Le programme a des coquilles, mais aussi du potentiel. (Photo: 123RF)
Curieux de connaître le potentiel de ChatGPT pour expliquer les fondements de la finance et de ses subtilités, le directeur de la recherche de la firme Morningstar, John Rekenthaler, s’est prêté au jeu et a lancé quelques défis au logiciel le plus en vogue de l’intelligence artificielle. Les résultats sont parfois surprenants, mais incitent aussi à la prudence.
Il y a quelques semaines, quelqu’un m’a fait le commentaire que l’un de mes articles ressemblait à quelque chose écrit par ChatGPT. J’avais des doutes sur cette prétention, mais j’étais tout de même curieux de sa compétence réelle. Le programme pouvait-il créer un contenu utile sur les placements? J’ai donc créé un compte et posé plusieurs questions, dont celles-ci :
1) Les fonds de couverture couvrent-ils vraiment?
2) La synchronisation du marché est-elle efficace?
3) Pourquoi les investisseurs allouent-ils des actifs?
4) Jack Bogle aimait-il les fonds négociés en bourse?
Après avoir passé en revue les réponses, voici comment j’évaluerais les capacités du programme :
Textes standard
Demandez à ChatGPT de rédiger un prospectus pour un fonds d’obligations gouvernementales, et il vous pondra 35 lignes qui reproduiront en tous points l’ennui qu’inspire l’expérience réelle.
Parmi ses commentaires, on trouve des choses comme «le fonds vise à maintenir un niveau élevé de liquidités tout en minimisant le risque de perte du capital» ou «les investisseurs dans le fonds sont soumis à certains frais et dépenses, notamment les frais de gestion, les frais administratifs et d’autres dépenses». Et bien sûr, il ajoute que «les performances passées ne sont pas indicatives de résultats futurs.»
En d’autres termes, si ChatGPT était programmé pour rédiger un prospectus complet, il serait certainement excellent. Comme l’illustre son petit laïus sur les risques des placements, qui décrit fidèlement les caractéristiques des obligations gouvernementales, le programme sait bien choisir les endroits de ses copiés-collés. Quelle que soit la banalité de la tâche, ChatGPT est au garde-à-vous.
Textes éditoriaux
Les textes éditoriaux sur les placements marquent une amélioration par rapport aux textes standards. Alors que ces derniers ne font qu’enfiler des listes, les éditoriaux sont des textes cohérents, qui, lorsqu’ils sont bien construits, comportent des phrases et des paragraphes qui découlent les un des autres. Des routines informatiques ordinaires permettent la constitution de textes standard, mais cela ne veut pas dire qu’elles permettent de rédiger des éditoriaux.
ChatGPT en est capable, du moment qu’on l’aiguille correctement. Par exemple, lorsque je lui ai posé la question «Pourquoi les investisseurs allouent-ils des actifs?», le logiciel m’a rédigé cinq points différents, chacun suivi par une brève discussion. Utile, mais mécanique. Mais quand j’ai reformulé ma demande en disant «Rédigez un essai sur la répartition d’actifs», le programme a produit une réponse en six paragraphes qui était non seulement juste, mais assez bien écrite. Assez même pour lui valoir une note honorable à un examen universitaire.
En un seul jour, un utilisateur de ChatGPT pourrait créer assez de contenu pour remplir un site internet sur les fondements des placements. Le programme pourrait discuter des mérites et des risques de chaque catégorie d’actifs, expliquer la différence entre les fonds communs et les fonds de couverture ou la manière dont les comptables calculent la valeur d’actifs nets. Une autre utilisation pourrait être d’ordre pédagogique. Si les écoliers ou les étudiants apprenaient quelques douzaines de réponses à partir de ChatGPT, ils obtiendraient leur diplôme et ils en sauraient beaucoup plus sur les placements.
Analyses existantes
Mais où le tout devient intéressant, c’est lorsque l’on demande à ChatGPT de ne pas se limiter à décrire mécaniquement le pour et le contre d’une situation donnée, mais plutôt de faire valoir un argument conventionnel.
Le programme s’en tire souvent bien. Par exemple, il a réagi de façon splendide à la question «La synchronisation du marché est-elle efficace?»
Après avoir défini ce qu’était la synchronisation du marché, ChatGPT a écrit : «Bien que l’on puisse être tenté de synchroniser le marché, ce n’est habituellement pas une stratégie fiable, et il est difficile de l’appliquer avec succès sur le long terme.» En plein dans le mille.
Cette affirmation était ensuite défendue par trois points pertinents, et le texte concluait en plaidant pour l’investissement à long terme plutôt que des transactions tactiques. Je n’aurais pas fait mieux.
Le programme s’en est tout aussi bien tiré avec les questions «Les fonds alternatifs liquides sont-ils une bonne chose?» et «Les fonds de couverture couvrent-ils vraiment?»
Toutefois, quand je lui ai demandé si les sociétés d’acquisition à vocation spécifique (SAVS) étaient des placements solides, ChatGPT a manqué l’argument le plus solide, à savoir que les conditions de leur contrat favorisaient leurs promoteurs institutionnels et pas leurs acheteurs particuliers.
Ce n’est que lorsque j’ai reformulé la question en disant : «Les SAVS sont-ils des instruments par lesquels Wall Street peut soutirer de l’argent à des investisseurs naïfs de milieux ordinaires?» que le programme a mieux traité ce sujet.
Une analyse qui demande au lecteur de répondre à une question qui guide l’argumentaire n’est pas vraiment une analyse. Mais il y a eu pire, comme la réponse de ChatGPT à la question «Jack Bogle (fondateur de Vanguard) aimait-il les fonds négociés en bourse? (FNB)»
Décidant que tous les promoteurs de fonds indiciels aimaient les FNB, ChatGPT a imaginé un monde où M. Bogle n’était pas seulement un «ardent partisan» de ces fonds, mais où il avait également «joué un rôle décisif dans leur développement».
Que nenni ! Il est bien connu que M. Bogle détestait à la fois l’invention des FNB et leur place dans les affaires de Vanguard. (ChatGPT dit aussi incorrectement que M. Bogle recommandait la diversification internationale.)
L’avenir
Comme d’autres l’ont prouvé en faisant des recherches sur d’autres sujets, ChatGPT a la fâcheuse habitude d’inventer des faits quand il y est poussé. Par conséquent, je donnerais à ChatGPT une mention «passable» pour sa capacité à rédiger des analyses à partir d’arguments existants. Sa logique est en général assez solide, quoiqu’incomplète, et attention aux détails !
Assurément, si ChatGPT doit améliorer la littératie financière, ses coquilles factuelles doivent être soit évitéesvou corrigées (par les créateurs du programme). Mais ces problèmes ne me semblent pas insurmontables. La version actuelle de ChatGPT, après tout, n’est qu’un début.