Québec doit cesser d’être obsédé par la création d’emploi
La Presse Canadienne|Publié le 31 janvier 2019Le Bilan 2018 de l'emploi publié jeudi constate un clivage énorme entre Montréal et le reste de la province.
Le gouvernement du Québec doit effectuer un virage radical dans ses politiques d’emploi s’il ne veut pas frapper un mur en matière de croissance économique et se retrouver devant une perte de revenus fiscaux et une pénurie de services publics dans les régions.
Ce cri d’alarme est lancé par l’Institut du Québec (IDQ), dont le Bilan 2018 de l’emploi publié jeudi constate un clivage énorme entre Montréal et le reste de la province en matière de création d’emploi qui, à long terme, pointe vers une situation pénible dans l’ensemble de la province si rien n’est fait pour corriger le tir rapidement.
La directrice de l’Institut, Mia Homsy, qui est également l’une des auteures du rapport, note que ce clivage est la raison pour laquelle le rapport 2018 est plus étoffé qu’à l’habitude.
Il y a vraiment une dichotomie, une polarisation entre les réalités du marché du travail de la métropole et le reste du Québec.
«Cet écart était tellement gros qu’il fallait qu’on en profite pour lancer un message aux élus, aux politiciens et aux instances gouvernementales, soit que l’impact de ce clivage va être majeur parce qu’il peut être économique, mais il peut aussi être social», fait-elle valoir.
Selon l’Institut, le premier geste à poser «d’abord admettre que l’obsession de la création d’emploi n’est plus compatible avec la réalité actuelle du marché du travail», et ce, en raison d’un phénomène qui ne peut être contré, soit le vieillissement de la population.
Mia Homsy fait valoir qu’historiquement, l’approche gouvernementale a toujours consisté à ajuster les politiques publiques au taux de chômage afin de faire baisser celui-ci, sauf que, «en ce moment, c’est totalement inefficace d’agir comme ça; les entreprises cherchent déjà des travailleurs pour remplacer ceux qui partent à la retraite».
«Pourquoi créer artificiellement des emplois alors qu’il y en a déjà et qu’il y a des besoins de main-d’oeuvre à combler?», s’interroge-t-elle.
Création d’emploi nulle
Le Bilan 2018 montre ainsi qu’il s’est créé 30 200 emplois à Montréal l’an dernier, mais que 30 500 emplois ont été perdus ailleurs dans la province pour un bilan pratiquement nul et même légèrement négatif pour la première fois après trois années consécutives de croissance tant à Montréal qu’en région.
«Les besoins de remplacement de la main-d’oeuvre actuelle sont beaucoup plus marqués en région et ça limite leur potentiel de croissance et de création d’emploi», explique Mme Homsy.
Or, ce que vivent les régions hors Montréal touchera éventuellement aussi la métropole, c’est-à-dire des pénuries de main-d’oeuvre associées au départ massif des baby-boomers vers la retraite alors qu’il n’y a pas de relève pour les remplacer.
À court terme, Montréal bénéficie de l’afflux d’immigrants _ qui hésitent à se déplacer en région _ et de l’exode des jeunes des régions vers la métropole, mais le vieillissement de la population n’épargnera pas la région métropolitaine pour autant. L’immigration aura toutefois ses limites; déjà, l’Institut note que le taux de chômage chez les immigrants arrivés au pays depuis cinq ans et plus s’est finalement rapproché du taux de chômage des Québécois nés ici.
«Montréal va être affecté dans une moindre mesure, mais les régions vont en souffrir beaucoup plus et c’est pour ça qu’il ne faut pas attendre trop avant d’agir de façon plus forte, avec plus de leadership, avec vraiment une conviction que ça prend ce changement dans l’approche des politiques publiques de développement économique et de main-d’oeuvre», affirme Mme Homsy.
Changer d’urgence le paradigme
L’ISQ invite donc le gouvernement à prendre acte de la situation et à documenter de façon urgente et fine la situation de l’emploi et à faire les projections nécessaires selon les régions, les professions et les secteurs d’activité.
«Les « mesurettes » et les changements à la marge ne seront pas suffisants, martèle Mme Homsy. Ça prend un changement de paradigme dans toute la façon dont les politiques, le développement économique et de la main-d’oeuvre sont approchés. Ça prend un leadership fort et c’est important que le gouvernement le fasse rapidement en début de mandat, sinon ça va partir dans la mauvaise direction et il sera trop tard.»
Puis, parmi les solutions avancées à terme, l’organisme suggère d’améliorer la sélection et l’intégration des immigrants, d’oeuvrer à attirer et à retenir davantage d’étudiants étrangers et de lever les restrictions sur les travailleurs étrangers temporaires.
Pour augmenter le bassin de travailleurs disponibles, il suggère également d’adopter des mesures fiscales qui encourageront les travailleurs de 60 ans et plus à demeurer en emploi, faisant valoir que les conditions actuelles font en sorte que leurs revenus sont équivalents ou même réduits en continuant de travailler.
Il suggère également d’intégrer davantage les personnes faisant partie de groupes sous-représentés, dont les immigrants, mais aussi les Autochtones et les personnes aux prises avec un handicap.
Enfin, l’Institut invite Québec à lutter plus efficacement contre le décrochage scolaire, d’investir dans la formation continue, de surveiller de près l’évolution des compétences requises par le marché du travail et de mieux adapter la formation aux besoins du marché.