent donc investir ces plateformes pour parler à leur électeur et pour mettre de l’avant leurs accomplissements. En même temps, ils s’exposent au risque d’être critiqué de manière véhémente par des «trolls» ou encore de voir leurs publications noyées dans le flot de la désinformation.
La question de la régulation des réseaux sociaux est souvent évoquée pour contrer ses problèmes. Il s’agit toutefois d’un enjeu éminemment complexe pour les gouvernements. Rappelons que Meta, la société mère de Facebook et Instagram, bloque les nouvelles canadiennes sur ses plateformes depuis que le gouvernement a fait adopter une loi pour exiger le paiement de redevances aux médias.
«Il va devoir y avoir davantage de concertation entre les pays pour qu’on exige que les plateformes aient des pratiques davantage éthiques», soutient Émilie Foster, qui est bien consciente des difficultés de la chose.
«Je pense qu’on est dans une transition, mais tôt ou tard, ces plateformes-là vont devoir être davantage régulées», ajoute-t-elle.
Par Thomas Laberge