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ChatGPT: les effets de cette technologie sur notre économie

Maxime Johnson|Édition de la mi‑février 2023

ChatGPT: les effets de cette technologie sur notre économie

Cette image a été générée grâce à un outil d'intelligence artificielle.

Par sa capacité à discuter, à créer du texte, à générer du code informatique et même à s’intégrer dans les tâches quotidiennes des travailleurs, le robot conversationnel ChatGPT frappe les esprits comme peu de nouvelles technologies auparavant. Cette innovation trouve même déjà sa place dans certaines entreprises d’ici.

Les outils d’intelligence artificielle (IA) générative connaissaient une année remarquable en 2022, avec le lancement des outils DALL-E 2, Stable Diffusion et Midjourney, capables de produire des œuvres d’art à partir d’une simple requête textuelle. C’est toutefois à la fin novembre, avec la mise en ligne du robot conversationnel ChatGPT de l’entreprise américaine OpenAI, que tout a changé.

«Ça a capturé l’imagination des gens», résume Philippe Beaudoin, chercheur en IA et PDG de l’entreprise montréalaise Waverly. En effet, plus d’un million de personnes ont essayé ChatGPT en cinq jours seulement après son lancement, ce qui fait de ce générateur de texte l’une des nouvelles technologies les plus rapidement adoptées de l’histoire (Facebook a pris environ 10 mois pour atteindre cette marque, et Instagram, un peu plus de 2 mois).

Avec ChatGPT, accessible à chat.openai.com, n’importe qui peut demander de rédiger un courriel professionnel en ne fournissant que ses grandes lignes, générer un article d’information (ou de désinformation) sur n’importe quel thème ou même confier à l’IA son devoir à remettre en classe.

Les résultats ne sont pas parfaits. Le robot conversationnel n’a par exemple qu’une connaissance limitée des événements survenus après 2021, et il lui arrive de dire des faussetés. Ses écrits sont tout de même souvent réussis, assez d’ailleurs pour passer un examen du MBA, selon un essai réalisé à l’école de commerce Wharton, aux États-Unis. Son potentiel semble infini, tant pour les bonnes que pour les mauvaises raisons.

ChatGPT n’est pas qu’un robot conversationnel parmi tant d’autres. Une véritable course à l’IA s’est depuis installée, et les répliques sont notamment attendues au cours des prochaines semaines de Google, de la jeune pousse Anthropic et du géant de l’Internet chinois Baidu.

Retour sur une technologie qui fait rêver les uns et qui inquiète les autres.

 

Des entreprises s’ouvrent à l’IA générative

«Depuis que ChatGPT est arrivé, mes rédacteurs sont plus productifs», affirme d’emblée Julien Brault, PDG de l’entreprise de technologies financières Hardbacon. L’entrepreneur québécois est l’un de ceux à déjà avoir adopté le robot conversationnel d’OpenAI et son modèle de langage GPT-3.5.

«J’avais essayé les technologies de génération de texte précédentes, mais je n’étais pas satisfait du résultat. ChatGPT n’a pas une note parfaite, mais il est capable de générer du texte intelligible qu’on peut utiliser», poursuit-il.

Depuis le lancement de l’outil, les rédacteurs de Hardbacon qui produisent des articles en lien avec les finances personnelles utilisent par exemple ChatGPT pour finaliser de petits bouts de leurs textes, comme une définition ou des paragraphes permettant d’expliquer différents concepts. Environ 30% du contenu dans les articles de l’entreprise serait désormais généré par le robot conversationnel.

«Mais j’estime que le gain de productivité est plutôt de 10% à 20% environ, car ça demande quand même un effort pour trouver les bonnes choses à demander et pour vérifier si le contenu produit est véridique», note Julien Brault. Son entreprise a d’ailleurs lancé récemment Bacon Creative, une agence de création de contenu qui utilise aussi ChatGPT.

L’agence basée à Montréal Draft&Goal utilise également des générateurs de texte dans ses processus afin d’automatiser la production de contenu. «Ce n’est qu’une petite partie de ce qu’on fait, car il y a aussi un grand travail d’analyse de données et d’édition humaine», précise le cofondateur de l’entreprise, Nabil Tayeb.

