(Photo: 123RF)
La présentation d’un nouvel outil d’intelligence artificielle capable de générer facilement des vidéos d’une minute par OpenAI, la start-up californienne qui a démocratisé l’IA avec ChatGPT, fait naître des interrogations, voire des inquiétudes, au sein de pans entiers de la création artistique et des médias.
Baptisé «Sora», ce logiciel peut donner naissance à partir d’une simple ligne de texte à «des scènes complexes avec plusieurs personnages, des types de mouvements spécifiques et des détails précis», assure l’entreprise, qui a tout de même pointé certaines de ses limites actuelles, comme une confusion entre la gauche et la droite.
Tour d’horizon des premières réactions au sein des industries pouvant être concernées par cet outil:
Création vidéo
Parmi les séquences dévoilées jeudi soir par OpenAI figure celle d’une créature imaginaire digne d’un film d’animation en 3D à proximité d’une bougie. Une autre, cette fois photo-réaliste, met en scène un homme marchant dans un vaste espace.
À travers ces deux exemples, c’est la capacité de «Sora» à bouleverser le secteur de la création vidéo qui se pose.
«On a suivi très tôt l’évolution du secteur de la génération d’images. Ça a créé beaucoup de débats en interne, beaucoup de réactions parfois un peu épidermiques de la part des créatifs. Il y avait ceux qui sentaient bien que c’était une lame de fond inarrêtable et qui progressait à une vitesse hallucinante, et ceux qui ne voulaient pas voir», raconte à l’AFP Thomas Bellenger, un des fondateurs en 2007 de Cutback Productions.
Cette entreprise, qui a notamment travaillé sur les tournées de Stromae et Justice, est spécialisée dans l’utilisation de l’image et le «motion design» (animation d’une image, NDLR) pour une grande échelle, par exemple pour un concert ou une exposition immersive.
«Le nouveau produit d’OpenAI, personne ne l’a testé encore. […] Ce qui est sûr, c’est que personne ne s’attendait à un tel écart technologique en quelques semaines. C’est du jamais vu», insiste Thomas Bellanger, assurant toutefois qu’à l’avenir, «on trouvera des voies pour créer de façon différente».
Jeu vidéo
Également susceptible d’être bouleversé par cette avancée technologique, le secteur du jeu vidéo se montre pour l’instant partagé.
Le géant français Ubisoft salue un «bond en avant». «Nous explorons ce potentiel depuis longtemps et, en tant que créateurs de mondes et d’histoires, nous voyons de nombreuses opportunités futures s’ouvrir pour nos joueurs et nos équipes afin d’exprimer toujours plus fidèlement leur imagination et leur créativité», a affirmé à l’AFP un porte-parole du groupe.
«Ma position, c’est que se servir de ça actuellement, c’est relativement peu scrupuleux. […] Je ne compte pas remplacer mes collègues artistes par ces outils-là», tempère Alain Puget, directeur du studio nantais Alkemi, soulignant que «les IA ne font que reproduire des choses faites par les humains».
Pour autant, insiste-t-il, cet outil, «visuellement très impressionnant», pourrait être utilisé par des studios de développement plus modestes, afin de produire des images au rendu plus professionnel.
Si les séquences vidéo ne sont qu’une partie limitée d’un jeu vidéo censée faire avancer le scénario, Alain Puget anticipe tout de même qu’à long terme, «des outils comme « Sora » ou les autres IA génératives qui produisent de la vidéo finiront par trouver leur chemin et remplacer la façon dont on fait les choses».
Médias
Basile Simon, ancien journaliste actuellement chercheur à l’université américaine de Stanford, décrit «un bond en avant depuis un an qui est terrifiant».
Il dit redouter l’utilisation qui pourrait être faite de cet outil lors des périodes électorales et craint que le public se retrouve à «ne plus savoir ce qu’on peut croire».
Julien Pain, présentateur de l’émission de vérification de faits «Vrai ou Faux» sur la chaîne franceinfo, se dit pour sa part «inquiet». «Jusqu’alors, il était assez facile de démasquer de fausses images, par exemple en remarquant les visages de fond assez répétitifs. Ce que fait ce nouveau logiciel a l’air d’un autre niveau. On n’a pas de solution magique», décrypte-t-il.
«Parmi les vérificateurs de faits, il y a l’idée de mettre de façon obligatoire des « watermarks » (un système de marquage, NDLR) sur les vidéos, pour marquer que c’est de l’IA. OpenAI peut respecter cela. Mais quid demain des concurrents chinois ou russes?», questionne-t-il.
Publicité
Du côté de l’agence Fred & Farid, qui a déjà collaboré avec les marques Longchamp ou Budweiser et où un studio dédié à l’IA a été ouvert début janvier, on anticipe que «80% des contenus des marques seront générés par l’intelligence artificielle». «Ça va remettre le génie créatif au centre, la production ne sera plus un sujet», s’est-on également réjoui.
Si elle y voit un élément susceptible de «faire évoluer de force le secteur», Stéphanie Laporte, dirigeante et fondatrice de l’agence de publicité et d’influence OTTA, anticipe aussi «de la casse du côté de la production», avec des entreprises qui vont avoir recours à ces nouveaux outils lorsqu’elles ont un budget faible ou moyen.
Exception possible selon elle: le segment du luxe, «très sensible à l’authenticité» et dont les marques «utiliseront probablement l’IA avec parcimonie».