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Amazon et ses «travailleurs numériques»

Philippe Jean Poirier|Édition de la mi‑novembre 2024

Amazon et ses «travailleurs numériques»

Vasi ­Philomin est ­vice-président de l’IA générative d’Amazon ­Web ­Services, duquel est issue la plateforme ­Amazon ­Bedrock utilisée par plusieurs ­PME québécoises. (Photo: courtoisie)

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE. À l’ombre des applications grand public comme ChatGPT et Copilote se développent des services d’« arrière-boutique » permettant aux développeurs de bâtir des agents virtuels personnalisés. Du nombre, la plateforme Amazon Bedrock, sur laquelle plusieurs PME québécoises ont développé leurs solutions, telles BrainBox AI, CoreSlicer et AlayaCare. Entrevue avec Vasi Philomin, vice-président de l’IA générative d’Amazon Web Services (AWS)*.

Les Affaires : Vous êtes à la tête d’une division d’Amazon qui se consacre à l’adoption de l’IA générative en entreprise (Amazon Bedrock). Comment les chefs d’entreprise perçoivent-ils cette technologie ?

Vasi Philomin : L’année dernière, les conseils d’administration se demandaient comment l’IA allait transformer leur secteur d’affaires. Depuis, nous avons créé des services et nous avons créé beaucoup de programmes de formation et d’éducation pour nos clients. Maintenant, la question est de savoir comment les entreprises peuvent mettre à l’échelle leur solution. Elles ont bâti une preuve de concept montrant qu’elles peuvent créer de la valeur, mais comment peuvent-elles l’opérationnaliser ? Voilà où nous en sommes. Aujourd’hui, le plus grand défi des entreprises est de déterminer le bon cas d’usage pour aller de l’avant.

L.A. : En ce moment, quels usages vous apparaissent les plus convaincants ?

V. P .: Je vois trois grands groupes d’application. Le premier concerne les entreprises qui utilisent l’IA générative pour changer l’expérience client sur leurs propres produits. C’est une application qui est très publique, on n’a qu’à penser à tous les robots conversationnels (chatbots) et agents virtuels déployés sur les sites web d’entreprises. Par exemple, l’entreprise montréalaise BrainBox AI a créé un agent pour venir en assistance aux gestionnaires d’immeuble —, ce qui a permis aux utilisateurs de cette plateforme de réduire leurs coûts énergétiques de 25 % et leur empreinte carbone de 40 %.

D’autres entreprises se concentrent sur la productivité de leurs propres employés ; l’entreprise de télécommunication Telus, par exemple, utilise un assistant virtuel pour aider ses agents du service à la clientèle à répondre aux questions des clients. Enfin, il y a un troisième groupe d’entreprises qui optimisent ses processus d’affaires. Koho est une start-up canadienne de la fintech ; elle est 13 fois plus rapide pour analyser et reporter des infractions de blanchiment d’argent au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada en utilisant notre plateforme Bedrock.

L.A. : Alors justement, pourquoi se tourner vers un service comme Bedrock plutôt que de choisir une IA « clé en main », déjà prête à être utilisée ?

V. P .: Plutôt que d’avoir un seul modèle, nous offrons les meilleurs modèles de fondation (modèle d’IA de grande taille, entraîné sur une grande quantité de données non étiquetées. Source : Wikipedia) provenant de différents secteurs d’activités et de différents fournisseurs de partout dans le monde. Donc, nous n’avons pas un seul modèle qui fait tout par magie. Nous donnons le choix aux clients. Et ils vont en avoir besoin. Car, bien souvent, en IA générative, il y a un coût-bénéfice à évaluer entre la latence et la précision recherchée, et tous les modèles ne s’équivalent pas. Les développeurs doivent expérimenter et choisir le bon modèle en fonction de leurs besoins.

Aussi, nous avons une fonctionnalité nommée Guardrails. Si vous êtes une entreprise et que vous bâtissez un agent conversationnel, vous ne voulez sans doute pas qu’ils parlent de vos compétiteurs ou de politiques internes. Guardrails aide les développeurs à créer des balises pour établir ce qu’une application peut faire et ne peut pas faire.

L.A. : Quelles sont les prochaines étapes du déploiement de cette technologie ?

V. P .:  Tout le monde voit l’IA générative comme un chatbot, alors que c’est beaucoup plus que ça. Avec l’IA générative, vous avez le raisonnement comme outil à l’intérieur même d’une application. Un chatbot ne fait que converser avec l’utilisateur, alors qu’un agent virtuel peut accomplir du vrai travail. Sur Bedrock, un utilisateur peut créer un agent, l’entraîner avec sa documentation et lui demander de faire des tâches en se connectant à des API (des interfaces de programmation). C’est pourquoi je préfère les appeler des « travailleurs numériques ».

Pour le moment, ces agents ou ces travailleurs numériques peuvent uniquement faire des tâches simples. Si on leur demande de faire des tâches complexes nécessitant de se connecter à une centaine d’API, ils vont avoir beaucoup de difficulté. Mais ça va s’améliorer rapidement. Nous allons voir de plus en plus de travailleurs numériques automatiser les flots de travail dans les entreprises. C’est ce vers quoi nous allons et, pour moi, c’est ce qui est le plus excitant dans ce secteur.

*Les propos de Vasi Philomin ont été traduits de l’anglais au français.