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Une seconde vie pour la seule mine de graphite au Québec

François Normand et Jade Trudelle|Publié le 14 juillet 2023

Une seconde vie pour la seule mine de graphite au Québec

Depuis 2022, la minière ontarienne Northern Graphite exploite la seule mine de graphite en activité en Amérique du Nord (excluant le Mexique), qui est située à Lac-des-Îles, près de Mont-Laurier, dans les Laurentides. (Photo: Jade Trudelle)

La minière ontarienne Northern Graphite (NGC.V; 0,40$) a «l’espoir» d’allonger de 10 à 15 ans la durée de vie de la seule mine de graphite en activité au Québec et en Amérique du Nord (excluant le Mexique), située à Lac-des-Îles, près de Mont-Laurier, dans les Laurentides.

Le jeudi 6 juillet, nous avons roulé sur quelque 250 kilomètres pour aller visiter cette mine à ciel ouvert située au nord-ouest de Montréal, et y interviewer notamment la cheffe de l’exploitation de l’entreprise, Kirsty Liddicoat.

Cette Canadienne d’origine australienne – qui a travaillé dans le secteur minier en Australie et dans l’Ouest canadien – affirme que l’entreprise est confiante d’atteindre cet objectif, tout en faisant preuve d’une grande prudence dans ses propos.

«Nous espérons jusqu’à 10-15 ans, mais nous ne le saurons pas tant que les résultats ne seront pas connus», dit cette ingénieure minière, sous le regard attentif des autres membres de la direction assied autour de la table de la salle de réunion du bâtiment administratif.

Bref, Northern Graphite aura uniquement l’heure juste lorsqu’elle aura complété la nouvelle campagne de forage amorcée en mai, et qu’elle aura en main les résultats finaux dans les prochains mois.

Fondée en 2002 et inscrite en bourse, Northern Graphite est soumise à une réglementation stricte en matière de divulgation d’information.

La mine produit 15 000 tonnes de graphite par année. Ce minerai critique et stratégique est utilisé dans la fabrication de batteries de véhicules électriques, mais aussi dans certains précédés industriels à titre d’isolant contre la chaleur, par exemple.

En 2022, la Chine produisait 65% du graphite dans le monde (850 000 tonnes par année), selon la United States Geological Survey (USGS). L’Amérique du Nord (excluant le Mexique) n’en produit que 1,15%, soit les 15 000 tonnes produites à Lac-des-Îles.

Six grandes sociétés asiatiques – trois chinoises, deux sud-coréennes et une japonaise – valorisent le graphite pour en faire notamment du matériel d’anode pour des batteries lithium-ion.

Northern Graphite, qui a aussi un projet de construire une usine de matériel d’anode à Baie-Comeau, veut justement casser ce monopole asiatique, tout comme la minière québécoise Nouveau Monde Graphite (NMG), un autre acteur clé dans cette industrie au Québec et en Amérique du Nord.

NMG a un projet de mine de graphite à ciel ouvert à Saint-Michel-des-Saints, dans Lanaudière, qui devrait être mise en service à la fin de 2025. Elle a aussi une coentreprise avec Mason Graphite pour développer et exploiter le gisement de graphite du lac Guéret, situé à 285 kilomètres au nord de Baie-Comeau.

Pour valoriser le graphite, NMG a une petite usine de purification dans le parc industriel et portuaire de Bécancour, en plus de planifier la construction d’une grande usine de matériel d’anode, à Bécancour, qui sera opérationnelle en 2026.

 

Un point tournant pour Northern Graphite

C’est la minière française Imerys qui a lancé la mine de graphite à Lac-des-Îles, en 1989.

En décembre 2021, Northern Graphite a fait l’acquisition de cette mine, ainsi qu’une autre mine de cette société située en Namibie, en Afrique. Elle sera remise en service en 2024, et elle produira 31 000 tonnes de graphite par année.

L’entreprise ontarienne a aussi un projet de mine de graphite en Ontario (Bissett Creek), qui devrait produire 44 000 tonnes de graphite par année à compter de 2026.

L’acquisition des deux mines de graphite d’Imerys constitue un point tournant pour Northern Graphite dans sa stratégie d’affaires à long terme, explique le PDG de la minière, Hugues Jacquemin, que nous avons interviewé par vidéoconférence, car il vit en Europe.

La mine au Québec procure des revenus et des profits à l’entreprise pour se développer, notamment pour financer en partie sa future usine à Baie-Comeau – dans la phase 1, à compter de 2026, elle produira 20 000 tonnes de matériel d’anode par année.

«Avec une production de 15 000 tonnes par année, le site de Lac-des-Îles nous permet de générer un BAIIA (bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement) oscillant de 10 à 15 millions de dollars canadiens», souligne Hugues Jacquemin, qui connaît bien l’industrie mondiale du graphite, notamment en Chine.

La future usine de Baie-Comeau – que Northern Graphite fera avec des partenaires privés – sera alimentée en très grande partie par le graphite produit par les mines de Lac-des-Îles, de Namibie et de Bissett Creek.

Cela dit, la minière ontarienne pourrait s’approvisionner ailleurs en graphite, car son usine de Baie-Comeau aura en 2030 une capacité de production 200 000 tonnes de matériel d’anode par année, quand la phase 3 sera complétée.

On parle ici d’un investissement qui pourrait avoisiner à terme un milliard de dollars.

Hugues Jacquemin fait remarquer que l’Inflation réduction Act aux États-Unis – la législation phare de l’administration Biden, adoptée en 2022 – aura un impact structurant dans le développement de Northern Graphite dans la deuxième transformation du graphite, à Baie-Comeau.

