S’il n’y a pas eu de K.O., Justin Trudeau (notre photo) ne peut pas pour autant crier victoire, rappelle Raphaël Melançon. (Photo: Getty Images)
BLOGUE INVITÉ. Les débats des chefs sont un peu comme des Super Bowls pour les amateurs de politique ; on les regarde autant pour la joute que pour le spectacle.
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Justin Trudeau: un départ sur la défensive
La soirée s’est amorcée sur les chapeaux de roue avec une salve de tirs groupés des trois chefs fédéraux contre un Justin Trudeau qui a une fois de plus dû défendre sa décision de déclencher des élections en pleine quatrième vague et alors que le Parlement fonctionnait toujours jusqu’à tout récemment. À ce niveau, toujours pas de réponse claire, sinon que le chef libéral voulait entendre les Canadiens sur la relance post-pandémie. Avec Justin Trudeau, il faut parfois savoir lire entre les lignes…
Après presque trois semaines de campagne, il est tout de même incroyable que le chef libéral doive encore se défendre d’avoir demandé la dissolution du Parlement pour des raisons purement opportunistes.
Clairement, le message de Justin Trudeau ne colle pas et il serait peut-être temps de changer la cassette à ce sujet. Qu’il dise franchement qu’il a besoin d’une majorité pour «mieux rebâtir le Canada et il pourra peut-être enfin passer à autre chose. D’ici là, son discours continue de sonner faux et c’est un avantage que ses adversaires n’hésiteront pas à exploiter à nouveau contre lui dans les prochains débats.
Après un départ difficile sur cette question, le premier ministre sortant a fini par se ressaisir, mais son ton énergique lui donnait parfois un air énervé. Des quatre leaders, il semblait être celui qui était le moins en contrôle de ses moyens durant cette soirée. À ce niveau, le contraste avec son principal adversaire, Erin O’Toole, était frappant.
Le chef libéral y est aussi allé de déclarations parfois surprenantes, comme lorsqu’il a affirmé que l’économie canadienne reprenait plus rapidement grâce à l’intervention de son gouvernement. Avait-t-il déjà oublié la contraction économique au deuxième trimestre confirmée à peine deux jours plus tôt par Statistique Canada?
S’il n’y a pas eu de K.O., Justin Trudeau ne peut pas pour autant crier victoire. Au mieux, on parlerait d’un match nul pour les libéraux. Mais est-ce que cette performance sera suffisante pour leur permettre de renverser la vapeur, alors que de nouveaux sondages sont venus confirmer dans les derniers jours l’effritement de leurs appuis au Québec et dans le reste du pays?
Erin O’Toole: la stature d’un chef de gouvernement
Le chef conservateur faisait figure de «petit nouveau» sur ce plateau, étant le seul qui n’y était pas déjà la dernière fois, il y a deux ans. On se souviendra qu’à l’époque, l’exercice avait été catastrophique pour Andrew Scheer.
Être peu connu peut à la fois être un avantage comme un inconvénient; le public n’a certes pas déjà d’idée préconçue de vous, mais vous devez en revanche vous démener pour vous présenter au public en plus de promouvoir vos idées en même temps.
Cherchant à se positionner comme un leader crédible, capable d’incarner l’alternative à Justin Trudeau comme premier ministre, le dirigeant conservateur a adopté un ton calme, se montrant souriant et rassurant tout au long de la soirée. Parfois peut-être un peu trop réservé, il a néanmoins réussi à projeter l’image d’un potentiel chef de gouvernement.
Le tout, dans un français grandement amélioré, faut-il le souligner.
Jouant à fond la carte du «fédéralisme de partenariat» et du respect des champs de compétences des provinces, l’ex-ministre des Anciens combattants a habilement évité plusieurs pièges que ses adversaires lui ont tendu. Mais s’il souhaite véritablement se positionner comme l’allié du gouvernement Legault, la question du respect de l’entente fédérale-provinciale sur les garderies sera à éclaircir pour le chef conservateur, sans quoi elle risque de le suivre jusqu’à la fin de la campagne au Québec.
