Le Canada est le seul pays du G7 à ne pas posséder de train grande vitesse (TGV). Sur la photo, un TGV en Allemagne (Photo: Getty Images)
BLOGUE INVITÉ. C’est une véritable «alerte rouge pour l’humanité» qu’a lancée cette semaine le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans son plus récent rapport.
Vagues de chaleur, sécheresses, feux de forêt, pluies diluviennes et inondations ne feront que s’intensifier si rien n’est fait dès maintenant. Le document de 3 000 pages fait état de dommages dont les conséquences pourraient s’étaler sur des centaines, voire des milliers d’années. Le GIEC lance ainsi un cri du cœur aux gouvernements du monde entier pour que des mesures immédiates soient prises dans le but de limiter les changements climatiques.
Or, le Canada se donne-t-il vraiment les moyens de ses ambitions pour parvenir à réduire suffisamment ses émissions de gaz à effet de serre (GES) avant qu’il ne soit trop tard?
Panne d’audace
Prenons l’exemple du train, un mode de transport écoresponsable. Le gouvernement fédéral annonçait récemment son intention d’allonger jusqu’à 12 milliards de dollars pour la construction d’un train à grande fréquence (TGF) reliant Québec à Toronto, en passant notamment par Trois-Rivières, Laval, Montréal et Ottawa.
Ce projet, dont l’inauguration est prévue autour de 2030, est dans les cartons de VIA Rail depuis un bon moment déjà. L’ancien ministre des Transports Marc Garneau avait même fait une annonce à ce sujet… à peine quatre mois avant les élections de 2019. Preuve qu’en politique, l’histoire a souvent tendance à se répéter.
Si Ottawa avance que son TGF permettra d’améliorer la fréquence de départs et la fiabilité des horaires, la question reste entière à savoir si ce sera vraiment suffisant pour inciter un nombre significatif de Canadiens à recourir au train plutôt qu’à d’autres modes de transport plus polluants. Avec un gain d’aussi peu que 45 minutes sur un trajet de plus de 5 heures entre Montréal et Toronto, on peut sérieusement en douter.
Face à la déception exprimée par une pléiade d’acteurs issus de divers milieux partout au pays, force est de constater que le gouvernement Trudeau a emprunté la mauvaise voie. Alors que les appels d’offres pour lancer le chantier devraient être lancés dès cet automne, serions-nous sur le point de rater une occasion unique d’investir dans un projet d’infrastructure digne du XXIe siècle?
Un projet dépassé
Depuis l’annonce du ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra, plusieurs voix se sont levées afin d’appeler le gouvernement libéral à revoir sa position et à prioriser un train à grande vitesse (TGV) plutôt qu’un TGF.
Avec des vitesses allant jusqu’à 320 km/h en dehors des zones urbaines, un TGV aurait le potentiel de parcourir les quelque 550 kilomètres qui séparent Montréal et Toronto en seulement deux heures, sensiblement le même temps qu’en avion si on inclut le temps d’attente à l’aéroport. Un trajet direct entre Québec et Montréal (environ 250 km) prendrait approximativement une heure, soit trois fois moins que le temps actuellement estimé pour le TGF.
Certes, un TGF représenterait un pas dans la bonne direction par rapport à la situation actuelle, mais on ne convaincra pas un automobiliste d’abandonner sa voiture simplement en lui promettant d’arriver à l’heure plus souvent.
En somme, seul un TGV peut véritablement concurrencer à la fois l’automobile et l’avion en termes de rapidité des déplacements, mais aussi de confort, de sécurité et d’écoresponsabilité.
La première pelletée de terre n’a pas encore eu lieu, mais le TGF semble déjà être un projet dépassé.
Combler le retard du Canada
Les problèmes du train ne datent pas d’hier. Depuis la privatisation du Canadien National (CN) par le gouvernement Chrétien, en 1995, VIA Rail doit essentiellement louer les voies du CN pour faire circuler ses trains dans le corridor Québec-Windsor. Les trains de passagers n’ont donc pas la priorité; si un convoi de marchandises passe au même endroit au même moment, ils doivent se ranger sur le côté pour lui céder le passage. Les voyageurs peuvent attendre — le papier de toilette, le bois d’œuvre et le pétrole sont considérés comme plus importants. Un non-sens inexplicable.