Pour la génération de texte, son entreprise utilise les outils d’OpenAI, comme GPT-3.5, mais ce ne sont pas les seuls. «Nous essayons d’intégrer aussi d’autres modèles de langage, comme ceux de Cohere [une jeune entreprise de Toronto]. Nous sommes conscients que l’accès à un modèle peut être coupé du jour au lendemain, alors on ne veut pas mettre tous nos œufs dans le même panier », note Nabil Tayeb.

Les générateurs de texte ne sont toutefois pas utiles que pour rédiger automatiquement du contenu. Waverly a par exemple utilisé ChatGPT pour améliorer l’expérience des utilisateurs de son application mobile. «Notre application permet de créer des fils de nouvelles personnalisés en fonction des sujets qui nous intéressent», explique le PDG de l’entreprise Philippe Beaudoin. Le logiciel, qui utilise une technologie de reconnaissance du langage développée en interne, nécessite toutefois que l’utilisateur écrive de longues phrases pour que le service comprenne ses intérêts. Au lieu d’inscrire qu’on s’intéresse seulement aux «technologies», il faut par exemple affirmer qu’on veut en savoir plus sur «l’impact des technologies en éducation dans les écoles secondaires au Canada».

«Ça permet d’avoir un fil personnalisé qui nous ressemble vraiment, mais c’est long à taper pour les utilisateurs», reconnaît Philippe Beaudoin. L’entreprise a donc utilisé ChatGPT pour créer des requêtes et entraîner un modèle GPT d’OpenAI pour qu’il ne suffise désormais qu’à entrer trois mots pour se faire proposer des sujets d’intérêt (« technologies, éducation, canada », par exemple).

«C’est une fonctionnalité qu’on avait prévu déployer à long terme, mais ChatGPT nous a permis de le faire rapidement», explique Philippe Beaudoin. En un mois seulement, le modèle d’intelligence artificielle était entraîné et le nouvel outil était déjà intégré à l’application mobile.

Pour Philippe Beaudoin, ce sont surtout des usages de ce genre qui vont changer la donne au cours des prochaines années. «L’utilisation des IA dans la création de texte n’est que la pointe de l’Iceberg de ce qui vient d’être débloqué», lance-t-il. Pour ce dernier, cette nouvelle technologie pourrait avoir une incidence aussi grande que l’arrivée du téléphone intelligent dans la façon que les entreprises conçoivent leurs produits.

«Les applications vont de plus en plus être construites pour utiliser le langage naturel, que ce soit pour la configuration ou pour faire des actions difficiles», prédit-il.

 

L’IA à toutes les sauces

Les outils d’IA générative ont aussi d’autres cordes à leurs arcs, comme la possibilité de générer du code informatique, notamment en Python. L’outil peut aussi analyser le code déjà écrit, ce qui permet par exemple à un employé ou à un dirigeant qui n’est pas un développeur de s’y retrouver plus facilement.

Parmi les autres usages possibles, notons que des entreprises pourraient entraîner GPT-3.5 à l’aide d’exemples de questions et de réponses pour créer un robot conversationnel pour leur service à la clientèle, ou encore pour créer des campagnes marketing personnalisées.

Microsoft, l’un des principaux investisseurs derrière OpenAI (le géant de l’informatique a récemment injecté 10 milliards de dollars américains [G$ US] dans la jeune entreprise, après avoir investi 1 G$ US en 2019), a pour sa part intégré certaines des technologies de l’entreprise dans ses propres outils. Le logiciel de vidéoconférence Teams permet par exemple non seulement de transcrire le texte de ce qui a été dit dans les réunions, mais aussi, depuis le début février, de préparer automatiquement des documents qui résument les principaux points abordés, le tout grâce à GPT-3.5.

Parfois, ce sont les employés qui intègrent aussi eux-mêmes ces outils dans leurs tâches quotidiennes. Un fonctionnaire fédéral qui a demandé de conserver l’anonymat a affirmé en entrevue à Les Affaires utiliser ChatGPT pour vulgariser certaines communications internes qu’il doit faire parvenir et pour traduire ses textes lorsqu’il doit écrire en anglais. «Désormais, mis à part “Hi” et “Goodbye”, je n’écris plus qu’en français », note-t-il.