Yves-François Blanchet: préparé et efficace
Le chef bloquiste a donné du fil à retordre à ses adversaires. Visiblement à l’aise dans ce type de format et maîtrisant bien ses dossiers, celui qui se présente comme le «chien de garde» des intérêts du Québec avait de bons angles d’attaque et s’est montré incisif à plusieurs reprises.
Yves-François Blanchet a particulièrement eu raison de rappeler ses vis-à-vis à l’ordre lorsqu’il a été question de création d’emplois. Il est vrai que de promettre des milliers de nouveaux emplois peut sembler complètement déconnecté de la réalité des entreprises d’ici alors qu’une grave pénurie de main-d’œuvre frappe de plein fouet plusieurs secteurs névralgiques de notre économie.
S’il n’y a pas eu de grand gagnant lors de ce face-à-face, Blanchet n’en est certainement pas ressorti perdant pour autant. On a aussi remarqué un changement d’attitude évident de la part du chef du Bloc par rapport aux derniers jours ; moins arrogant, tout en restant combatif.
Reste maintenant à voir si cette bonne performance lui permettra de remettre sa campagne sur les rails alors qu’elle semble faire du sur-place depuis quelque temps.
Jagmeet Singh: discret et décontracté
Plus effacé que ses opposants — la barrière linguistique y est peut-être pour quelque chose —, le leader du NPD a tout de même lancé quelques bonnes piques durant la soirée. Il s’est particulièrement montré efficace sur la question environnementale, rappelant les contradictions de Justin Trudeau qui a notamment octroyé plus de subventions aux compagnies pétrolières que ne l’avait fait Stephen Harper avant lui. Pour les libéraux, le poids du bilan des six dernières années, des promesses non tenues et des espoirs brisés, se fait définitivement ressentir à gauche.
Avec des phrases comme «on a le choix entre plus de pétrole ou full pétrole» et «au Québec c’est cool», en réponse à une question sur l’emplacement de la future usine de Moderna, Jagmeet Singh apportait une couleur différente à ce premier duel, un ton qui a le potentiel de séduire une clientèle plus jeune. Avec son accent sympathique, son style décontracté n’est parfois pas sans rappeler celui de son regretté prédécesseur Jack Layton.
Sa performance a sans doute permis de conforter ses partisans au Québec, un vote déjà acquis pour lui, mais elle ne lui permettra pas pour autant d’espérer pouvoir faire des gains substantiels dans la province, mis à part peut-être pour la circonscription de Berthier-Maskinongé où l’ex-députée Ruth Ellen Brosseau jouit encore d’un fort capital de sympathie.
La campagne dans le dernier droit
Avec la fin de l’été et le retour des enfants à l’école, le Canada est en mode «rentrée» et ce premier débat d’une série de trois — les deux autres, organisés par la Commission des débats en français et en anglais, auront respectivement lieu les 8 et 9 septembre — lance officiellement les hostilités de fin de campagne.
Les dernières semaines ont été l’occasion pour les chefs des principaux partis de présenter leurs plateformes électorales et de tester leurs idées et leurs messages. Pour reprendre l’analogie sportive, c’était essentiellement une période d’échauffement.
Ce premier débat amène maintenant la campagne au niveau supérieur. De plus en plus, il sera question de la personnalité des chefs, alors qu’on tentera de convaincre les électeurs indécis de qui ferait le meilleur premier ministre pour le Canada. En ce sens, la question de l’urne pourrait bien s’avérer être un plébiscite sur l’avenir de Justin Trudeau à la tête du pays.
La confrontation entre progressivement dans sa phase finale. Et alors que l’écart entre les meneurs demeure extrêmement serré, elle ne fera que s’intensifier d’ici le 20 septembre.