«Ça va vraiment ouvrir le marché et changer la donne», dit-il avec enthousiasme.

Pour bénéficier du crédit d’impôt pouvant aller jusqu’à 7 500$ US (9 850$ CA) pour acheter une voiture électrique aux États-Unis, une partie importante des composants des véhicules, incluant les batteries, doit être fabriquée en Amérique du Nord.

C’est ce qui explique pourquoi des manufacturiers de voitures électriques et de batteries construisent de plus en plus d’usines aux États-Unis et au Canada.

Et qu’une minière comme Northern Graphite veut exploiter une mine de graphite au Québec et fabriquer du matériel d’anode à Baie-Comeau, un endroit stratégique en raison de son positionnement géographique, selon Hugues Jacquemin.

Par exemple, la future usine sera située non loin des sites de production d’électricité d’Hydro-Québec. De plus, Baie-Comeau possède un port en eau profonde, qui a une liaison directe avec le port de Rotterdam aux Pays-Bas, le plus important port d’Europe.

«Le port de Baie-Comeau est aussi bien situé pour importer du graphite d’Afrique et pour exporter notre matériel d’anode vers l’Europe ou vers le centre du Canada et des États-Unis via la voie maritime du Saint-Laurent», fait valoir le grand patron de Northern Graphite.

 

En 2014, l’ancien propriétaire de la mine, Imerys, a commencé à réhabiliter une vallée qu’elle avait remplie de ses résidus miniers, entre 1990 à 2012. Aujourd’hui, cette vallée est remplie d’une flore très diverse. (Photo : Jade Trudelle)

Des projets innovants pour l’écosystème

Comme toutes les minières en activité ou qui ont des projets, exploiter une mine dans une région habitée représente des défis importants. Et Northern Graphite n’échappe pas à cette règle avec sa mine à Lac-des-Îles.

En regardant à l’intérieur de la fosse numéro 2 de 45 mètres de profondeur, nous apercevons à l’horizon une maison située à quelques centaines de mètres de distance. Une barrière de son naturel permet de limiter le bruit à 45 décibels, malgré les explosions hebdomadaires de dynamite sur le site, selon Northern Graphite.

Le vice-président aux projets chez la minière, Serge Théberge, explique que ces accommodements permettent de garder une «bonne relation» avec le voisinage. L’entreprise ontarienne rencontre d’ailleurs régulièrement des citoyens pour s’assurer de répondre à leurs besoins ou à leurs interrogations.

Plus loin dans la visite du site minier, le responsable de l’environnement à la mine, Alban Duvernois, nous pointe au loin un oiseau de proie bien installé au milieu des rochers résiduels du forage.

Pour cet employé, il n’est pas rare de voir des animaux se promener autour du site : des renards, des porcs-épics et même parfois des ours. La nature semble toujours reprendre le dessus sur les activités des entreprises.

Il explique le phénomène par les efforts que fait de l’entreprise pour respecter les écosystèmes. Par exemple, aucun bruit strident ou contaminant ne provient du site, assure-t-il.

Alban Duvernois a plusieurs projets pour faire de cette mine un modèle dans l’industrie. «L’entreprise et ses dirigeants ont une très bonne vision» en matière d’innovation, dit-il.

Celui-ci espère pouvoir remettre le premier rapport sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) de la mine en 2024.

Plusieurs projets sont aussi en gestation, dont celui d’ajouter de la biodiversité à leur bassin d’eau artificiel, anciennement la fosse numéro 12, pour recréer un milieu humide.

Ce projet est possible puisqu’aucun produit chimique n’est déversé dans ce bassin. Le PH y demeure donc dans les normes de manière naturelle, de sorte que le bassin pourra éventuellement accueillir des espèces marines en toute sécurité.

L’ancien propriétaire de la mine, la française Imerys, avait aussi une préoccupation pour l’environnement. En 2014, cette entreprise a commencé à réhabiliter une grande vallée qu’elle avait remplie de ses résidus miniers entre 1990 à 2012. 

Une des plus grosses conséquences de l’industrie minière est en effet de créer de grandes surfaces non stériles. Or, aujourd’hui, cette vallée est remplie d’une flore très diverse et son écosystème est complètement autonome de l’activité humaine, selon Alban Duvernois.

 

Un nouveau projet qui ne fait pas l’unanimité

Par ailleurs, Northern Graphite souhaite accroitre ses activités de forage avec l’acquisition du projet Mousseau Ouest, non loin de la mine de Lac-des-Îles. Il s’agit d’un projet de carrière – et non pas d’une mine avec un moulin – dont l’acceptabilité sociale pourrait toutefois faire basculer les plans de l’entreprise.

Or, l’obtention de l’acceptabilité sociale des projets miniers est essentielle, affirmait l’an dernier le premier ministre du Québec, François Legault.

Raymond Carrier, président de l’Association des propriétaires du réservoir Kiamika, a lancé une pétition à l’endroit du projet Mousseau qui a recueilli la signature de plus de 3000 personnes. Les signataires craignent des conséquences environnementales importantes et le bouleversement de leur quiétude.

«C’est un manque d’éducation à propos de l’industrie minière», estime Serge Théberge.

À ses yeux, plusieurs personnes ont encore en tête les anciennes mines qui avaient d’importantes retombées négatives sur l’environnement. Des citoyens ne verraient pas non plus tous les bénéfices que ce projet pourrait amener à la région.

Serge Théberge est d’ailleurs convaincu d’être capable d’arriver à un compromis avec la population afin de pouvoir poursuivre ce projet.