Le mastodonte américain JPMorgan a exprimé son intérêt pour la tokenisation de bons du Trésor américain. (Photo: 123RF)
LES CLÉS DE LA CRYPTO est une rubrique qui décode patiemment l’univers de la cryptomonnaie et ses secousses boursières, industrielles et médiatiques. François Remy se donne pour mission d’identifier les entrepreneurs prometteurs, de décoder les progrès techniques et d’anticiper les impacts industriel et sociétal de cette monnaie numérique.
L’écosystème des crypto-actifs développe des liens avec la finance traditionnelle (TradFi) qui pourraient devenir autant de courroies de transmission de krachs et chocs de genre nouveau.
«Les cryptomonnaies ne constituent pas une menace pour la stabilité du système financier, que ce soit maintenant ou au cours des deux prochaines années». C’est ce que concluait une enquête menée auprès d’économistes européens… en 2017. À l’époque, la capitalisation totale des actifs numériques s’élevait à quelque 600 milliards de dollars américains. Depuis, le marché crypto a connu de vertigineux mouvements de montagnes russes, allant tutoyer en novembre 2021 les 3000 milliards $US de valeur globale (record historique) et se battant actuellement pour ne pas repasser en dessous des 900 milliards.
Cette croissance aussi rapide que chaotique a amené la Réserve fédérale de New York à s’interroger sur de nouveaux défis pour la stabilité financière, en explorant notamment les vulnérabilités de la finance traditionnelle (TradFi). À première vue, les récents chocs sur le marché du bitcoin n’auraient eu que des répercussions limitées sur la planète finance. Mais les analystes de la banque centrale new-yorkaise évoquent des «fragilités émergentes» qui pourraient déranger l’équilibre financier mondial.
Au fur et à mesure que les cryptoactifs se développent, ils se mêlent aux produits financiers classiques et s’enchevêtrent avec les structures traditionnelles. Monnaies numériques, stablecoins et autres tokens non fongibles reproduisent bon nombre des défaillances de la TradFi, généralement sans une protection réglementaire aussi poussée, tout en introduisant de nouveaux risques.
Risques augmentés et vulnérabilités 2.0
«Les vulnérabilités financières constituent un ensemble de facteurs susceptibles d’amplifier les chocs financiers. Les vulnérabilités tendent à s’accumuler avec le temps, mais les politiques peuvent être conçues pour les atténuer, rendant le système plus résilient et donc plus susceptible de continuer à fonctionner efficacement face aux chocs», tempèrent les rapporteurs de la Fed de New York.
Plusieurs caractéristiques de l’écosystème crypto présentent de nouvelles vulnérabilités pour la stabilité. À l’instar de l’exécution automatisée des transactions, ce qui réduit le temps de réponse pour les interventions qui pourraient empêcher les déstabilisations.
Les analystes de l’institution new-yorkaise se réfèrent à ce propos au travail de Hilary J. Allen, experte en droit bancaire et professeure de droit à l’American University Washington College of Law, qui soutient que la finance décentralisée amenée par les actifs numériques crée une nouvelle génération de système bancaire parallèle (shadow banking 2.0).
«Notre système de réglementation financière n’a toujours pas trouvé comment gérer les risques des produits dérivés, des titrisations et des fonds communs de placement du marché monétaire qui ont constitué le shadow banking 1.0, mais nous sommes déjà confrontés à la perspective du shadow banking 2.0 sous la forme de la finance décentralisée, ou DeFi», observe la Pr Allen.
Or, dans le même temps, la gouvernance décentralisée de certaines plateformes peut entraver une action rapide censée atténuer les tensions ou encore entraver les protections réglementaires. L’automatisation exacerbant les vulnérabilités opérationnelles.
«Les blockchains publiques, les cryptoactifs, les émetteurs de stablecoins, les protocoles DeFi et les plateformes d’échanges centralisées de cryptomonnaies se montrent interconnectés, sans limites d’exposition. Les chocs dans un domaine peuvent se répercuter rapidement sur les autres», font par ailleurs remarquer les rapporteurs de la banque centrale. Autrement dit, si les liens entre les actifs numériques et les structures traditionnelles demeurent limités à l’heure actuelle, ils pourraient s’étendre et se renforcer, ce qui accroîtrait le risque de contagion au système financier global.
En fonction essentiellement des interconnexions
Les tensions survenant dans l’écosystème crypto déséquilibreront la stabilité financière globale selon le degré d’interconnexion avec le secteur financier traditionnel. Il existe assurément de nombreuses façons dont l’univers du bitcoin communique avec le système classique. On pense aux Fidelity et Robinhood de ce monde, ces sociétés de courtage qui intègrent l’accès aux marchés crypto dans leurs offres de produits.
Les opérateurs boursiers historiques ont eux aussi commencé à intégrer les produits financiers liés aux actifs crypto. Le géant mondial du marché à terme, CME, propose des contrats futurs sur le bitcoin et l’ethereum. Les régulateurs canadiens ont approuvé les FNB Bitcoin qui se négocient aussi en Bourse.
N’omettons pas le cas des banques, ces opposantes naturelles aux innovations fintechs venues avec le bitcoin, pour qui l’intérêt envers la crypto demeure un secret de Polichinelle. Fallait-il rappeler que les banques étaient exposées aux cryptos par de multiples canaux.
«Les banques peuvent détenir des dépôts d’entreprises proposant des stablecoins. Par exemple, les actifs du plus grand stablecoin basé aux États-Unis, USDC sont détenus par plusieurs banques. Les petites banques peuvent être plus susceptibles d’avoir des problèmes de liquidité en cas de ruée sur un stablecoin», épingle la Fed de New York.
Plusieurs enseignes bancaires détiennent aussi des investissements privés dans des entreprises liées aux cryptoactifs dans leurs bilans. Standard Chartered, BNY Mellon, Citi et UBS ont chacune investi plus de 250 millions de dollars dans ces sociétés.
Sans compter sur ces banques et autres institutions financières traditionnelles qui interagissent avec les plateformes et les protocoles, pour obtenir des financements, tels que Maker qui a proposé de tokeniser des actifs du monde réel et d’émettre des prêts en utilisant ces tokens comme garantie. Ou encore le mastodonte américain JPMorgan qui a exprimé son intérêt pour la tokenisation de bons du Trésor américain afin de les utiliser comme garantie dans la DeFi.
Bref, ponctue la Réserve fédérale new-yorkaise, autant de liens qui pourraient servir de courroie de transmission vers la finance traditionnelle des krachs et autres chocs provenant des marchés crypto