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Jean-Paul Gagné

Droit au but

Jean-Paul Gagné

Analyse de la rédaction

Trump a su profiter de l’explosion du conservatisme américain

Jean-Paul Gagné|Édition de la mi‑novembre 2024

Trump a su profiter de l’explosion du conservatisme américain

Les électeurs ont été très nombreux à croire que les ­États-Unis étaient au bord de l’abîme, d’où la nécessité de confier le sort du pays à un homme fort et autoritaire, malgré son absence de valeurs morales, ses crimes et les conflits d’intérêts présents dans son quotidien. (Photo: Chip Somodevilla Getty Images)

CHRONIQUE. « On connaît mal les Américains, a déclaré récemment l’ancien premier ministre du Québec Jean Charest. On est probablement le pays qui est le mieux placé pour les décoder et, malgré cela, il y a des bouts qui nous manquent. »

Bien des raisons expliquent la victoire de Donald Trump. Il y a l’inflation, l’immigration, la perte de confiance envers les élites et les institutions, la déconnexion du Parti démocrate avec la classe ouvrière, l’impopularité de Biden, la trop courte campagne de Kamala Harris et, bien sûr, le charisme de l’ex-président. Tout cela est vrai, mais il faut aussi regarder les facteurs sous-jacents à ce résultat, dont le programme que les élites du conservatisme américain ont préparé pour le leader républicain.

Projet 2025

Ce programme est le Projet 2025, un document de 920 pages regroupées en 30 chapitres portant sur autant de domaines relatifs à la vie en société et à la gestion de l’État et auquel ont contribué environ 200 universitaires conservateurs. Ce document vise quatre objectifs principaux : restaurer la famille nucléaire (un homme, une femme et des enfants) comme socle de la société ; alléger l’État ; défendre la souveraineté et les frontières ; sécuriser les droits individuels.

C’est un programme vaste et radical qui vise à changer profondément la vie des Américains et qu’a dénoncé vigoureusement Kamala Harris, mais il ne semble pas qu’elle ait été entendue. Donald Trump a cherché à s’en dissocier, mais Kevin Roberts, président de la Fondation Heritage, qui a produit le Projet 2025, a confirmé que l’ex-président et son équipe de campagne ont été associés à ce projet, dont certaines recommandations se retrouvent dans la plateforme électorale de Trump.

Autre rapprochement significatif, le colistier de Trump, J.D. Vance, a signé la préface d’un livre que vient d’écrire Kevin Roberts. Vance y mentionne l’importance de promouvoir un « conservatisme offensif », au lieu de se contenter d’accommodements et de compromis qui confortent les conservateurs modérés, mais qui ne règlent rien fondamentalement.

La Fondation Heritage, qui réunit plus de 100 organismes conservateurs, promeut une vision de plus en plus conservatrice. Le Projet 2025 est la neuvième édition du Mandate for Leadership, publié pour la première fois en 1981 comme une bible de politiques pour Ronald Reagan, qui aurait réalisé les deux tiers de ses propositions. L’édition 2016 a servi de guide à Donald Trump, qui a aussi réalisé plusieurs des politiques proposées, dont les retraits par Washington de l’Accord de Paris et de l’UNESCO.

Que Trump ait endossé ou pas l’argumentaire de Projet 2025, il reste que beaucoup d’électeurs ont adhéré au discours de l’ex-président qui, indéniablement, a été inspiré à la fois par la vision alarmiste de la Fondation Heritage à l’endroit de la société américaine et par les réformes proposées par Projet 2025, contrairement au message empathique, inspirant et unificateur de Kamala Harris.

Autrement dit, les électeurs ont été très nombreux à croire que les États-Unis étaient au bord de l’abîme, d’où la nécessité de confier le sort du pays à un homme fort et autoritaire, malgré son absence de valeurs morales, ses crimes et les conflits d’intérêts présents dans son quotidien. De plus, n’est-il pas contre-intuitif de constater qu’un grand nombre de chrétiens évangéliques le soutiennent, comme le font aussi d’autres catégories d’électeurs qu’il s’est plu à insulter et à mépriser ?

Traditionalisme

La promotion des valeurs traditionnelles n’est pas nouvelle dans la politique américaine. Dans les années 1960 et jusque dans les années 2000, Patrick Buchanan, d’abord journaliste de métier, puis conseiller de Richard Nixon, Gerald Ford et Ronald Reagan, s’est présenté deux fois aux primaires du Parti républicain en misant sur des politiques paléoconservatrices et anti-immigration. Un de ses derniers livres, La mort de l’Ouest, expose le péril que représentent les immigrants, les dangers du multiculturalisme et le recul des valeurs chrétiennes.

Dans Le néoconservatisme américain, un essai qui vient de paraître, l’universitaire français Pierre Bourgois soutient que « les néoconservateurs sont de retour » et qu’aucune des dernières présidences, de Barack Obama à Joe Biden, n’a été épargnée par la réapparition du néoconservatisme, qui avait caractérisé la politique étrangère musclée de George W. Bush.

Ce mouvement se définit par quatre axes principaux : une critique affirmée de l’interventionnisme de l’État ; une défense soutenue des valeurs sociales, morales et culturelles traditionnelles par opposition au wokisme ; une politique étrangère moraliste et prodémocratique ; l’importance de la puissance militaire américaine dans les relations internationales.

Beaucoup de ces politiques rejoignent les idéologies trumpistes et le traditionalisme que promeut l’iconoclaste Steve Bannon que Trump avait appelé à sa rescousse pour relancer sa campagne en octobre 2016. Bannon, qui avait prié Trump de ne pas reconnaître sa défaite en 2020, l’admire pour sa défense des valeurs traditionalistes. Frondeur et batailleur, Bannon a contribué à organiser (mais sans y participer) l’émeute du 6 janvier 2021 contre le Capitole. Un refus de comparaître à la commission d’enquête sur cette émeute lui a valu 45 jours de prison.

Bannon, qui entretient des relations avec des idéologues de droite de différents pays (Hongrie, Italie, France, Autriche, Allemagne, Brésil et même la Russie), promeut des valeurs d’extrême droite. Il s’oppose aux droits des minorités, à la discrimination positive et aux valeurs universelles, qui menacent les cultures et les civilisations nationales. À Breitbart News, qu’il a dirigé, Bannon a popularisé la notion d’America First, une idéologie que Trump utilise comme slogan.

Il s’oppose à l’immigration, qui « menace nos traditions et nos coutumes », admire les leaders autoritaires, pourfend la mondialisation, combat avec véhémence l’impérialisme de la Chine, favorise un nationalisme économique, un certain isolationnisme et l’État-nation. Les États-
Unis n’ont pas à être le protecteur de l’Europe.

Grâce à des États (républicains) qui ont multiplié les lois limitant les libertés individuelles, à des médias opportunistes comme Fox News et à des influenceurs d’extrême droite, les valeurs conservatrices inspirent plus que jamais les citoyens peu scolarisés et peu soucieux de bien s’informer. Pas surprenant que celles-ci aient favorisé l’élection d’un tribun populiste et charismatique, qui a peut-être caché ses véritables intentions. Le peuple américain pourra bientôt juger le résultat de son acte de foi.


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