Une récente étude montre qu'il y a bel et bien un impact de la robotisation sur la carrière des travailleurs, tous secteurs confondus. (Photo: Paul Einerhand pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. — «Notre usine est en train de s’équiper de nombreux robots, et la haute direction ne se cache pas pour dire que ça va lui permettre de «réduire à terme la dépendance à la main-d’œuvre». Il est indéniable que ces robots sont super productifs. Mon interrogation concerne mon avenir et celui de mon fils, nouvellement embauché: est-ce que je risque d’être mis à la retraite plus tôt que prévu? et mon fils ferait-il mieux de faire carrière ailleurs?» – Benoît
R. — Cher Benoît, votre inquiétude revient à se demander si la robotisation accrue que l’on connaît ces temps-ci au Québec et un peu partout sur la planète présente un risque pour la carrière des travailleurs. Les plus âgés d’entre nous vont-ils être écartés du monde du travail sans avoir pu cotiser assez pour toucher une pleine retraite? Et les plus jeunes, être contraints de changer de métier à répétition tout au long de leur carrière, tassés à chaque fois par les robots?
Pour vous répondre, je vais m’appuyer sur une étude récente signée par quatre économistes: Maria Petrova, de l’Université Pompeu Fabra, à Barcelone (Espagne); Gregor Schubert, de l’École de management Anderson, à Los Angeles (États-Unis); Bledi Taska, de l’Université de New York (États-Unis); et Pinar Yildirim, de l’École Wharton, à Philadelphie (États-Unis). Ces chercheurs ont minutieusement analysé quelque 16 millions de CV rédigés par des travailleurs américains entre 2000 et 2016, en regardant notamment leur évolution à mesure que la robotisation progressait aux États-Unis. L’idée était très simple: voir s’il y a le moindre impact de la robotisation sur la carrière des travailleurs, tous secteurs confondus.
Leurs conclusions sont claires et nettes. Les voici en rafale:
– Déclin de la «valeur de carrière». Les quatre chercheurs ont établi ce qu’ils dénomment la «valeur de carrière», qui correspond grosso modo aux revenus que peut raisonnablement espérer toucher un travailleur en fonction de sa profession, année après année, tout au long de sa carrière. Et ils notent que, toutes professions confondues, la «valeur de carrière» des travailleurs américains n’a cessé de décroître entre 2000 et 2016.
– Un impact conséquent sur la «valeur de carrière». Selon les calculs des chercheurs, chaque fois qu’on a ajouté un robot à une population de 1 000 travailleurs, la «valeur de carrière» de chacun de ceux-ci a fondu de 3 900 dollars américains entre 2004 et 2008 et de 2 480 dollars américains entre 2008 et 2016. Ça revient à une perte de «valeur de carrière» de 1,7% chaque année entre 2004 et 2008 par rapport à l’année de référence 2000, et à une perte de «valeur de carrière» de 1,1% chaque année entre 2008 et 2016. Et ça, soulignons-le, juste pour l’addition d’un seul robot dans une population de 1 000 travailleurs.
– Une carrière freinée par les robots. Le déclin de la «valeur de carrière» est principalement dû au fait que l’arrivée des robots se traduit la plupart du temps par un net ralentissement dans la progression professionnelle des travailleurs. Il leur devient dès lors plus complexe de grimper dans la hiérarchie, d’assumer davantage de responsabilités, et donc de toucher un meilleur salaire. Ce phénomène touche tout le monde, mais tout particulièrement les travailleurs de l’industrie manufacturière et ceux qui sont peu qualifiés.
– Un comburant pour le populisme. Les travailleurs dont la «valeur de carrière» était la plus affectée par la robotisation ont été massivement portés à voter pour Donald Trump lors de l’élection présidentielle américaine de 2016. Et ce fut particulièrement vrai pour les jeunes travailleurs. Leur situation financière et économique des plus incertaines les a donc poussés vers le populisme, notent les chercheurs.
Autrement dit, plus nous robotisons nos entreprises, plus nos carrières sont grugées et plus cela stresse les travailleurs les plus affectés par ce phénomène, au point de se ruer dans les bras du populisme. Ni plus ni moins.
Pour revenir à vos interrogations, Benoît, il m’est difficile de répondre pour votre cas de figure particulier. Je ne suis pas dans la tête des membres de la haute-direction de votre entreprise, je ne sais pas quelle est leur stratégie en matière de main-d’œuvre et de robotisation. Peut-être ne serez-vous pas forcé d’anticiper votre départ à la retraite. Peut-être le serez-vous. Impossible à dire.
Quant à votre fils, qui est en début de carrière, l’étude montre que sa «valeur de carrière» devrait irrémédiablement aller en déclinant dans les années, voire les décennies, à venir. Car le discours politique ambiant est hyper favorable à la robotisation massive de nos entreprises. Pour mémoire, cette déclaration pour le moins directe du premier ministre François Legault, qui date d’il y a moins d’un an: «Le choix est simple, pour les PME. Soit elles investissent dans des robots ou dans la numérisation pour accroître leur productivité, soit elles vont disparaître». Des propos qui, de toute évidence, ne réalisent pas combien ils sont néfastes pour la «valeur de carrière» des travailleurs québécois…