Cette situation engendre des retards substantiels et imprévisibles qui affectent considérablement la ponctualité du service de VIA Rail. Pour cette raison, un grand nombre de voyageurs optent pour la voiture, l’autobus ou l’avion, jugés plus fiables que le train.
Seul membre du G7 dépourvu de TGV, le Canada est à contre-courant lorsqu’il est question de transport ferroviaire. Le pays, qui s’est pourtant développé autour du chemin de fer au siècle dernier, fait aujourd’hui pâle figure lorsque comparé à la France, l’Allemagne, le Japon ou encore la Chine.
Même nos voisins américains ont choisi de sauter dans le train avec des projets comme celui qui reliera prochainement Dallas et Houston, au Texas, deux villes de taille comparable à celles de Montréal, Ottawa et Toronto (1,3 et 2,3 millions d’habitants respectivement). Comme quoi, la plus faible densité de population et les grandes distances nord-américaines ne semblent pas être un frein au développement du TGV au sud du 45e parallèle. En quoi cela devrait-il être différent de ce côté-ci de la frontière?
Le train pour remplacer l’avion
En plus d’être la région la plus densément peuplée du pays, le corridor laurentien en est aussi le cœur économique. Faciliter les échanges entre Toronto et Montréal ne peut donc qu’être bénéfique pour l’économie canadienne, de même que pour le tourisme d’affaires et d’agrément.
À l’heure actuelle, malgré la pandémie, pas moins de 90 vols assurent chaque semaine la liaison aller-retour entre les principaux aéroports des deux plus grandes villes du pays. Ça fait beaucoup de CO2 en une seule semaine. Quand on sait que le TGV est 45 fois moins polluant que l’avion, le choix paraît évident.
Le PDG de Bombardier, Éric Martel, le reconnaissait récemment: ce n’est pas demain la veille qu’on va pouvoir voler dans des aéronefs 100% électriques. Or, comme l’affirme le GIEC, il y a urgence d’agir. Nous n’avons donc pas le luxe d’attendre que les avionneurs mettent au point des technologies vertes dont le développement aurait dû s’amorcer — soyons honnêtes — bien avant aujourd’hui. Dans 10 ans, un avion qui ne fera que consommer moins de kérosène, ce sera malheureusement trop peu, trop tard.
Contradictions environnementales
Officiellement, Ottawa avance que les coûts de construction d’un TGV seraient trop grands pour justifier un tel investissement. Venant d’un gouvernement qui enchaîne les déficits budgétaires depuis six ans, c’est là un argument pour le moins étonnant. Et alors que le Canada prévoit investir massivement au cours des prochaines années afin d’assurer une relance «verte» de l’économie, c’est d’autant plus contradictoire.
Depuis son arrivée au pouvoir, Justin Trudeau aime se draper d’oripeaux verts. Il a devant lui une opportunité de passer de la parole aux actes. À moins que le premier ministre ne cède aux pressions du puissant lobby du secteur aérien, qui a tout intérêt à voir se réaliser le projet de TGF, beaucoup moins susceptible de nuire à son industrie qu’un TGV.
Mais tant qu’à dépenser des milliards de dollars pour construire des infrastructures ferroviaires qui perdureront pour les décennies à venir, un projet d’une telle envergure se devrait d’être développé avec une vision à très long terme fondée sur les besoins du marché, tant actuels que futurs, et sur l’évolution des technologies.
Pas juste une question de sous
S’il faut certes prendre en compte les coûts de ce vaste chantier, les chiffres ne forment qu’une partie du tableau.
Partout dans le monde, les gouvernements sont de plus en plus appelés à inclure dans leurs critères d’analyse l’impact écologique potentiel de chaque projet. À ce niveau, le choix du TGV ne peut que s’imposer sur un TGF qui n’a que peu de chances d’améliorer significativement le bilan environnemental du pays.
Favoriser l’économie, c’est bien. Favoriser à la fois l’économie et le climat, c’est encore mieux.
«Parce qu’on est en 2021», comme diraient certains.