 

Une part de risque

«Il y a plusieurs choses à prendre en considération avant d’utiliser ces outils», prévient toutefois Imran Ahmad, associé et chef canadien de la Division des technologies, et cochef canadien de la Division de la gouvernance de l’information, de la protection des renseignements personnels et de la cybersécurité chez Norton Rose Fulbright Canada. Plusieurs questions liées à la propriété intellectuelle doivent tout d’abord être clarifiées, comme celle qui doit déterminer à qui appartient le contenu créé par l’IA.

Les conditions d’utilisation de ChatGPT stipulent que l’utilisateur possède les droits sur ce qui est créé et qu’il peut s’en servir commercialement. Toutefois, comme le rappelle Imran Ahmad, dont le cabinet a déjà conseillé plusieurs de ses clients au Canada sur le sujet au cours des dernières semaines, «ces règles peuvent changer, alors ça crée un risque». D’autres outils peuvent aussi avoir des conditions d’utilisation différentes.

Les entreprises doivent également faire attention aux données personnelles qui sont transmises dans ces outils, surtout dans le cas de ChatGPT, où les conversations peuvent être lues et utilisées par les chercheurs d’OpenAI pour améliorer le système.

Autre point à noter, l’IA générative pourrait recréer du contenu protégé par le droit d’auteur, qui aurait été utilisé pour entraîner l’algorithme. Un robot journaliste du site web américain CNET aurait par exemple plagié de nombreux articles provenant d’autres médias, selon une enquête du site Futurism parue à la fin janvier.

Aucune poursuite liée à des programmes d’IA générative et au droit d’auteur n’a encore été intentée au Canada. «Mais ça ne saurait tarder, j’en suis sûr», prédit Imran Ahmad.

L’implantation de l’IA peut aussi s’accompagner de conséquences imprévues. Selon les usages qu’on en fait, le contenu généré par une IA pourrait par exemple être pénalisé. L’action du média Buzzfeed a peut-être récemment explosé après l’annonce que l’entreprise utiliserait de tels outils pour générer des listes et des jeux-questionnaires, passant de 0,95$ US à 3,87$ US en deux jours seulement, mais Google a affirmé l’an dernier avoir l’intention de pénaliser le contenu généré de la sorte. L’arme pourrait donc être à double tranchant.

Réviser le contenu créé par une IA pourrait aussi être difficile pour les entreprises qui souhaitent adopter la technologie, et leur demandera une vigilance accrue. «Quand il y a des fautes d’orthographe et des erreurs grammaticales, un réviseur ne va pas faire confiance au contenu créé. Mais si un essai semble bon au premier regard, de fausses informations peuvent s’y glisser plus facilement», observe Gary Marcus, chercheur et coauteur de Rebooting AI, un livre sur les limites de l’IA. «Tout le monde doit être sur ses gardes», ajoute-t-il.

Bref, les entreprises qui souhaitent implanter l’IA pour générer du texte doivent faire leurs devoirs.

 

La triche et ses possibles

La simplicité d’utilisation et la puissance de ChatGPT soulèvent aussi des questions sociétales importantes qui vont bien au-delà des entreprises. C’est le cas, notamment, dans le secteur de l’éducation, où la possibilité de tricher avec ces outils pourrait forcer les enseignants à revoir leurs méthodes d’évaluation.

La situation inquiète d’ailleurs suffisamment les établissements d’enseignement pour les forcer à réagir. En France, l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po) a récemment interdit l’utilisation d’IA lors de la production de travaux écrits ou oraux. Les sanctions sont sévères et peuvent même «aller jusqu’à l’exclusion de l’établissement, voire de l’enseignement supérieur», a prévenu le directeur de la formation et de la recherche de l’établissement, Sergueï Gouriev, dans un communiqué.

Des IA du genre peuvent aussi être utilisées à des fins de désinformation, où une grande quantité de contenu affirmant tout et son contraire permet de semer le doute dans une population.

Plusieurs outils ont d’ailleurs été lancés récemment pour reconnaître le texte généré par une IA (un détecteur mis en ligne par Draft & Goal peut même reconnaître le texte généré en français), ce qui pourrait à terme mitiger ces risques. Leur efficacité est toutefois encore limitée. Un détecteur mis en ligne par OpenAI ne détecte pour l’instant que 26% du texte rédigé par une IA, par exemple. D’autres affichent de meilleurs taux, et ces logiciels vont évidemment s’améliorer avec le temps, mais les algorithmes de génération de texte aussi.

