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Devenir nomade numérique, bonne ou mauvaise idée?

Olivier Schmouker|Publié le 27 juillet 2023

Devenir nomade numérique, bonne ou mauvaise idée?

Une vie de rêve. A priori... (Photo: Nathan Dumiao pour Unsplash)

MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudisVous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca

Q. – «J’ai tellement pris goût au télétravail que je me suis arrangé pour travailler à distance le plus souvent possible. J’ai même le projet de devenir, à la rentrée, «nomade numérique»: travailler de n’importe où sur la planète (là où le wi-fi est de bonne qualité!), en commençant par Lisbonne, au Portugal. Ce serait le rêve ultime pour moi! À ce sujet, y a-t-il des écueils insoupçonnés à éviter quand on devient nomade numérique?» – Clovis

R. Cher Clovis, il est vrai que la vie de nomade numérique a de quoi faire rêver. Bien souvent, les gens choisissent de lieux quasi paradisiaques (soleil, plage, mer bleue, etc.).

La vie y est souvent moins chère que dans son pays d’origine, et le fait d’avoir un bon salaire permet d’avoir un très bon niveau de vie sur place (imaginez un peu votre qualité de vie avec un salaire qui serait multiplié, disons, par deux ou trois!).

Il est possible d’organiser à sa guise son horaire de travail (ex.: surf ou yoga le matin de bonne heure ; deux heures de travail depuis son studio ou un espace de coworking ; lunch au petit resto du coin ; cinq heures de travail, entrecoupées d’une pause vélo dans les environs ; sortie avec des amis rencontrés sur place ; etc.)

Bref, les avantages sont multiples pour, a priori, quelques bémols. Par exemple, le système de santé local est-il à la hauteur de vos attentes d’Occidental? Serez-vous en mesure d’avoir des discussions intéressantes avec les locaux si jamais vous ne maîtrisez pas la langue? Et le décalage horaire par rapport à votre pays d’origine (là où se trouve votre employeur, voire vos clients) ne va-t-il pas vous forcer à avoir un rythme de vie atypique?

Mais bon, il ne s’agit là que de modestes difficultés. Aucune d’entre elles ne paraît insurmontable.

Donc, à première vue, on pourrait se demander pourquoi, au fond, tout le monde n’est pas encore devenu nomade numérique, n’est-ce pas?

Le hic, c’est qu’en vérité, cette vie-là n’est pas nécessairement une vie de rêve. Je l’ai saisi à la lecture d’un récent article du quotidien britannique The Telegraph.

À la fin de 2022, on dénombrait sur la planète quelque 35 millions de nomades numériques alors que ceux-ci n’étaient que 10 millions avant la pandémie, selon les données du quotidien. On peut parler d’un véritable engouement.

Mais il se pourrait que leur nombre se mette à décliner sous peu, car la tendance est au «désenchantement»: l’écrivain voyageur et blogueur américain Tom Kuegler a commencé à parler de ce phénomène en présentant le nomadisme numérique comme une «existence vide». «Je rencontre de plus en plus d’entre eux qui ne font qu’entrer et sortir des pays où ils arrivent, un peu comme s’ils étaient dans un centre commercial: ils y prennent l’essentiel pour subsister, ne s’intéressent à rien de particulier et s’en vont désabusés», illustre-t-il.

Nombre d’entre eux connaissent la lassitude du sempiternel voyageur. «Je suis fatigué des voyages incessants, raconte l’un d’eux dans The Telegraph. Mon envie profonde, c’est de dormir dans mon propre lit et dans ma chambre.»

En général, après quelques semaines de «rêve éveillé», surviennent les premières mauvaises surprises. Les pépins de santé (le corps doit s’adapter à une nouvelle alimentation, à un autre rythme de vie, etc.). La fatigue qui s’accumule (le sommeil est vite déréglé lorsqu’on bouge sans cesse, etc.). Et surtout, le sentiment d’isolement (on est loin de ses amis, il est complexe de s’en faire de nouveaux quand on sait qu’on part ailleurs dans une quinzaine de jours, etc.).

Un autre ennui est, lui, purement financier. Ainsi, trouver un logement de location d’un bon rapport qualité-prix est devenu un vrai défi dans plusieurs des villes courues par les nomades numériques. À ce sujet, l’article parle justement, Clovis, de la ville portugaise de Lisbonne. Avec Tulum et Bali, elle figure sur le podium des destinations les plus prisées. Selon Nomad List, près de 16 000 nomades numériques travaillaient à distance de Lisbonne en décembre dernier. Les locaux commencent à s’en plaindre, les accusant de faire grimper en flèche les prix de l’immobilier. Des quartiers entiers de la capitale portugaise se seraient ainsi transformés en «enclaves Airbnb».

L’un des nomades numériques interrogés finit par avoir ce mot: «Mon nouveau rêve? Avoir une vie plus simple.»

Loin de moi, Clovis, l’idée de vous dissuader de devenir nomade numérique. Bien au contraire, cela semble être une expérience de vie fantastique. Mais mieux vaut être prévenu que le rêve peut virer au cauchemar, en raison de la fatigue et de la lassitude. Arrive toujours le jour où l’on souhaite poser ses bagages, semble-t-il.

En passant, le physicien français Pierre Curie a écrit dans son journal intime, alors qu’il avait 20 ans: «Il faut faire de la vie un rêve, et faire d’un rêve une réalité».