«La mise en œuvre de la technologie blockchain dans la médiation civile pour les conflits dans les copropriétés est importante», estime la professeure de droit Cristina Argelich Comelles de l'Universidad Autónoma de Madrid. (Photo: 123RF)
LES CLÉS DE LA CRYPTO est une rubrique qui décode patiemment l’univers de la cryptomonnaie et ses secousses boursières, industrielles et médiatiques. François Remy se donne pour mission d’identifier les entrepreneurs prometteurs, de décoder les progrès techniques et d’anticiper les impacts industriel et sociétal de cette monnaie numérique.
LES CLÉS DE LA CRYPTO. Les technologies de chaînes de blocs ne sauveront pas miraculeusement le monde. Mais certaines applications dans des dimensions spécifiques de notre quotidien pourraient offrir de véritables solutions. Prenons l’exemple de la copropriété.
La voie de la médiation. Éviter la confrontation pour apaiser les tensions entre copropriétaires, c’est éviter un recours judiciaire, souvent laborieux et coûteux. Et dans ce domaine bien précis, les modes de prévention et de règlement des différends pourraient profiter d’innovations popularisées par le bitcoin. Adopter les technologies de la chaîne de blocs dans la médiation des chicanes de condo, «grâce à l’immutabilité et la transparence» des procédés, voilà la piste qu’explore la professeure de droit Cristina Argelich Comelles de l’Universidad Autónoma de Madrid.
Elle mène une analyse juridique des droits personnels, des droits de propriété et des litiges de copropriété, en usant de la chaîne de blocs à des fins de médiation auto-exécutoire. L’application demanderait certains ajustements techniques évidemment, avec des systèmes télématiques, de l’Internet des objets (IoT) ainsi que de la tokenisation pour la gestion à distance et l’automatisation.
Mais selon la jurisprudence et la pratique de la médiation en copropriété aux États-Unis ou au Canada, la réglementation s’avère déjà adaptée à l’application correcte de la technologie de chaîne de blocs, développe la professeure Argelich Comelles dans un récent article du Journal of Infrastructure, Policy and Development.
Une médiation bien programmée
«Les litiges de copropriété constituent un problème de grande ampleur, qui affecte les communautés dans le monde entier, il est donc nécessaire de normaliser les pratiques et d’améliorer la résolution», remet en contexte l’autrice. «Ainsi, la mise en œuvre de la technologie blockchain dans la médiation civile pour les conflits dans les copropriétés est importante. Elle offre la possibilité de réduire les délais et les coûts liés à la résolution, d’assurer les accords, de garantir la sécurité et l’intégrité des données, de protéger les informations sensibles.»
À l’instar de la plateforme Ethereum qui permet de créer des «contrats intelligents» (smart contracts) personnalisés, dont les accords programmés peuvent être automatisés. « Ethereum permet de créer un règlement de copropriété dans la chaîne de blocs, c’est donc la plateforme idéale pour contrôler la conformité des accords de médiation dans ce contexte », note Argelich Comelles.
Formulé simplement, les différents termes et clauses sont implémentés sous la forme d’entrées dans la chaîne de blocs afin de générer des sorties pour s’auto-exécuter et pouvoir en contrôler la conformité. Une mise en œuvre qui n’est pas sans coût économique: les utilisateurs doivent payer des frais en ethers (ETH), la cryptomonnaie native d’Ethereum, pour chaque opération qu’ils activent.
Le code fait sa loi, et vice versa
Il convient d’emblée de traduire sur la chaîne de blocs les tenants de la loi sur les condominiums: programmer l’ensemble des termes relatifs à l’usage, la répartition entre copropriétaires, la structure de gestion, les budgets, les provisions, les successions, etc. «La technologie de la chaîne de blocs est utilisée pour garantir l’efficacité de ces dispositions», souligne l’autrice.
Néanmoins, la réglementation sur les copropriétés, dont certains aspects varient d’une province à l’autre au Canada, ne prévoit pas forcément de médiation directe lorsqu’un conflit de voisinage survient. Dès lors, il n’existe pas non plus dans la chaîne de blocs de moyens d’auto-exécution de recours privés avant l’apparition d’une situation litigieuse. Cela requiert l’intervention d’un médiateur dédié à la prévention ou la gestion du différend afin d’établir un ensemble d’accords permettant d’automatiser la résolution.
Au niveau de la gestion collective, la chaîne de blocs permet également de tokeniser le bien immobilier: il s’agit de générer un token, un jeton numérique sur la chaîne de blocs, donnant une valeur à la division de la propriété et à la distribution de ses parts. L’attribution de l’actif numérique représente un droit réel sur un actif réel, le logement. La propriété ainsi numérisée fait en sorte que sa gestion est bien programmable et contrôlable en temps réel sur la chaîne de blocs.
Fluidification du marché immobilier
«La valeur du token jeton correspondra à la valeur de la propriété. L’investisseur d’une plateforme immobilière peut non seulement détenir un jeton négociable, mais aussi le convertir en une cryptomonnaie qui peut être utilisée indirectement comme méthode de paiement», souligne Cristina Argelich Comelles.
Le principal avantage de la tokenisation revient à transformer des actifs illiquides en instruments de financement du marché immobilier, comme dans le cas de la titrisation hypothécaire. Par exemple, des plateformes de financement participatif acquièrent des biens immobiliers et génèrent des tokens transférables sur la plateforme de chaîne de blocs correspondante. «Les jetons sont divisibles et universels, de sorte que si la demande augmente, la décote d’illiquidité sera réduite», ajoute-t-elle.
En théorie, car il reste à vérifier que cette tokenisation ne se heurte pas à des obstacles juridiques (par rapport au droit des contrats et autres), le cadre législatif des actifs crypto émergeant lentement au-delà des seules implications financières.
Techniquement, la technologie blockchain n’en offre pas moins aux copropriétaires des pistes de solution pour régler positivement les litiges.