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Attention aux angles morts de l’IA

François Normand|Édition de la mi‑septembre 2023

Attention aux angles morts de l’IA

Simon Bonin, directeur de l’agronomie et des relations avec les producteurs pour Fruit d’Or (Photo: courtoisie)

MANUFACTURIER. Il est indéniable que l’intelligence artificielle (IA) procure des gains d’efficacité importants aux entreprises manufacturières. En revanche, elle peut aussi représenter des défis et causer des problèmes aux organisations si elle n’est pas implantée correctement, affirment des spécialistes.

Richard Blanchet, PDG de Sous-traitance industrielle Québec (STIQ), une association qui aide les entreprises à améliorer leur compétitivité, estime qu’il y a trois causes à l’échec de l’implantation de l’IA dans les PME manufacturières.

D’une part, des organisations ne réalisent pas et ne maîtrisent pas les étapes préalables, c’est-à-dire avoir, par exemple, des opérations « lean » (minimiser les déchets tout en maximisant les gains de productivité) et sous contrôle ainsi que des équipements et des systèmes récents.

« ll y a encore beaucoup de procédés avec des interventions humaines qui ne sont pas stables, donc difficilement automatisables, étape préalable à l’utilisation de l’IA », explique Richard Blanchet.

D’autre part, des entreprises manquent de connaissances pratiques sur l’IA : les étapes d’implantation (objectifs, planification), les attentes, les possibilités et les limites. « De plus, on établit mal le cahier des charges, la sélection de l’expert manque de rigueur et on sous-estime les difficultés et les délais », ajoute-t-il.

Enfin, des PME manufacturières manquent souvent « de données fiables, pertinentes et utilisables ».

 

Échec et nouvelle tentative chez Fruit d’Or 

Les entreprises qui ont éprouvé des problèmes en implantant des solutions en IA et qui sont prêtes à en parler sur la place publique ne courent pas les rues. 

Par exemple, en 2018, le transformateur de canneberges Fruit d’Or a voulu entraîner une solution en IA pour gérer l’ensemble de sa production, mais sans succès, rapportait « La Presse » en mai. 

Deux ans plus tard, l’entreprise a laissé tomber ce projet, car « il est arrivé beaucoup de contraintes », a confié au quotidien Martin Le Moine, président et cofondateur de l’entreprise. 

Jointe par Les Affaires, Fruit d’Or indique qu’il n’est pas possible pour le moment de discuter avec Martin Le Moine des leçons que l’entreprise a tirées de cette mauvaise expérience. En revanche, nous avons pu nous entretenir avec Simon Bonin, directeur de l’agronomie et des relations avec les producteurs pour Fruit d’Or, qui supervise une toute nouvelle initiative en IA auprès des fournisseurs de canneberges de l’entreprise — et non pas au chapitre de la transformation de ces fruits, en usine. 

« À la mi-juin, nous avons développé une technique afin de prévoir le rendement des champs de canneberges », raconte au bout du fil Simon Bonin. Il précise que des tests seront faits en 2024 et que cette solution pourrait être utilisée en 2025 si tout va bien.

Cette technique tient compte de plusieurs facteurs, comme la fertilité des sols, la densité des tiges de canneberges et les aléas de dame Nature. Par la suite, l’IA analysera les données récoltées par les producteurs pour prévoir la récolte attendue. 

Cette information est cruciale pour Fruit d’Or, dont le risque actuel est de sous-estimer ou de surestimer la taille d’une récolte à venir. Or, chaque année, le transformateur doit, par exemple, réserver des congélateurs pour stocker les canneberges en fonction d’une estimation imparfaite, explique Simon Bonin. Si l’entreprise sous-estime la taille de la récolte, elle manquera de congélateurs. En revanche, si elle surestime la taille, elle aura des capacités excédentaires de congélation. Dans les deux cas, une mauvaise estimation entraîne des coûts supplémentaires ou des occasions d’affaires manquées. 

Sans se prononcer sur les raisons de l’échec de l’IA sur le plan de la production chez Fruit d’Or, Simon Bonin souligne que les données récoltées dans les champs par les producteurs de canneberges sont « plus faciles à gérer » que dans une usine.

 

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Trois conseils pour réussir avec l’IA

Michel Dubois, directeur du partenariat et de l’activation IA à l’institut Mila, une communauté de scientifiques et d’équipes interdisciplinaires cherchant à faire progresser l’IA pour le bien commun, donne trois conseils aux entreprises manufacturières qui souhaitent maximiser les chances d’implanter de l’IA avec succès.

 

1. Ayez une « approche éthique » avec l’IA. Par exemple, ne cherchez pas à supprimer des postes grâce à l’IA, mais plutôt à renforcer l’expertise de l’humain. Une entreprise peut tirer des avantages substantiels tout en augmentant l’expérience des employés. Elle peut par exemple automatiser certaines fonctions moins intéressantes afin de libérer du temps pour des tâches plus tactiques et stratégiques.

Il y a aussi les questions légales et de cybersécurité. Par exemple, utiliser des données trouvées sur le Web peut représenter des problèmes légaux compte tenu des droits d’auteurs qui y sont liés.

 

2. Soyez à l’« avant-garde » et ne suivez pas la parade avec des solutions en IA déjà éprouvées, car vous risquez de vous retrouver rapidement avec des solutions qui seront sous performantes, voire dépassées. Développez aussi l’IA de façon agile, c’est-à-dire avec de petits projets courts et des analyses d’impact afin de prioriser la prochaine application.

 

3. Comprenez très bien les données utilisées et leurs biais. Idéalement, produisez vos propres données, car elles seront plus fiables et adaptées à votre réalité que celles qui sont récoltées par d’autres entreprises, par exemple, pour détecter des défauts d’emballage sur des boîtes.