En effet, ce n’est après tout que le début de cette technologie, pour le meilleur et pour le pire. « Nous sommes dans les balbutiements d’une révolution qui avance rapidement », observait récemment dans son infolettre Ethan Mollick, chercheur intéressé par l’innovation dans les entreprises.

Qu’on le veuille ou non, le dentifrice est sorti du tube et il sera difficile de l’y faire rentrer. Mieux vaut donc s’y préparer dès maintenant.

 

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ChatGPT et les géants du Web

Le lancement de ChatGPT, en novembre, a créé une onde de choc chez les géants du Web. Alors que l’outil est une menace pour certains, pour d’autres, il s’agit plutôt d’une manne à saisir.

Google

La division d’Alphabet est probablement celle qui a le plus à perdre avec l’arrivée de ChatGPT, que plusieurs voient déjà comme un futur moteur de recherche. À l’occasion de ses derniers résultats trimestriels, le PDG de l’entreprise Sundar Pichai a tenu à rassurer ses investisseurs : ses propres répliques ne vont pas tarder. Le géant de la recherche prévoit lancer plusieurs technologies basées sur les IA génératives, comme son propre robot conversationnel, Bard, basé sur le modèle de langage LaMDA et attendu dans les prochaines semaines. « Nous allons être audacieux, responsables et concentrés tout au long de notre progression », a prévenu le PDG.

Selon Google, Bard serait capable des mêmes prouesses que ChatGPT, comme résumer du texte, mais celui-ci serait en plus relié au Web et donc capable de fournir des informations véridiques et récentes (alors que les connaissances de ChatGPT se limitent aux données sur lesquelles il a été entrainé). Une démonstration publique du robot conversationnel a toutefois plutôt démontré l’inverse, alors que Bard s’est trompé lorsqu’on lui a demandé d’expliquer les découvertes du télescope spatial James Webb. Une bourde qui a fait perdre pas moins de 100 milliards de dollars américains en capitalisation boursière à l’entreprise. 

 

Apple

Apple aurait eu des discussions avec OpenAI, selon ce qu’a rapporté le « New York Times », mais l’entreprise s’est montrée discrète sur le sujet jusqu’ici. Rappelons toutefois que les rumeurs veulent qu’Apple développe depuis plusieurs années son propre moteur de recherche qui pourrait peut-être bénéficier de cette technologie.

 

Meta

À plusieurs égards, OpenAI a réussi là où Meta a publiquement échoué au cours des derniers mois. L’entreprise de Mark Zuckerberg a notamment lancé, l’été dernier, le robot conversationnel BlenderBot 3, sans grand succès, puis l’outil d’IA générative pour chercheurs Galactica, qui a finalement été mis hors ligne après trois jours seulement. À la fin janvier, le responsable de l’IA à Meta, Yann LeCun, a toutefois affirmé ne pas être impressionné par ChatGPT, ajoutant que son entreprise (et Google) possédait des technologies similaires, mais qu’elle choisissait par prudence de limiter leur diffusion.

 

Amazon

Amazon n’a pas commenté publiquement l’arrivée de ChatGPT, mais des avocats de l’entreprise ont demandé à leurs développeurs de ne pas soumettre leur code informatique au robot conversationnel, pour ne pas que celui-ci puisse être utilisé par OpenAI par la suite.

 

Microsoft

En tant qu’investisseur important d’OpenAI, Microsoft compte maintenant récolter les bénéfices des succès de ChatGPT. La firme de Redmond est notamment le partenaire infonuagique exclusif d’OpenAI (dont les API peuvent être utilisées simplement avec un compte Azure), et elle prévoit déployer les modèles de langage de l’entreprise dans plusieurs de ses produits, comme Outlook et Word. ChatGPT a aussi été intégré au début février, en version limitée, au moteur de recherche Bing. En plus des listes de résultats habituelles, Bing peut désormais offrir des réponses sous forme d’un texte suivi, avec des liens et les sources des informations présentées, corrigeant ainsi certaines des lacunes du robot conversationnel.